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24/07/2024 | FRANCE | N°23PA01563

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 24 juillet 2024, 23PA01563


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle l'Agence de la biomédecine a délivré à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) une autorisation de mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude des effets du " peptide FEE cyclique " sur le développement préimplantatoire des embryons dans l'espèce humaine.

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Par un jugement n° 2104341 du 16 février 2023 le Tribunal administratif de Montreuil a rej...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle l'Agence de la biomédecine a délivré à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) une autorisation de mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude des effets du " peptide FEE cyclique " sur le développement préimplantatoire des embryons dans l'espèce humaine.

Par un jugement n° 2104341 du 16 février 2023 le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 14 avril 2023 et un mémoire en réplique enregistré le

29 novembre 2023, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Beauquier et

Me Hourdin, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle l'Agence de la biomédecine a délivré à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) une autorisation de mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude des effets du " peptide FEE cyclique " sur le développement préimplantatoire des embryons dans l'espèce humaine ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse est insuffisamment motivée au regard des obligations qui découlent de l'article R. 2151-1 et suivants du code de la santé publique ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'article L. 2151-5 du code de la santé publique était inopérant tout en reconnaissant que l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise devait s'assurer de l'indépendance des experts ; c'est au prix d'un artifice que l'Agence de la biomédecine a découpé la lettre du texte pour en déduire que le principe selon lequel les inspections doivent être diligentées par des experts n'ayant aucun lien avec l'équipe de recherche, ne saurait s'appliquer aux " vérifications " réalisées par l'Agence en amont de l'autorisation ; ce découpage artificiel a pour effet de priver les administrés d'une garantie légale d'impartialité ; le respect de la charte de déontologie que l'Agence soutient respecter, sans l'établir, ne constitue pas un même niveau de garantie ;

- le tribunal a renversé la charge de la preuve en considérant qu'il incombait à la Fondation de démontrer l'existence d'un conflit d'intérêt ou d'un lien entre les experts et l'équipe de recherche ;

- le tribunal n'a pas motivé son appréciation selon laquelle l'examen des déclarations publiques d'intérêts remplies par les experts ne révélait aucun conflit d'intérêt ;

- l'un des deux experts, M. A..., étant également président du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, l'avis favorable rendu par cette instance ne peut être regardé comme impartial ; il n'est pas établi que les rédacteurs des rapports d'instruction se soient déportés lors de la séance du conseil d'orientation qui a émis l'avis sur la demande d'autorisation du protocole litigieux ;

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure, dès lors que le rapport d'instruction ne se prononce pas sur les conditions de la conservation des embryons humains et sur l'existence d'une autorisation de conservation délivrée par l'Agence de la biomédecine en violation des articles L. 2151-5, R. 2151-7 et R. 2151-2 du code de la santé publique ;

- l'Agence de la biomédecine ne pouvait, sans méconnaître l'article L. 2151-7 du code de la santé publique, s'abstenir de vérifier que l'organisme sollicité pour la remise des embryons destinés à la recherche était titulaire d'une autorisation à des fins de recherche médicale ; or ni l'unité INSERM U1016 ni le centre hospitalier universitaire Cochin ne disposent de cette autorisation ; l'autorisation de conservation d'embryons en vue de la recherche biomédicale ne se confond pas avec l'autorisation de conservation délivrée en vue de soins ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le seul fait qu'une start up ait été créée pour valoriser le résultat de la recherche suffit à faire regarder cette recherche comme ayant une finalité industrielle et commerciale, en violation de l'article L. 2151-3 du code de la santé publique ; le tribunal a commis une erreur de droit en ajoutant une condition à la loi en considérant que la circonstance que l'aspect " essentiellement " médical de cette finalité permettait d'en valider la conformité aux dispositions de cet article.

Par des mémoires en défense enregistrés le 23 octobre 2023 et 20 décembre 2023, l'Agence de la biomédecine, représentée par le cabinet Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la fondation Jérôme Lejeune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Hourdin, avocat de la fondation Jérôme Lejeune,

- et les observations de Me de Cenival, avocat de l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. La Fondation Jérôme Lejeune relève appel du jugement du 16 février 2023 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'Agence de la biomédecine du 12 novembre 2020 autorisant pour une durée de deux ans l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité 1016, équipe " From Gamete to Birth ") à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'analyse des effets du " peptide FEE cyclique " (ou Fertiline) sur le développement préimplantatoire des embryons dans l'espèce humaine.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction applicable à la date de l'autorisation en litige, que : " I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : (...) 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / II. - Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. (...) / III. - Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites (...). / IV. - Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation. (...) " L'article R. 2151-1 du même code prévoit que : " Le directeur général de l'Agence de la biomédecine peut autoriser, dans les conditions fixées par l'article L. 2151-5, un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions " et l'article R. 2151-2 de ce code que : " Outre la vérification des conditions fixées à l'article L. 2151-5, l'agence de la biomédecine (...) évalue les moyens et dispositifs garantissant (...) la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires ". Aux termes de l'article R. 2151-3 du même code : " I. - Seuls peuvent obtenir l'autorisation de procéder à une recherche sur l'embryon : / 1° Les établissements publics de santé et les laboratoires de biologie médicale autorisés à conserver des embryons en application de l'article L. 2142-1 (...) ; / 2° Les établissements et organismes ayant conclu une convention avec l'un au moins des établissements ou laboratoires mentionnés au 1°. Cette convention prévoit les conditions dans lesquelles l'établissement ou le laboratoire mentionné au 1° conserve et met à disposition des embryons au bénéfice de cet établissement ou organisme. La mise à disposition d'embryons n'est autorisée que pour la seule durée de la recherche (...) ". Enfin, l'article R. 2151-5 du même code dispose que : " Les embryons ne peuvent être remis au responsable de la recherche mentionné à l'article R. 2151-8 que par le titulaire de l'autorisation prévue à l'article L. 2151-7, par le praticien agréé en application de l'article L. 2131-4-2 ou par le praticien intervenant, conformément au cinquième alinéa de l'article L. 2142-1, dans un établissement, laboratoire ou organisme autorisé en application du même article (...) ".

3. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique, dans leur rédaction applicable à la date de la décision contestée, en vigueur entre la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique et la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui les a modifiées et déplacées à l'article L. 2151-9 du code de la santé publique : " Tout organisme qui assure, à des fins de recherche, la conservation d'embryons ou de cellules souches embryonnaires doit être titulaire d'une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. / (...). Les organismes mentionnés au premier alinéa ne peuvent céder des embryons ou des cellules souches embryonnaires qu'à un organisme titulaire d'une autorisation délivrée en application du présent article ou de l'article L. 2151-5. L'Agence de la biomédecine est informée préalablement de toute cession. ". L'article R. 2151-19 du même code dispose que : " Le directeur général de l'agence de la biomédecine autorise la conservation d'embryons et de cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée, qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions. (...) ".

4. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 2 et 3, dans leur rédaction applicable au litige, antérieure à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a modifié le cadre juridique applicable aux autorisations de conservation d'embryons, qu'il revient à l'Agence de la biomédecine, lorsqu'elle délivre l'autorisation de recherche prévue par les dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, de vérifier que l'autorisation de conservation, qui ne peut être délivrée que par elle-même, de l'organisme le cas échéant sollicité pour la remise des embryons ou cellules souches embryonnaires humaines destinés à la recherche soumise à son autorisation est en cours de validité, à la date à laquelle cette autorisation est accordée et tout au long de la période pour laquelle elle l'est, et que ni sa suspension ni son retrait ne sont engagés.

5. Enfin, l'article L. 2141-1 du code de la santé publique dispose que : " L'assistance médicale à la procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle. (...) ". En vertu de l'article L. 2142-1 du même code, à l'exception de l'insémination artificielle et de la stimulation ovarienne, les activités, tant cliniques que biologiques, d'assistance médicale à la procréation, doivent être autorisées par l'agence régionale de santé. Cette autorisation, qui porte sur une ou plusieurs des activités d'assistance médicale à la procréation, est délivrée pour une durée de sept ans. Si le f) du 2° de l'article R. 2142-1 du même code range au nombre des activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation la conservation des embryons en vue d'un projet parental ou en application du 2° du II de l'article L. 2141-4 de ce code, c'est-à-dire dans le cas où les deux membres du couple dont les embryons sont conservés ou, en cas de décès de l'un d'entre eux, le membre survivant, consentent, par écrit et en le confirmant après un délai de réflexion de trois mois, à ce que leurs embryons fassent l'objet d'une recherche dans les conditions prévues à l'article L. 2151-5, ces dispositions réglementaires, qui sont relatives à l'exercice d'activités biologiques et cliniques d'assistance médicale à la procréation, ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de déroger à l'obligation, résultant de l'article L. 2151-7 du même code pour tout organisme qui assure, à des fins de recherche, la conservation d'embryons ou de cellules souches embryonnaires, de solliciter et d'obtenir à cette fin une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine.

6. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de recherche sur des embryons a été présentée par l'INSERM (unité 1016, équipe " From Gamete to Birth ") et prévoit que ces embryons seront fournis par le centre d'assistance médicale à la procréation de l'hôpital Jean Verdier de Bondy et transférés au laboratoire de biologie de la reproduction de l'hôpital Cochin, également fournisseur d'embryons dans le cadre ce protocole de recherche. S'il ressort également des pièces du dossier que tant ce dernier que le laboratoire de l'hôpital Jean Verdier disposaient à la date de la décision litigieuse d'une autorisation de conservation des embryons à des fins biologiques d'assistance médicale à la procréation - diagnostic prénatal (AMP-DPN) délivrées par l'Agence de la biomédecine, il est constant qu'aucun de ces organismes ne disposait d'une autorisation de conservation d'embryons à des fins de recherche. Ainsi qu'il a été dit et contrairement à ce que soutient l'Agence de la biomédecine, l'autorisation qui porte sur l'activité de conservation des embryons à des fins biologiques d'assistance médicale à la procréation n'a pas pour objet d'autoriser la conservation desdits embryons à des fins de recherche. Par suite, dès lors que les organismes sollicités pour la remise des embryons destinés à la recherche ne disposaient pas d'une autorisation de conservation à des fins de recherche en cours de validité, l'Agence de la biomédecine ne pouvait sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique dans leur rédaction antérieure à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, délivrer l'autorisation litigieuse de recherche sur ces embryons.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué ni sur les autres moyens de la requête, que la Fondation Jérôme Lejeune est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Fondation Jérôme Lejeune qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine, une somme de 1 500 euros à verser à la Fondation Jérôme Lejeune au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°2104341 du 16 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil et la décision de l'Agence de la biomédecine du 12 novembre 2020, sont annulés.

Article 2 : L'Agence de la biomédecine versera à la Fondation Jérôme Lejeune une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine et à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juillet 2024.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01563
Date de la décision : 24/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SCP PIWNICA-MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-24;23pa01563 ?
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