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17/07/2024 | FRANCE | N°23PA05327

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 17 juillet 2024, 23PA05327


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé de son maintien en rétention administrative.



Par un jugement n° 2324054/8 du 10 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 17 octobre 2023, a condamné l'Etat à verser à M. D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du cod

e de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. D....



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Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé de son maintien en rétention administrative.

Par un jugement n° 2324054/8 du 10 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 17 octobre 2023, a condamné l'Etat à verser à M. D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire enregistrée le 22 décembre 2023 et un mémoire ampliatif enregistré le 12 février 2024, le préfet de police, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté attaqué au motif qu'il aurait été entaché d'un défaut d'examen de la situation de M. D... ;

- les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. D..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme Julliard a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., ressortissant afghan né le 9 décembre 1997, est entré irrégulièrement en France en 2016 selon ses déclarations et a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office de la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) par une décision du 5 avril 2017. Par un arrêté du18 décembre 2018, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français. Le 25 juin 2020, la Cour d'assises de Paris l'a condamné à une peine d'emprisonnement de neuf ans et à une peine d'interdiction du territoire français pour une durée de dix ans pour des faits de tentative de meurtre, de viol, d'enlèvement, de séquestration, de vol et d'escroquerie commis en 2016. A sa sortie de prison, en décembre 2022, il est parti aux Pays-Bas où il a de nouveau demandé l'asile, puis a fait l'objet d'une réadmission par les autorités françaises sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté en date du 12 octobre 2023, le préfet de police l'a placé en rétention administrative. Le

16 octobre 2023 il a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile. Par un arrêté du 17 octobre 2023, le préfet de police a décidé de maintenir M. D... en rétention administrative dans l'attente de la décision de l'OFPRA. Le préfet de police relève appel du jugement du 10 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

2. Il ressort des termes de l'arrêté contesté du 17 octobre 2023 que pour maintenir en rétention administrative M. D... à la suite de sa demande de réexamen de sa demande d'asile présentée le 16 octobre 2023, le préfet de police s'est fondé sur la circonstance que la précédente demande d'asile de M. D... a été rejetée par une décision du 5 avril 2017 de l'OFPRA et que, par ailleurs, M. D... s'était soustrait à l'exécution d'une interdiction du territoire français rendue dans un arrêt de la Cour d'assises de Paris du 25 juin 2020, que son comportement a été signalé par les services de police le 12 octobre 2016 pour viol, séquestration avec libération volontaire avant le 7ème jour, violences avec ITT supérieure à 8 jours, vol et escroquerie, qu'enfin, M. D... ne pouvait justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ni du lieu de sa résidence effective ou permanente ou se déclarait sans domicile et que de surcroît, il ne présentait aucune garantie de représentation. Dans ces conditions, dès lors que l'arrêté contesté expose avec suffisamment de détails la situation individuelle de M. D..., la circonstance que le préfet de police n'a pas mentionné sa demande d'asile aux Pays-Bas le 31 décembre 2022 n'est pas suffisante pour révéler un défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressé. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge, estimant que la décision de maintien en rétention contestée était entachée d'un défaut d'examen sérieux de la situation de M. D..., a annulé l'arrêté en litige pour ce motif.

3. Toutefois il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par

M. D....

Sur les autres moyens soulevés par M. D... en première instance :

4. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-01047 du 11 septembre 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial, le préfet de police a donné délégation à M. B... C..., attaché d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de police, après avoir constaté l'interdiction judiciaire du territoire français pour une durée de dix ans prononcée à l'encontre de M. D... par un arrêt de la Cour d'assises de Paris du

25 juin 2020, a rappelé qu'il faisait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre le 25 juin 2020 et qu'il avait fait l'objet d'un arrêté le plaçant en rétention le 12 octobre 2023. Il a ensuite mentionné le dépôt d'une demande de réexamen de sa demande d'asile initiale le 16 octobre 2023, soit quatre jours après son placement en rétention et plus de six ans après le rejet de sa demande initiale daté du 5 avril 2017, et a considéré que cette demande devait être regardée comme ayant été introduite dans le seul but de faire échec à son éloignement, justifiant son maintien en rétention le temps de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, cet arrêté comporte l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivé.

6. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1er de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre [...] ".

7. M. D... invoque l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et allègue que, en l'absence d'audition portant spécifiquement sur ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine, la décision de maintien en rétention a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière et en violation du respect du principe du contradictoire dans la procédure préalable. Si les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée. Ce principe n'implique toutefois pas que l'administration mette l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision de le maintenir en rétention administrative pendant le temps nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'OFPRA et, en cas de décision de rejet de celle-ci, dans l'attente de son départ, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou sur la perspective de l'éloignement. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été entendu le 11 octobre 2023 dans le cadre de son audition par les services de police et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, il aurait été empêché, depuis son placement en rétention le 12 octobre 2023, ou depuis l'expression, le 16 octobre 2023, de son intention de demander l'asile, d'émettre toutes observations utiles relatives à son maintien en rétention durant l'examen de sa demande d'asile. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du principe fondamental du droit d'être entendu tel qu'il est énoncé au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 754-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger placé ou maintenu en rétention administrative qui souhaite demander l'asile est informé, sans délai, de la procédure de demande d'asile, de ses droits et de ses obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ces obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande. Cette information lui est communiquée dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ". Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ". Aux termes de l'article 12 de la directive n°2013/32/UE, " Les Etats membres veillent à ce que tous les demandeurs d'asile bénéficient des garanties suivantes : a) ils sont informés, dans une langue qu'ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. ".

9. Si M. D... soutient que ces dispositions ont été méconnues, il est constant qu'il a formulé une demande d'asile le 16 octobre 2023 après avoir été placé en rétention le

12 octobre 2023. Dans ces conditions, et faute de précisions supplémentaires, le moyen tiré de l'absence d'information quant à la possibilité de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en méconnaissance des dispositions citées ci-dessus doit être écarté.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la France est l'État responsable de l'examen de la demande d'asile et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la décision d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ ".

11. Eu égard aux critères objectifs, mentionnés par le préfet de police dans son arrêté, soit les circonstances que l'intéressé n'a présenté une demande de réexamen d'asile qu'après son placement en rétention administrative alors qu'il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 18 décembre 2018 à la suite du rejet de sa demande d'asile initiale par une décision de l'OFPRA du 5 avril 2017, rejet qu'il n'a pas contesté devant la CNDA, que l'intéressé a été condamné le 25 juin 2020 par la Cour d'assises de Paris à une peine de neuf ans d'emprisonnement avec interdiction du territoire pendant dix ans, pour des faits de tentative de meurtre, de viol, d'enlèvement, de séquestration, de vol et d'escroquerie commis en 2016, le préfet de police n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que la demande d'asile de M. D... était présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement. Enfin, ce dernier ne faisant état d'aucun élément de nature à étayer sa demande d'asile au regard de risques encourus en cas de retour en Afghanistan, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché l'arrêté en litige doit également être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 17 octobre 2023.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2324054/8 du 10 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2024.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBEN

La greffière,

N DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

23PA05327 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05327
Date de la décision : 17/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-17;23pa05327 ?
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