Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Swarovski France ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser, respectivement, la somme de 97 739 euros et la somme de 3 000 euros en réparation des dommages occasionnés, le 16 mars 2019, au magasin " Swarovski " situé avenue des Champs Elysées.
Par un jugement n° 2103785 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company la somme de 97 739 euros et à la société Swarovski France la somme de 3 000 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 31 mai 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande des sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Swarovski France.
Il soutient que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dès lors que les dommages subis par les sociétés requérantes résultent de violences commises par un groupe constitué et organisé à seule fin de les commettre.
Par un mémoire enregistré le 20 novembre 2023, les sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Swarovski France, représentées par la SELAS LCA associés, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les dommages dont elles demandent l'indemnisation ont été commis en marge d'une manifestation de " gilets jaunes ", le 16 mars 2019, dans le secteur des Champs-Elysées et que la responsabilité de l'Etat est dès lors engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de la société Swarovski France devant le tribunal en l'absence de demande préalable d'indemnisation.
Des observations à ce moyen, présentées pour la société Swarovski France, ont été enregistrées le 24 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Mme A..., représentant le préfet de police.
Considérant ce qui suit :
1. La société Swarovski France exploite un magasin sous l'enseigne commerciale
" Swarovski " situé 146 avenue des Champs Elysées à Paris, qui a fait l'objet de dégradations et de vols, le 16 mars 2019. Cette société et son assureur, la société Zurich Insurance Public Limited Company, subrogée dans ses droits à hauteur de 176 382 euros, ont demandé au tribunal de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices subis, sur le fondement de l'article
L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Le préfet de police relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser la somme de 97 739 euros à la société Zurich Insurance Public Limited Company et la somme de 3 000 euros à la société Swarovski France.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de la société Swarovski France :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ".
3. Si, par un courrier électronique du 3 août 2020, la société Zurich Insurance Public Limited Company a formé auprès de la préfecture de police une demande tendant à l'indemnisation, par l'Etat, des préjudices que son assurée, la société Swarovski France, aurait subis du fait des dégradations et des vols dont a fait l'objet une enseigne " Swarovski ", il ne résulte pas de l'instruction qu'elle avait un mandat pour former une demande au nom de son assurée, ni que cette dernière aurait présenté une demande en son nom propre tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi pour ce même motif. Dans ces conditions, la demande de condamnation de l'Etat présentée par la société Swarovski France est irrecevable et ne peut, par suite, qu'être rejetée.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
4. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que le 16 mars 2019 s'est tenu l'acte dix-huit du mouvement des " gilets jaunes ", qui a donné lieu à plusieurs manifestations, dont une située à proximité des Champs-Elysées, et que de nombreuses dégradations et des vols ont été commis, notamment sur des commerces situés dans ce secteur. Il ressort du télégramme du 15 mars 2019 émanant de la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police et du procès-verbal d'ambiance du 16 mars 2019 qu'avant la manifestation, la préfecture de police était informée du risque important de violences urbaines lors de cette journée d'action et de la constitution de groupes de casseurs issus ou non du mouvement des " gilets jaunes ". Les articles produits par la défenderesse témoignent de ce que de nombreux manifestants ne se sont pas désolidarisés des actes de violence commis le 16 mars 2019, perçus comme un moyen de se faire entendre et de faire avancer leurs revendications. Il ressort, en outre, du procès-verbal d'ambiance qu'à 15h20, la majorité des manifestants se trouvait sur le plateau de l'Etoile, au débouché des Champs-Elysées et de l'avenue Marceau, soit à proximité immédiate de l'avenue des Champs-Elysées, peu avant la dégradation de plusieurs magasins ayant notamment pour enseigne Swarovski, Montblanc ou Celio. S'agissant du commerce " Swarovski ", il n'est pas contesté qu'à 15h36, des individus en ont brisé les portes d'entrée et cassé les vitres, ont démoli l'ensemble des vitrines situées au rez-de-chaussée, dérobé les bijoux qui s'y trouvaient et commis des dégradations. Si des photographies montrent que ces actes ont d'abord été commis par des personnes vêtues de noir et au visage dissimulé, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction qu'ils auraient été commis par un groupe organisé et structuré, ni que ce groupe se serait détaché des manifestants. Il résulte enfin de l'instruction que des centaines de personnes, parmi lesquelles de nombreux manifestants, ont pénétré dans le magasin et ont volé des bijoux. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les dommages subis par le magasin " Swarovski " seraient le fait d'un groupe structuré à seule fin de commettre des violences ouvertes et n'auraient pas été causés dans le prolongement immédiat d'une manifestation de " gilets jaunes ". Par ailleurs, compte tenu notamment des revendications portées par le mouvement dit des " gilets jaunes ", cette manifestation ne peut être regardée, dans son ensemble, comme un groupe structuré à seule fin de commettre des violences ouvertes. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
En ce qui concerne le préjudice :
6. Le préfet de police n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la somme de 97 739 euros que l'Etat a été condamné à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company, inférieure au montant des dommages évalué par l'expert de l'intéressée.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser une somme de 3 000 euros à la société Swarovski France.
Sur les frais du litige :
8. Il n'y pas a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par les sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Swarovski France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2103785 du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Swarovski France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02418