Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 juin 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2203914 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Thisse, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travail à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 12 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au
30 octobre 2023.
Des pièces ont été enregistrées pour Mme B..., le 14 juin 2024, et n'ont pas été communiquées.
Par une décision du 22 juin 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Mantz, rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 10 février 1986, entrée en France en 2009 selon ses déclarations, a été mise en possession d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", valable du 10 mai 2019 au 9 mai 2020, dont elle a sollicité, le 14 septembre 2020, le renouvellement. Par un arrêté du 28 juin 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de faire droit à cette demande et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 17 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ".
3. Afin d'établir qu'elle résidait en France depuis plus de dix ans à la date de la décision contestée, Mme B... produit des attestations de domiciliation postale, d'élection de domicile ou d'hébergement, au titre des années 2011 à 2021, des pièces émanant du tribunal de grande instance de Paris dans le cadre d'une affaire la concernant, datées de 2011, des contrats de travail et des bulletins de paie à compter de l'année 2019, des avis d'imposition de 2012 à 2020, des contraventions, des courriers de l'agence Pass Navigo et de l'agence Solidarité Transport Ile-de-France datées des années 2010 à 2015 ainsi que 2020, des courriers de
l'assurance-maladie de 2010 à 2015 ainsi que de 2019 à 2021, des ordonnances, des récépissés d'opérations financières de l'année 2019, ainsi que d'autres courriers administratifs d'organismes divers. Toutefois, l'ensemble de ces pièces ne suffisent pas à établir sa résidence habituelle sur le territoire français au titre de la période concernée, notamment pour les années 2016 à 2018. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n'était, dès lors, pas tenu de saisir la commission du titre de séjour et le moyen tiré d'un vice de procédure doit, par suite, être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ". Aux termes de l'article R. 425-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée par le préfet territorialement compétent à l'étranger qui satisfait aux conditions définies à l'article L. 425-1. (...) La demande de carte de séjour temporaire est accompagnée du récépissé du dépôt de plainte de l'étranger (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que, si la requérante a déposé une plainte le
14 décembre 2018 contre une ressortissante nigériane, l'accusant de l'avoir contrainte à la prostitution, le procureur de la République du tribunal de grande instance de Versailles, par un avis du 1er février 2019, a décidé le classement sans suite de cette plainte. Par suite, la procédure pénale devait être regardée comme étant achevée à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions et alors même que la requérante aurait rompu tout lien avec la personne à l'encontre de laquelle elle a déposé une plainte pour des faits de proxénétisme, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ". Et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. En présence d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et
familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels et, à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifie d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si cette promesse d'embauche ou ce contrat de travail, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
8. D'une part et ainsi qu'il a été dit au point 3, Mme B... ne peut se prévaloir d'une résidence continue sur le territoire français que depuis, au plus tôt, l'année 2019. D'autre part, s'il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a signé avec la société Fair Cleaning SARL, le 21 mai 2021, un contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante ménagère, prenant effet à compter du 26 avril 2021, un tel contrat, très récent à la date de la décision attaquée, ne saurait permettre de la faire regarder comme justifiant d'une insertion professionnelle stable et ancienne sur le territoire, ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges. En outre, si
Mme B... soutient qu'à la date de la décision attaquée, elle était enceinte et le père de l'enfant qu'elle portait, était demandeur d'asile et titulaire à ce titre d'un droit au maintien sur le territoire français, elle ne se prévaut d'aucun concubinage avec ce dernier à la date de la décision attaquée, alors en tout état de cause qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressé aurait été titulaire d'un droit de séjour, fût-il provisoire, à la même date. De plus, si Mme B... fait valoir qu'elle a été victime de traite à des fins d'exploitation sexuelle à un jeune âge et qu'elle n'a plus d'attaches dans son pays où elle craint des persécutions en cas de retour du fait de son statut de victime et d'une dette non remboursée, ces circonstances, au demeurant non établies, ne peuvent en tout état de cause être utilement invoquées dès lors que sa plainte dirigée contre la personne qu'elle accusait de l'avoir contrainte à la prostitution a été classée sans suite, à défaut d'identification de cette personne. Enfin, Mme B..., qui était célibataire et sans charge de famille à la date de l'arrêté attaqué, n'établit pas qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident notamment ses parents et sa fratrie et où elle a vécu jusqu'à l'âge de 23 ans. Par suite, la requérante ne justifie d'aucune circonstance humanitaire ou motif exceptionnel au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet, en rejetant sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, doit être écarté ainsi que, pour les mêmes motifs, celui tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Enfin, Mme B... reprend, dans des termes presque identiques, son moyen de première instance tiré de la violation de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle ne développe au soutien de ce moyen aucun argument de droit ou de fait pertinent de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, les moyens dirigés contre la décision de refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée par Mme B... à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écartée.
11. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
12. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
13. Mme B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ces stipulations dès lors qu'aucun enfant n'était né de sa relation avec son compagnon à la date de l'arrêté contesté, l'enfant de la requérante étant né le 9 août 2022.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
14. En premier lieu, la décision contestée, qui vise, notamment, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui mentionne que l'intéressée, dont la nationalité est précisée, n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine, énonce ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquels elle se fonde et est, par suite, suffisamment motivée.
15. En second lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...). Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. Si Mme B... soutient qu'elle encourt de graves dangers en cas de retour au Nigéria en raison de représailles qu'elle pourrait subir de la part du réseau de proxénétisme qui l'a contrainte à se prostituer en France, la requérante ne fournit aucun développement précis, cohérent et vraisemblable sur les circonstances dans lesquelles elle aurait été recrutée, dans son pays d'origine, par un réseau de proxénétisme, sur ses activités de prostitution en France, sur la manière dont elle aurait pu se soustraire à ce réseau ou encore sur les risques qu'elle encourrait actuellement, à raison de cette soustraction, en cas de retour dans son pays d'origine. Elle n'établit d'ailleurs pas avoir fait une demande d'asile à raison, notamment, de ces faits depuis son arrivée en France. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. La décision contestée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZLa présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA03468 2