Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Opale Défense a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 273 249 euros ou, subsidiairement, de 1 434 522 euros, au titre du surcroît d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée de 2015 à 2019 en raison de la modification du régime fiscal de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux et assimilés, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue en Ile-de-France (TABIF).
Par un jugement n° 2021388 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 juillet 2022 et 5 septembre 2023, la société Opale Défense, représentée par Me Olléon et Me Janot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 avril 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 273 249 euros au titre du surcroît d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée de 2015 à 2019 en raison de la modification du régime fiscal de la TABIF ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le surcroît d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée doit lui être remboursé en application de l'article 36 du contrat de partenariat du 30 mai 2011 qui stipule qu'elle ne doit supporter aucune charge fiscale en raison de la réalisation des ouvrages ;
- subsidiairement, elle peut prétendre, sur le fondement des stipulations de l'article 44 de ce contrat, au partage avec l'Etat de ce surcoût.
Par des mémoires en défense enregistrés les 20 juillet et 2 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Opale Défense une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Olleon, représentant la société Opale Défense.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de la défense et la société Opale Défense ont conclu, le 30 mai 2011, un contrat de partenariat d'une durée de vingt-six ans dans le cadre du regroupement sur le site de Balard des services de l'administration centrale du ministère. La société Opale Défense est notamment chargée de la conception, la construction, la restructuration, la rénovation, l'exploitation et la maintenance des bâtiments du site. En vertu de l'article 36 du contrat de partenariat, elle refacture à l'euro près au ministère le montant de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux et assimilés, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue en Ile-de-France (TABIF) dont elle s'acquitte en qualité de propriétaire des bâtiments édifiés sur l'emprise. A la suite de l'intervention de l'article 26 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2014, qui prévoit la non-déductibilité de la TABIF de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, la société Opale Défense a demandé à l'Etat de l'indemniser du surcoût fiscal né de cette non-déductibilité, soit un total de 2 781 163 euros pour les années 2015 à 2019. Face au refus de l'Etat, elle a soumis le litige à un collège d'experts qui, par un avis du 28 octobre 2020, a préconisé la prise en charge par l'Etat de la moitié de la fraction du surcoût fiscal excédant le seuil de dégradation significative, soit 717 261 euros HT. Le ministère a toutefois refusé de suivre cet avis. La société Opale Défense relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat.
2. En premier lieu, d'une part, en vertu de l'article 231 ter du code général des impôts, une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement est perçue, dans les limites territoriales de la région d'Ile-de-France. Dans sa rédaction résultant de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2014, applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2015, cet article prévoit que la taxe n'est pas déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
3. D'autre part, aux termes de l'article 36 du contrat de partenariat du 30 mai 2011 : " Tous les impôts et taxes dont le Titulaire serait redevable au titre de la réalisation des Ouvrages (y compris les Travaux SIC), à savoir notamment les taxes et impôts tels que listés en Annexe 30, sont refacturés à l'euro au Ministère - et payés par ce dernier avant la date légale d'exigibilité, sous réserve d'un délai de paiement de trente (30) jours. A cette fin, le Titulaire s'engage à transmettre au Ministère dans un délai de cinq (5) jours ouvrés suivant leur date de réception les avis d'imposition pour les impôts et taxes recouvrés par voie de rôle ou de titre. Pour les autres impôts et taxes le Titulaire s'engage à adresser une facture au Ministère au plus tard cinquante (50) jours avant leur date légale d'exigibilité. / Les impôts et taxes liés à la création et au fonctionnement du Titulaire (à savoir notamment : impôt sur les sociétés, impôt forfaitaire annuel et contribution sociale de solidarité des sociétés, contribution économique territoriale imputable au Titulaire) sont, quant à eux, à la charge de ce dernier, sans préjudice de l'application, le cas échéant, des dispositions prévues à l'Article 44 ". L'article 2.1.1 de l'annexe 30 de ce contrat précise : " Les résultats de la Société de Projet, société de capitaux, seront soumis à l'Impôt sur les Sociétés (IS) au taux de 33,33 % (...) ". L'article 2.1.1.a.4 de la même annexe est relatif à la détermination du résultat taxable. Aux termes de l'article 2.1.1.a.4.6 de cette même annexe : " Il ressort du projet de Contrat de Partenariat (article 32 " Redevance ") qu'en contrepartie de l'exécution par la Société de Projet de ses obligations au titre du contrat, le Ministère verse une redevance, selon l'échéancier fixé audit article. Cette redevance constitue la contrepartie des prestations de services rendues par la Société de Projet. Elle est imposable à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ". Aux termes de l'article 2.1.2 de cette annexe : " Conformément à l'article 36 du Contrat de Partenariat, les impôts suivants seront à la charge du Ministère et lui seront refacturés à l'euro l'euro (montants augmentés le cas échéant de la TVA), dans le cadre de la redevance Gestion (liste non exhaustive). Les flux relatifs à ces impôts ne sont pas appréhendés dans la modélisation financière, puisqu'ils n'ont pas d'incidence sur le résultat de la Société de Projet (...) ". La TABIF figure parmi les impôts énumérés par cet article.
4. La société Opale Défense fait valoir qu'à la date de la signature du contrat de partenariat, le 30 mai 2011, son assujettissement à la TABIF était neutre pour elle, dès lors que le ministère devait lui verser, au moyen de la redevance gestion, le montant dont elle s'acquittait à ce titre, cette somme étant par ailleurs déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Si la non-déductibilité de la TABIF de l'assiette de l'impôt sur les sociétés à compter de l'exercice de 2015 a eu pour effet de soumettre à cet impôt la part de la redevance gestion constituée de la refacturation de la TABIF, il résulte toutefois des clauses claires et précises de l'article 36 du contrat de partenariat que l'impôt sur les sociétés, dont la société Opale Défense est redevable à raison de son fonctionnement, a vocation à être supporté par elle. Ces clauses ne peuvent, dès lors, être interprétées comme impliquant que la société Opale Défense refacture à l'Etat le surplus d'impôt sur les sociétés lié à la non-déductibilité de la TABIF de l'assiette de cet impôt. La circonstance que l'Etat récupère, en sa qualité d'autorité publique et non en tant que partie au contrat, au moyen de l'impôt sur les sociétés, une partie de la TABIF que la société Opale Défense lui refacture est, à cet égard, sans incidence sur l'interprétation qu'il convient de faire des clauses du contrat. Dans ces conditions, la société Opale Défense ne peut prétendre au paiement du surcroît d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée de 2015 à 2019 en raison de la non-déductibilité de la TABIF de l'assiette de cet impôt sur le fondement de l'article 36 du contrat de partenariat du 30 mai 2011.
5. En second lieu, aux termes de l'article 44 du contrat de partenariat, relatif au changement de loi : " 44.1 Au sens du présent Article, on entend par changement de loi toute modification, création, suppression d'une réglementation ou changement d'interprétation par le Conseil d'Etat ou la Cour de Cassation, y compris les normes techniques, ainsi que, pour les matières fiscale et comptable, tout changement d'interprétation des administrations compétentes, dont l'intervention ne pouvait être raisonnablement anticipée au regard des projets de réglementation en discussion et ayant fait l'objet d'une publicité préalablement à la Date d'entrée en vigueur. / 44.2 Les conséquences financières (...) des changements de loi intervenus avant la Date effective de mise à disposition de la Phase 2 sont supportées par le Titulaire, dans la limite d'un montant de deux millions (2 000 000) d'Euros courants pour les investissements relatifs aux Ouvrages, de deux-cent cinquante mille (250 000) Euros courants pour les investissements relatifs aux Travaux SIC, et selon les mécanismes de l'Article 44.3 pour les conséquences relatives aux Prestations. / 44.3 Lorsqu'un changement de loi intervenant après la Date effective de mise à disposition de la Phase 2 entraîne une dégradation ou une amélioration significative de l'équilibre économique du Contrat, les Parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures à prendre en vue de permettre la poursuite du Contrat dans des conditions non significativement dégradées ou améliorées. / Pour les besoins du présent Article 44.3, le seuil de dégradation significative de l'équilibre économique du Contrat s'entend des cas où l'impact financier de la survenance d'un ou de plusieurs événements rentrant dans le champ du présent Article 44.2 implique : / - une augmentation, cumulée sur une période de soixante (60) mois, de (l'assiette des coûts étant entendue comme annuelle) deux pour cent (2 %) des Coûts d'exploitation - maintenance, ou / - une augmentation, cumulée sur une période de douze (12) mois, de (l'assiette des coûts étant entendue comme annuelle) cinq pour cent (5 %) de la fraction des Coûts des services correspondant à l'une des prestations suivantes : nettoyage, accueil / gardiennage, autres services, et de deux et demi pour cent (2,5 %) de la fraction des Coûts des services correspondant à la restauration ; ou / - une augmentation, cumulée sur une période de douze (12) mois, de (l'assiette des coûts étant entendue comme annuelle) deux pour cent (2 %) des Coûts des SIC (hors fraction des Coûts des SIC de même nature que les Coûts d'investissement et les Coûts de financement), ou / - une augmentation cumulée, sur une période de soixante (60) mois, de l'assiette des coûts étant entendue comme annuelle) dix pour cent (10 %) des Coûts du Mobilier (hors fraction des Coûts du Mobilier de même nature que les Coûts d'investissement et les Coûts de financement) ou /- une augmentation, cumulée sur une période de soixante (60) mois, de (l'assiette des coûts étant entendue comme annuelle) deux pour cent (2 %) des Coûts de renouvellement. / Il est précisé qu'en-deçà du seuil de dégradation significative de l'équilibre économique du Contrat tel qu'entendu ci-dessus, les conséquences des changements de lois sont à la charge exclusive du Titulaire (...) ".
6. Il résulte de ces stipulations que les conséquences financières des changements de loi intervenus avant la date effective de mise à disposition de la phase 2 sont supportées par le titulaire, dans les limites fixées à l'article 44.2 du contrat de partenariat pour les investissements relatifs aux ouvrages et aux travaux SIC et dans celles fixées à l'article 44.3 pour les prestations mentionnées par cet article. En l'espèce, la non-déductibilité de la TABIF de l'assiette de l'impôt sur les sociétés résulte d'une loi du 29 décembre 2014, intervenue avant la date effective de mise à disposition de la phase 2. Le surcroît d'impôt sur les sociétés dont s'est acquittée la société Opale Défense en raison de ce changement n'entrant dans le champ d'application d'aucun des investissements mentionnés à l'article 44.2 et d'aucune des prestations mentionnées à l'article 44.3, il doit, en conséquence, être supporté intégralement par la société Opale Défense.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Opale Défense n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Opale Défense demande sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Opale Défense la somme que l'Etat demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Opale Défense est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre des armées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Opale Défense et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03227