Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 11 mai 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2209526 du 13 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023 sous le n° 23PA04470, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2209526 du tribunal administratif de Montreuil et de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a retenu, pour annuler son arrêté du 11 mai 2022 rejetant la demande d'admission au séjour de M. A... sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain au motif d'un rejet de sa demande d'autorisation de travail par la plateforme interrégionale de la main d'œuvre étrangère le 29 mars 2022, le moyen tiré de ce que l'employeur de celui-ci n'avait été destinataire d'aucune demande de pièces complémentaires nécessaires à l'instruction de cette demande d'autorisation ;
- il a pris sa décision de refus en tenant également compte de l'ensemble de la situation personnelle et professionnelle de M. A..., qui n'a pas été empêché de présenter des pièces complémentaires avant son édiction ;
- les moyens de première instance de M. A... tirés, s'agissant de la décision de refus de séjour, de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen de sa situation personnelle, de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de l'erreur manifeste d'appréciation et de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que, s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français, de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 mars 2024, M. A..., représenté par Me Monsef, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de
1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- il remplit les conditions posées par l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 pour se voir délivrer un titre de séjour ;
- le préfet aurait dû faire droit à sa demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de son pouvoir général de régularisation ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et professionnelle ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
II. Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023, sous le n° 23PA04471, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2209526 du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement et que le réexamen de la demande de M. A... lui ouvrirait un droit au séjour auquel il ne peut prétendre.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Monsef, demande à la Cour de rejeter la requête en sursis à exécution présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 11 mai 2022 au motif que son employeur n'avait été destinataire d'aucune demande de pièces complémentaires dans le cadre de l'instruction de sa demande d'autorisation de travail ;
- le préfet de la Seine-Saint-Denis ne fait pas état de conséquences difficilement réparables auxquelles exposerait le jugement de première instance.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 23PA04470 et n° 23PA04471 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. A..., ressortissant marocain né le 2 avril 1975, entré en France en octobre 2013 selon ses déclarations, a déposé, le 11 mars 2021, une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 11 mai 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté cette demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination. Par deux requêtes enregistrées respectivement sous les nos 23PA04470 et 23PA04471, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour, d'une part, d'annuler le jugement du 13 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 11 mai 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois et, d'autre part, de surseoir à son exécution.
Sur les conclusions de la requête n° 23PA04470 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles./ Après trois ans de séjour continu en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. (...) ".
4. L'accord franco-marocain renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Il en va notamment ainsi, pour le titre de séjour " salarié " mentionné à l'article 3 cité ci-dessus délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ", des dispositions des articles R. 5221-17 et suivants du code du travail, qui précisent les modalités selon lesquelles et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce, au vu notamment du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de travail.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 5221-17 du code du travail : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur ou au mandataire qui a présenté la demande, ainsi qu'à l'étranger. " et aux termes de l'article R. 5221-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " I. Pour exercer une activité professionnelle salariée en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail lorsqu'elles sont employées conformément aux dispositions du présent code :/ 1° Etranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;(...) / II. La demande d'autorisation de travail est faite par l'employeur. (...) / La demande peut également être présentée par une personne habilitée à cet effet par un mandat écrit de l'employeur ou de l'entreprise. / Tout nouveau contrat de travail fait l'objet d'une demande d'autorisation de travail. ".
6. En application des stipulations et dispositions précitées, le bénéfice de l'article 3 de l'accord franco-marocain est conditionné par la présentation d'un contrat de travail visé par la plateforme interrégionale des services de la main d'œuvre étrangère.
7. Pour annuler la décision contestée, les premiers juges ont considéré que, dans le cadre de son examen de la demande d'admission au séjour de M. A... au regard des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'avait pu légalement rejeter cette demande en se fondant sur l'avis défavorable émis, le
29 mars 2022, par la plateforme interrégionale de la main d'œuvre étrangère, sur la demande d'autorisation de travail de l'intéressé, au motif d'une absence de réponse de son employeur à la demande de pièces complémentaires nécessaires à l'instruction de sa demande qui lui avait été adressée par cette plateforme. Les premiers juges ont en effet estimé que le préfet de la
Seine-Saint-Denis n'apportant pas de contradiction à M. A... en ce qu'il faisait valoir, en produisant une attestation de son employeur, que ce dernier n'avait été destinataire d'aucune demande de pièces complémentaires, le rejet de la demande d'autorisation de travail de l'intéressé ne pouvait être fondée sur un tel motif.
8. Pour contester une telle appréciation dans le cadre de la présente instance, le préfet produit, en premier lieu, deux courriers électroniques datés des 31 janvier 2022 et 9 février 2022 par lesquels la plateforme interrégionale de la main d'œuvre étrangère de Seine-Saint-Denis a demandé à la société Mad Réseaux, désireuse de conclure un contrat de travail avec M. A..., de lui adresser certaines pièces obligatoires pour instruire la demande d'autorisation de travail de ce dernier. Toutefois et en admettant même que ces courriers aient été effectivement envoyés, le préfet ne produit aucun élément, notamment un accusé de réception électronique, de nature à établir que leur destinataire, la société Mad Réseaux, en aurait effectivement pris connaissance. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont motivé le jugement par la circonstance que l'employeur de M. A... n'a été destinataire d'aucune demande de pièces complémentaires.
9. En second lieu, si le préfet soutient que M. A... n'a répondu à aucune des " relances par mail " de pièces complémentaires dans le délai qui lui était imparti, il ne produit aucune demande de cette nature adressée spécifiquement à M. A..., qui n'avait au demeurant pas été mis en copie des deux courriers électroniques datés des 31 janvier 2022 et 9 février 2022 adressés à la société Mad Réseaux.
10. En troisième lieu, le préfet ne peut utilement faire valoir que M. A... n'établirait pas avoir sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ou avoir été empêché de présenter des pièces complémentaires avant l'édiction de l'arrêté attaqué, arguments qui sont sans rapport avec le motif d'annulation retenu par les premiers juges tenant à ce que le rejet de la demande d'autorisation de travail de M. A... ne pouvait être fondé sur la circonstance que son employeur n'aurait pas répondu à une demande de pièces complémentaires.
11. Enfin, si le préfet soutient qu'il a pris sa décision sur la demande d'admission au séjour de M. A... en tenant compte de l'ensemble des éléments relatifs à la situation familiale et professionnelle de l'intéressé, un tel moyen est, en tout état de cause, également sans incidence sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 11 mai 2022.
Sur la requête n° 23PA04471 :
13. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 23PA04470 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23PA04471 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur la requête n° 23PA04471.
Article 2 : La requête n° 23PA04470 du préfet de police est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 23PA04470-23PA04471