Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 15 janvier 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de faire droit à sa demande d'habilitation au niveau " secret défense ".
Par un jugement n° 2102593 du 7 mars 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 mai 2023, M. B..., représenté par Me Lajili, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Melun du 7 mars 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 15 janvier 2021 et toutes les décisions prises en application de cette décision ;
3°) d'enjoindre au service de haut fonctionnaire dépendant du ministère de l'intérieur de lui accorder l'habilitation " secret défense " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans le même délai ;
4°) de condamner l'Etat aux dépens.
Il soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un défaut ou d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., brigadier de police depuis le 1er février 2007 et affecté à C..., a sollicité, le 1er mars 2020, sa mutation auprès du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire. Cette affectation impliquant de connaître des informations classifiées au niveau " secret défense ", M. B... a formé une demande d'habilitation auprès du haut fonctionnaire de défense du ministère de l'intérieur. Par une décision du 15 janvier 2021, notifiée le 21 janvier 2021, cette habilitation lui a été refusée au motif qu'il " ne présente pas les garanties suffisantes pour accéder au secret de la défense nationale ". M. B... relève appel du jugement du 7 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 (...) ". En particulier, le b du 2° de cet article L. 311-5 protège le " secret de la défense nationale ".
3. Les décisions qui refusent l'habilitation " secret défense " sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Par suite, la décision du 15 janvier 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'habiliter M. B... au " secret défense " n'avait pas à être motivée.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 2311-1 du code de la défense : " Les règles relatives à la définition des informations concernées par les dispositions du présent chapitre sont définies par l'article 413-9 du code pénal ". Aux termes de l'article 413-9 du code pénal : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. / Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale. / Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d'Etat ".
5. Aux termes de l'article R. 2311-7 du code de la défense, dans sa rédaction alors en vigueur : " Nul n'est qualifié pour connaître des informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin (...) de les connaître pour l'exercice de sa fonction ou l'accomplissement de sa mission ". L'article R. 2311-8 du même code, dans sa rédaction applicable, prévoit que : " La décision d'habilitation précise le niveau de classification des informations et supports classifiés dont le titulaire peut connaître ainsi que le ou les emplois qu'elle concerne. Elle intervient à la suite d'une procédure définie par le Premier ministre. / (...) / Pour les niveaux de classification Secret-Défense et Confidentiel-Défense, la décision d'habilitation est prise par chaque ministre pour le département dont il a la charge ".
6. Aux termes de l'article 23 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par l'arrêté du Premier ministre du 30 novembre 2011 alors applicable : " (...) / La demande d'habilitation déclenche une procédure destinée à vérifier qu'une personne peut, sans risque pour la défense et la sécurité nationale ou pour sa propre sécurité, connaître des informations ou supports classifiés dans l'exercice de ses fonctions. La procédure comprend une enquête de sécurité permettant à l'autorité d'habilitation de prendre sa décision en toute connaissance de cause. (...) ". Aux termes de l'article 24 de cette instruction : " (...) L'enquête de sécurité menée dans le cadre de la procédure d'habilitation est une enquête administrative permettant de déceler chez le candidat d'éventuelles vulnérabilités (...). L'enquête administrative est fondée sur des critères objectifs permettant de déterminer si l'intéressé, par son comportement ou par son environnement proche, présente une vulnérabilité, soit parce qu'il constitue lui-même une menace pour le secret, soit parce qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, chantage ou pressions exercés par un service étranger de renseignement, un groupe terroriste, une organisation ou une personne se livrant à des activités subversives. (...) ".
7. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il statue sur une demande d'annulation d'une décision portant refus d'une habilitation " secret défense ", de contrôler, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l'administration s'est fondée. Il lui est loisible de prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale. Il lui revient, au vu des pièces du dossier, de s'assurer que la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. Pour refuser d'habiliter M. B... au niveau " secret défense ", le ministre de l'intérieur s'est fondé sur des éléments confidentiels, dont une partie est révélée par la note des services de renseignement versée au dossier de la procédure par le ministre de l'intérieur et communiquée à M. B.... Il ressort notamment de cette note que, dans sa demande d'habilitation, M. B... a indiqué que son épouse n'avait pas d'autre nationalité que la nationalité française, alors qu'il a reconnu, par la suite, qu'elle disposait aussi de la nationalité algérienne. Il a, en outre, cherché à atténuer cette omission en indiquant que le passeport algérien de son épouse était périmé depuis 2005, alors qu'il a été prorogé jusqu'en 2011. Si M. B... soutient que c'est de bonne foi qu'il a omis de mentionner la double nationalité de son épouse, en faisant valoir qu'elle a utilisé son passeport français lors de leur voyage en Algérie en 2014 et qu'il ignorait ainsi que son épouse avait la double nationalité, il lui appartenait, en tout état de cause, de s'assurer de ce point, dès lors, notamment, qu'il ressort des pièces du dossier qu'il savait qu'elle disposait d'un passeport algérien valable jusqu'en 2005. Il ressort, par ailleurs, de la même note que, dans le même formulaire, M. B... a indiqué ne pas avoir de proches parents résidant à l'étranger ou être en relation avec des ressortissants étrangers, alors que sa sœur travaille en Italie depuis une dizaine d'années et vit avec un citoyen italien. Si M. B... fait valoir qu'il a bien indiqué avoir fait plusieurs voyages en Italie pour motif familial, il reconnaît ne pas avoir signalé la situation de sa sœur, alors pourtant que les termes du formulaire étaient dépourvus de toute ambiguïté. M. B... ne conteste pas davantage ne pas avoir mentionné la double nationalité, franco-algérienne, de la totalité des membres de la fratrie de son épouse mais se borne à soutenir qu'il n'a pas de relations avec sa belle-famille et ne connaissait pas la nationalité de ses membres. Enfin, il ressort de la même note que son service employeur a constaté un certain malaise de M. B... à travailler sur le sujet de la radicalisation dès lors, notamment, qu'il a volontairement écarté certaines informations dans la rédaction d'une note à ce propos, minimisant ainsi l'intérêt d'évoquer des éléments factuels qu'il ne pouvait ignorer. Si M. B... soutient qu'il était simplement en désaccord avec son supérieur hiérarchique sur la façon d'apprécier les faits en cause, cette circonstance ne saurait suffire à justifier son refus de les mentionner. Dans ces conditions, et alors même que M. B... a bénéficié de bonnes évaluations professionnelles et de nombreux compliments et félicitations pour les actions accomplies dans ses différents postes, le ministre de l'intérieur a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, considérer que l'ensemble de ces éléments démontraient chez M. B... une vulnérabilité justifiant le refus de lui délivrer l'habilitation sollicitée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées. Enfin, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens ne peuvent qu'être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- Mme Bruston, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02004