La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°24PA00884

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 04 juillet 2024, 24PA00884


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé de le transférer vers la Suède, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2325596/8 du 19 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris, après avoir considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'ai

de juridictionnelle de M. C... E..., a annulé l'arrêté du préfet de police du 24 octobre 2023, a enjoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé de le transférer vers la Suède, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2325596/8 du 19 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris, après avoir considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de M. C... E..., a annulé l'arrêté du préfet de police du 24 octobre 2023, a enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Pafundi au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 février 2024, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement du 19 janvier 2024 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- le motif d'annulation retenu par le tribunal n'est pas fondé ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. C... E... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. C... E..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Desvigne-Repusseau a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E..., ressortissant somalien, né le 11 novembre 1999, a demandé l'asile en France le 30 mai 2023. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées le 17 novembre 2015 en Suède où il avait sollicité l'asile. Ayant délivré à M. C... E... une attestation de demande d'asile portant la mention " procédure Dublin ", le préfet de police a saisi le 12 juin 2023 les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge de M. C... E... sur le fondement des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces autorités ont accepté expressément la reprise en charge de M. C... E... le 13 juin 2023. Par un arrêté du 27 juin 2023, le préfet de police a décidé de transférer M. C... E... vers la Suède, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement n° 2316297/8 du 5 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté au motif que le préfet de police l'a entaché d'un défaut d'examen de la situation personnelle de M. C... E... faute de ne pas avoir pris en considération la présence de ses deux frères en France, et a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. C... E.... A la suite de ce jugement, le préfet de police a décidé à nouveau, par un arrêté du 24 octobre 2023, de transférer M. C... E... vers la Suède. Le préfet de police fait appel du jugement n° 2325596/8 du 19 janvier 2024 en tant que la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 24 octobre 2023.

Sur le motif d'annulation retenu en première instance :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement / (...) ".

3. La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Pour annuler l'arrêté attaqué, la première juge s'est fondée sur le motif tiré d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Toutefois, si M. C... E... soutient que ses deux frères vivent en France où la qualité de réfugié leur a été reconnue et que l'un d'eux l'héberge depuis son arrivée en France, les éléments versés au dossier de première instance par l'intéressé ne suffisent pas à attester qu'il entretiendrait avec ses frères, dont le lien de parenté n'est pas au demeurant établi, des liens intenses et anciens, alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... E..., qui est entré en France le 19 mai 2023, était présent sur le territoire français depuis seulement cinq mois à la date de l'arrêté attaqué et qu'il a vécu en Suède pendant près de huit ans jusqu'à son arrivée en France. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... E... serait dans une situation de vulnérabilité particulière qui rendrait nécessaire la présence de ses frères pour l'assister dans ses démarches durant l'examen de sa demande d'asile, et dont il résulterait que le préfet aurait, en s'abstenant d'admettre l'examen de sa demande d'asile à titre dérogatoire par la France et en décidant son transfert vers la Suède, commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la première juge a annulé l'arrêté portant transfert de M. C... E....

5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés en première instance :

6. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-01047 du 11 septembre 2023, qui a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris du même jour et mis en ligne sur le site internet de la préfecture, le préfet de police a donné délégation à Mme B..., attachée d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquels figurent les arrêtés de transfert. Si la version de la délégation de signature du 11 septembre 2023 publiée au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture, ne comporte pas la signature manuscrite du préfet de police, cette délégation, régulièrement publiée, vise le décret portant la nomination de M. D... A... en tant que préfet de police et porte la mention " D... A... ". La seule circonstance que cette version publiée ne comporte pas la signature manuscrite du préfet de police n'est pas de nature à faire regarder l'original comme ayant été pris en violation des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration qui prévoit que toute décision administrative est revêtue de la signature de son auteur. Par suite, M. C... E... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente.

7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. L'arrêté attaqué vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et précise que M. C... E... a été identifié comme ayant sollicité l'asile en Suède le 17 novembre 2015 et que les autorités suédoises, saisies par la France le 12 juin 2023, ont expressément accepté de le reprendre en charge en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement précité. Dès lors, l'arrêté en litige, dont la motivation s'apprécie indépendamment du bien-fondé des motifs retenus par le préfet de police, énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde avec une précision suffisante pour permettre à M. C... E... de comprendre les motifs de la décision et, le cas échéant, d'exercer utilement son recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.

10. En troisième lieu, le guide du demandeur d'asile en France doit être remis, en vertu de l'article R. 521-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France, et la remise de la brochure " Les empreintes digitales et Eurodac ", en application des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Dès lors, M. C... E... ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté décidant son transfert aux autorités suédoises, que ces documents ne lui auraient pas été remis avant le relevé de ses empreintes digitales.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 / (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. C... E... s'est vu remettre, contre signature, la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ") et la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' "). Si M. C... E... soutient que ces documents, qui lui ont été remis le 30 mai 2023, ne comportaient pas l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il ressort cependant des pièces du dossier qu'il est indiqué, au-dessus de la signature apposée par M. C... E... sur chacun des documents, le nombre de pages qu'ils comportaient. A cet égard, l'intéressé ne produit pas plus en appel qu'en première instance une copie de ces brochures, alors qu'il a signé le résumé de l'entretien individuel à l'issue duquel il a déclaré que les brochures lui avaient été remises. Si M. C... E... fait valoir que les brochures devaient être remises dans une langue qu'il comprend, les documents remis étaient rédigés en somali, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, doit être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

14. Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de cet entretien versé au dossier de première instance par le préfet de police, que M. C... E... a bénéficié d'un entretien individuel le 30 mai 2023 dans les locaux de la préfecture de police, que cet entretien a été réalisé par le truchement d'un interprète en langue somali, langue que l'intéressé a déclaré comprendre, et qu'il a ainsi eu la possibilité de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. L'intéressé ne fait état devant la Cour d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Si le résumé de l'entretien individuel, dont l'intéressé a eu connaissance comme l'atteste l'apposition de sa signature, ne mentionne pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, le préfet de police établit, en produisant en première instance le résumé de l'entretien individuel, sur lequel est apposé un cachet portant la mention " Préfecture de police, Délégation à l'Immigration, Bureau de l'accueil de la demande d'asile, 92, boulevard Ney - 75018 Paris ", que M. C... E... a bénéficié d'un entretien individuel mené, le 30 mai 2023, dans les locaux de la préfecture de police par un agent de ce bureau. Sauf élément particulier en sens contraire, un agent du bureau chargé de la demande d'asile doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Or, M. C... E... n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations selon lesquelles l'entretien n'aurait pas été conduit par une personne qualifiée en vertu du droit national, alors qu'il ressort des pièces du dossier que cet entretien, qui a permis de l'inviter à fournir les informations en sa possession, utiles au processus de détermination de l'Etat membre responsable, a été conduit par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile. Dès lors que l'entretien de M. C... E... a été mené par une personne qualifiée au sens des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par ailleurs, il ne résulte ni des dispositions du règlement du 26 juin 2013, ni d'aucune autre disposition législative ou règlementaire que l'agent chargé de mener l'entretien individuel en vue de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, devrait bénéficier d'une délégation de signature du préfet de police. Enfin, les dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'imposent pas qu'une relecture du résumé de l'entretien individuel soit réalisée avant sa signature, ni qu'une copie de ce résumé soit remis d'office à l'intéressé, ni que le résumé mentionne la possibilité pour son conseil d'en solliciter la communication, ni encore que la durée de l'entretien soit mentionnée dans ce résumé. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, doit être écarté.

15. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 122-1, et non l'article L. 211-5 comme invoqué, du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ". Toutefois, l'ensemble des règles relatives au respect des droits de la défense applicables aux décisions de transfert est entièrement déterminé par les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre de ces décisions. Le moyen tiré de leur méconnaissance doit donc être écarté comme inopérant.

16. En septième lieu, aux termes du 1 de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne ". Aux termes du 1 de l'article 25 de ce règlement : " L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines ".

17. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des pièces du dossier de première instance que les autorités françaises ont saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge le 12 juin 2023 et que la Suède y a donné son accord, de façon explicite, le 13 juin 2023.

18. En huitième lieu, les dispositions de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 régissent la procédure applicable aux requêtes aux fins de reprise en charge lorsqu'aucune nouvelle demande d'asile n'a été introduite dans l'Etat membre procédant au transfert de l'intéressé. La situation de M. C... E... ne relevant pas de ces dispositions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de cet article comme inopérant.

19. En neuvième lieu, le 2 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que la décision de transfert " (...) contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable / (...) ".

20. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué, qui a été notifié à M. C... E... en présence d'un interprète en langue somali, comporte les informations utiles quant aux voies et délais de recours et précise que l'intéressé doit se présenter aux autorités chargées du contrôle aux frontières de l'Etat membre responsable, pour l'examen de sa demande d'asile. Par suite, alors que les dispositions citées au point précédent n'imposent pas la mention systématique des informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter mais précisent uniquement que ces informations sont indiquées " si nécessaire ", le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit, en tout état de cause, être écarté comme manquant en fait.

21. En dixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

22. Si M. C... E..., qui est célibataire et sans enfant à charge, soutient que ses deux frères vivent en France où la qualité de réfugié leur a été reconnue et que l'un d'eux l'héberge depuis son arrivée en France, les éléments versés au dossier de première instance par l'intéressé ne suffisent pas à attester qu'il entretiendrait avec ses frères, dont le lien de parenté n'est pas au demeurant établi, des liens intenses et anciens, alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... E..., qui est entré en France le 19 mai 2023, était présent sur le territoire français depuis seulement cinq mois à la date de l'arrêté attaqué et qu'il a vécu en Suède pendant près de huit ans jusqu'à son arrivée en France. Dans ces conditions, l'arrête attaqué n'a pas porté au droit de M. C... E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Cet arrêté n'a dès lors pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet de police n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

23. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

24. La Suède étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités suédoises répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

25. M. C... E... soutient que son transfert vers la Suède entraînerait par ricochet son renvoi dans son pays d'origine où il encourrait un risque réel et sérieux d'être exposé à des actes de persécutions ainsi qu'à des atteintes graves en raison du conflit armé sévissant en Somalie. Toutefois, la décision de transfert attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'intéressé vers la Somalie, mais seulement de prononcer son transfert en Suède. A cet égard, il n'est pas établi, ni même allégué, qu'il existerait des défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs. Par ailleurs, si le requérant se prévaut du rejet de sa demande d'asile par les autorités suédoises et de l'échec de ses recours relatifs à sa demande de permis de séjour devant le tribunal administratif de Göteberg, tribunal de l'immigration, et la cour administrative d'appel de Stockholm, il ne peut être regardé, de ce seul fait, comme établissant les craintes dont il fait état quant au défaut de protection en Suède. Par suite, les moyens tirés de ce que le préfet de police aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être écartés.

26. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté à l'origine du litige. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter, dans cette mesure, la demande de M. C... E... présentée devant le Tribunal administratif de Paris.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2325596/8 du 19 janvier 2024 de la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. C... E... présentée devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. F... C... E....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,

B. AUVRAY

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00884


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00884
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;24pa00884 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award