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04/07/2024 | FRANCE | N°23PA04840

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 04 juillet 2024, 23PA04840


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département du Tarn a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie et des finances ont rejeté ses demandes du 22 septembre 2020 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du revenu de solidarité active (RSA) pris depuis le décret n° 2

013-793 du 30 août 2013 et d'enjoindre aux ministres concernés, sous astreinte de 200 euros p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département du Tarn a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie et des finances ont rejeté ses demandes du 22 septembre 2020 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du revenu de solidarité active (RSA) pris depuis le décret n° 2013-793 du 30 août 2013 et d'enjoindre aux ministres concernés, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d'édicter, dans un délai de deux mois, pour chacun des décrets de revalorisation du RSA en cause, après avis de la commission consultative sur l'évaluation des charges du comité des finances locales, l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales.

Par un jugement n° 2021771/2-1 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 novembre 2023 et le 10 mai 2024, le département du Tarn, représenté par Me Hourcabie, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2021771/2-1 du 26 septembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie et des finances ont rejeté ses demandes du 22 septembre 2020 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA pris depuis le décret n° 2013-793 du 30 août 2013 ;

3°) d'enjoindre à l'Etat d'édicter, après avis de la commission consultative sur l'évaluation des charges du comité des finances locales, pour chacun des décrets n° 2013-793 du 30 août 2013, n° 2014-1127 du 3 octobre 2014, n° 2015-1231 du 6 octobre 2015, n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 et n° 2017-739 du 4 mai 2017, portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, l'arrêté prévu par l'article L. 1614- 3 du code général des collectivités territoriales, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il retient l'inopérance des moyens tirés de ce que les ministres étaient dans l'obligation d'édicter l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales et qu'ils ne pouvaient s'exonérer de cette obligation en invoquant des compensations financières ; les premiers juges ont omis de répondre à ces moyens ;

- l'édiction de l'arrêté du 2 décembre 2020 n'implique pas que les moyens qui étaient soulevés à l'encontre des décisions implicites en litige doivent être regardés comme dirigés contre cet arrêté ; les moyens tirés de ce que les ministres étaient dans l'obligation d'édicter l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales et qu'ils ne pouvaient s'exonérer de cette obligation en invoquant des compensations financières ne peuvent être écartés comme inopérants ;

- l'arrêté du 2 décembre 2020 ne peut se substituer aux cinq arrêtés constatant le montant des dépenses résultant des accroissements de charges dus aux mesures de revalorisations exceptionnelles du RSA, qui auraient dû être pris dans un délai de six mois après la publication de chacun des décrets mettant en œuvre cette revalorisation exceptionnelle et qui auraient permis de connaître les incidences propres de chacun de ces décrets ;

- en se bornant à fixer le montant annuel des accroissements cumulés de charges résultant, à compter du 1er septembre 2018, des cinq décrets portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, l'Etat a méconnu ses obligations ;

- l'Etat n'a pas respecté le délai de six mois courant à compter de la publication des dispositions réglementaires accroissant les charges transférées pour prendre les arrêtés constatant le montant des dépenses résultant des accroissements de charges dus aux mesures de revalorisations exceptionnelles du RSA ; ce délai s'applique quand bien même plusieurs textes successifs seraient pris pour la mise en œuvre d'un plan d'action pluriannuel ;

- il a été privé de la possibilité d'apprécier en temps utile les incidences de chaque décret portant revalorisation du montant forfaitaire du RSA.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'exécution du jugement n° 1815544/2-1, 1815545/2-1, 1816740/2-1 du tribunal administratif de Paris du 30 juin 2020 impliquait de ne prendre qu'un seul arrêté pour constater le montant des dépenses résultant des accroissements cumulés de charges dus aux mesures de revalorisations exceptionnelles du RSA ;

- par l'arrêté du 2 décembre 2020, publié au Journal officiel de la République française le 5 décembre 2020, c'est-à-dire moins de six mois après la notification du jugement du 30 juin 2020, l'Etat a fixé, après avis de la commission consultative pour l'évaluation des charges, le coût annuel des revalorisations exceptionnelles du RSA à compter du 1er septembre 2018 à un montant total de 1 399 805 208 euros pour l'ensemble des départements ;

- les effets financiers définitifs des revalorisations exceptionnelles du RSA n'ont été connus qu'à partir du 1er septembre 2018, ce qui justifie le choix de présenter de manière globalisée les charges nouvelles constatées par l'arrêté du 2 décembre 2020 s'agissant d'une réforme compensée dans sa totalité dès sa mise en œuvre ; ce choix est également dicté par le respect de l'objectif de lisibilité et de clarté de la norme ;

- la date de prise d'effet de l'arrêté fixée au 1er septembre 2018 correspond au jour à compter duquel les effets financiers définitifs du cinquième décret portant revalorisation du montant forfaitaire du RSA ont pu être définitivement connus et chiffrés par les services de la caisse nationale d'allocations familiales et de la caisse de la mutualité sociale agricole et ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 1614-3 et L. 1614-5-1 du code général des collectivités territoriales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

-les décrets n° 2013-793 du 30 août 2013, n° 2014-1127 du 3 octobre 2014, n° 2015-1231 du 6 octobre 2015, n° 2016-1726 du 29 septembre 2016 et n° 2017-739 du 4 mai 2017 portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du revenu de solidarité active ;

- l'arrêté interministériel du 2 décembre 2020 fixant le montant des accroissements de charge résultant pour les départements des revalorisations exceptionnelles du RSA ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rouikha, représentant le département du Tarn.

Considérant ce qui suit :

1. Par cinq décrets en date des 30 août 2013, 3 octobre 2014, 6 octobre 2015, 29 septembre 2016 et 4 mai 2017, le Premier ministre a procédé à cinq revalorisations du montant forfaitaire du revenu de solidarité active (RSA) conformément à l'engagement pris par le Gouvernement dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013, engagement selon lequel, en 2017, le montant forfaitaire du RSA socle aurait gagné 10 % en sus de l'inflation. Par des courriers du 22 septembre 2020, reçus le 24 septembre suivant, le président du conseil départemental du Tarn a saisi respectivement le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie, des finances et de la relance d'une demande tendant à ce que, d'une part, soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales, constatant le montant des dépenses du département résultant de l'accroissement de charges à la suite de la revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, pour chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du RSA et, d'autre part, lui soit versée une compensation financière d'un montant total de 23 753 000 euros au titre de l'accroissement de ses charges dû à cette revalorisation exceptionnelle du RSA pour la période comprise entre 2013 et 2019. Ces demandes ont été implicitement rejetées. Le 18 décembre 2020, le département du Tarn a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation des décisions implicites du ministre de l'intérieur et du ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qu'elles ont rejeté sa demande tendant à l'édiction de cinq arrêtés sur le fondement de l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales. Par un jugement du 26 septembre 2023, dont le département du Tarn relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Le tribunal a indiqué qu'en exécution du jugement n° 1815544/2-1- n° 1815545/2-1- n° 1816740/2-1 du 30 juin 2020 du tribunal administratif de Paris, devenu définitif, était intervenu le 2 décembre 2020, postérieurement aux demandes du département du Tarn du 22 septembre 2020 et à la naissance des décisions implicites de rejet contestées devant lui, dans le délai de recours ouvert à l'encontre de ces décisions implicites, un arrêté conjoint qui fixait, après consultation de la commission consultative pour l'évaluation des charges, pour chaque collectivité, le coût annuel des revalorisation à compter du 1er septembre 2018 à 1 399 805 208 euros pour l'ensemble des départements. Les premiers juges ont ensuite considéré que les moyens soulevés à l'encontre des refus implicites en litige devaient être regardés comme dirigés contre l'arrêté interministériel intervenu le 2 décembre 2020. Ils en ont déduit que " les moyens tirés de ce que les ministres étaient dans l'obligation d'édicter l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales ainsi que celui tiré de ce qu'elle ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant des compensations financières deviennent inopérants et doivent être rejetés ". Ils ont ainsi, implicitement mais nécessairement, considéré que l'arrêté du 2 décembre 2020 se substituait aux refus implicites attaqués. Ce faisant, le tribunal, devant lequel cette inopérance était pourtant contestée dès lors qu'il était soutenu que l'édiction de ce seul arrêté ne suffisait pas à satisfaire aux prescriptions posées par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales et ne répondait pas à la demande soumise aux ministres, a insuffisamment motivé son jugement. Dans ces conditions, le jugement attaqué est insuffisamment motivé et, par suite, irrégulier.

4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le département du Tarn devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales : " Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant par l'Etat aux collectivités territoriales ou à leurs groupements des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 1614-2 du même code : " Toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'Etat, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée dans les conditions prévues à l'article L. 1614-1. Toutefois, cette compensation n'intervient que pour la partie de la charge qui n'est pas déjà compensée par l'accroissement de la dotation générale de décentralisation mentionnée à l'article L. 1614-4 ". L'article L. 1614-3 du même code prévoit que : " Le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé du budget, après avis de la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, dans les conditions définies à l'article L. 1211-4-1. (...) ". Aux termes de l'article L. 1614-5-1 du même code : " L'arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé du budget constatant soit des accroissements ou diminutions de charges en application des dispositions de l'article L. 1614-3, soit des pertes de produit fiscal en application des dispositions de l'article L. 1614-5, intervient dans les six mois de la publication des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles il se rapporte ".

6. Chacun des décrets des 30 août 2013, 3 octobre 2014, 6 octobre 2015, 29 septembre 2016 et 4 mai 2017 a pour objet de fixer à des niveaux plus élevés le montant forfaitaire mensuel mentionné à l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles. La majoration de ce montant à compter du mois de septembre de chacune de ces années modifie des règles relatives à l'exercice de compétences transférées, au sens des dispositions du second alinéa de l'article L. 1614-2 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient la compensation des charges nouvelles en résultant. Chacune de ces revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire du RSA socle a nécessairement entraîné des dépenses nouvelles pour les départements. Il appartenait, dès lors, au ministre chargé de l'intérieur et au ministre chargé du budget de prendre conjointement, après avis de la commission consultative d'évaluation des charges du Comité des finances locales, l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales constatant le montant des dépenses résultant de l'accroissement des charges correspondant à chacun de ces décrets, dans le délai de six mois à compter de leur publication.

7. Il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé de l'intérieur et le ministre chargé du budget n'ont pas pris les arrêtés constatant le montant des dépenses résultant des accroissements de charges pour les départements dans les six mois qui ont suivi la publication des décrets des 30 août 2013, 3 octobre 2014, 6 octobre 2015, 29 septembre 2016 et 4 mai 2017 portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1614-5-1 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, postérieurement aux demandes du département du Tarn du 22 septembre 2020 tendant notamment à ce que ces arrêtés soient édictés, et postérieurement à la naissance des décisions implicites de rejet contestées, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales et le ministre délégué auprès du ministre de l'économie des finances et de la relance, chargé des comptes publics ont, par arrêté conjoint du 2 décembre 2020 pris après consultation de la commission consultative pour l'évaluation des charges du Comité des finances locales, fixé, à compter du 1er septembre 2018, le coût annuel de ces revalorisations à 1 399 805 208 euros pour l'ensemble des départements et arrêté ce coût à 7 881 287 euros pour le département du Tarn. Cet arrêté évalue donc le montant des dépenses résultant des accroissements de charge résultant, en année pleine, et à compter du 1er septembre 2018, des cinq revalorisations successivement intervenues depuis le 1er septembre 2013, sans préciser le montant de l'accroissement des charges induit, entre ces deux dates, par chacune des revalorisations annuelles du montant forfaitaire du RSA décidées par les cinq décrets. Par cet arrêté, les ministres ont fait droit à la demande du département du Tarn en tant qu'elle portait sur le montant des accroissements de charges induits, à compter du 1er septembre 2018, par les cinq décrets en cause. Cependant, dès lors que les demandes du département tendaient à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des cinq décrets portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, cet arrêté ne peut être regardé comme s'étant entièrement substitué aux refus implicites contestés, qui demeurent, dans cette mesure, en litige.

8. Pour justifier l'abstention du pouvoir règlementaire sur les points demeurant en litige, le ministre de l'intérieur fait valoir que la date du 1er septembre 2018, à compter de laquelle l'arrêté du 2 décembre 2020 constate les dépenses induites par les revalorisations successives du montant forfaitaire du RSA socle, correspond au jour à compter duquel les effets financiers définitifs du cinquième décret ont pu être définitivement connus et chiffrés par les services de la caisse nationale d'allocations familiales et de la caisse de mutualité sociale agricole et que, par ailleurs, les décrets de revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA étant indissociables les uns des autres, il ne serait pas " opérant " d'envisager les effets de ces décrets pris individuellement. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et tout particulièrement du procès-verbal de la séance de la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales qui s'est tenue le 21 octobre 2020 et de la délibération n° 20-1 rendue par cette instance que, pour évaluer le montant des dépenses en cause, ces services ont, dans un premier temps, évalué le coût de la revalorisation du RSA année par année, pour chaque foyer bénéficiaire du RSA sur les douze mois glissants de chaque revalorisation à compter de la date d'entrée en vigueur de chaque décret de revalorisation, avant de calculer ce coût globalement, en procédant à des ajustements pour tenir compte des événements susceptibles d'interférer sur l'ouverture ou le montant des droits des bénéficiaires et en complétant cette évaluation par une évaluation des surcoûts liés à l'augmentation du nombre de bénéficiaires induite par la revalorisation. Ils ont, dans un deuxième temps, calculé le coût de chaque revalorisation sur les années suivant l'année de référence, et, enfin, agrégé le coût pluriannuel de chaque décret. Eu égard aux différentes étapes de ce calcul, le coût de chaque décret ayant été calculé isolément pour être ensuite agrégé afin de procéder à une évaluation globale de la réforme, la circonstance, invoquée en défense, selon laquelle les effets financiers définitifs de la réforme des revalorisations exceptionnelles du RSA conduite à son terme n'auraient été connus qu'à partir du 1er septembre 2018, n'apparaît pas de nature à faire obstacle à la mesure des effets de chacune des étapes intermédiaires, correspondant à l'entrée en vigueur, au 1er septembre de chaque année, des cinq revalorisations en cause qui contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur ont pu être appréciées de manière isolée.

9. Le ministre de l'intérieur ne saurait davantage invoquer utilement une " pratique constante et jamais remise en cause jusqu'à présent " de la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, selon laquelle il n'entrerait pas dans le périmètre de l'arrêté prévu par le code de détailler le surcoût des revalorisations passées mais seulement d'arrêter, pour l'avenir, les effets pérennes de la réforme. Il ne saurait davantage se prévaloir d'un avis favorable sur la méthodologie d'évaluation des charges qui a été présentée devant la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, alors au demeurant qu'il ressort de la lecture de la délibération n° 20-1 mentionnée ci-dessus qu'en présence d'un partage des voix, l'avis a simplement été réputé donné. Enfin, la question de l'édiction de l'arrêté constatant le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges procédant d'une modification des règles relatives à l'exercice des compétences transférées étant, comme le fait valoir le ministre en défense, distincte de celle de l'existence et du niveau de la compensation des charges transférées, il ne saurait pas davantage valablement invoquer l'existence de mesures de compensation pour justifier l'abstention du pouvoir réglementaire sur les points en litige.

10. Les exigences de clarté et de lisibilité de la norme dont se prévaut également le ministre de l'intérieur ne font pas obstacle à l'édiction soit d'un arrêté unique, soit de cinq arrêtés pour chacun des décrets en cause, constatant de manière distincte le montant des dépenses résultant de l'accroissement des charges induit par chacune des revalorisations annuelles exceptionnelles du RSA décidées par les cinq décrets. Un constat établi de la sorte ne saurait contrevenir, contrairement à ce qui est soutenu, à la méthode préconisée, en matière de compensation des charges nouvelles transférées aux collectivités territoriales, dans l'avis rendu le 2 mai 1984 par la Section sociale du Conseil d'Etat, et selon laquelle la charge résultant de la modification des règles relatives à l'exercice des compétences transférées doit être appréciée en prenant en considération la situation de fait à laquelle la modification prend effet, et est constituée par la différence entre le coût du service tel qu'il résulte, à cette date, de l'application de la réglementation nouvelle et le coût du même service tel qu'il était imposé, à la même date, par la réglementation émanant de l'Etat, antérieurement en vigueur.

11. Enfin, les demandes du département du Tarn ne tendaient pas à l'exécution du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 30 juin 2020 mais, ainsi qu'il a été dit au point 7, portaient sur les refus opposés à des demandes présentées par ce département, et tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des cinq décrets portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA. Dès lors, les considérations tenant à la teneur et à l'étendue des mesures qu'impliquait nécessairement la correcte exécution du jugement, rendu le 30 juin 2020 par le tribunal administratif de Paris, à la demande de trois autres départements, ne sauraient être invoquées de manière pertinente en l'espèce.

12. Il résulte de ce qui précède que, alors que l'application des dispositions citées au point 5 impliquait l'adoption d'un arrêté conjoint constatant le montant des dépenses résultant de l'accroissement des charges correspondant à chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle, en se bornant à prendre, sans respecter les délais posés par l'article L. 1614-5-1 du code général des collectivités territoriales, un arrêté fixant le coût annuel de ces revalorisations à compter du 1er septembre 2018, le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie et des finances ont fait une inexacte application de l'article L. 1614-3 du code précité. Dès lors, leurs décisions implicites, en tant qu'elles rejettent les demandes du 22 septembre 2020 du département du Tarn tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales, permettant la mesure des effets de chacune des étapes intermédiaires, correspondant à l'entrée en vigueur, au 1er septembre de chaque année, des cinq revalorisations en cause, sont entachées d'illégalité et doivent, par suite, être annulées.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

13. Eu égard au motif d'annulation des décisions contestées retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l'intérieur et le ministre de l'action et des comptes publics, constatent, sous la forme d'un arrêté conjoint unique ou de cinq arrêtés conjoints, le montant des dépenses résultant, pour le département du Tarn, de l'accroissement des charges induit par chacune des revalorisations annuelles exceptionnelles du RSA décidées par les cinq décrets pris entre 2013 et 2017 en faisant apparaître, de façon distincte, le coût de chaque revalorisation sur l'année de référence au cours de laquelle elle est intervenue et sur les années suivantes, selon la méthode présentée devant la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au département du Tarn de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2021771/2-1 du 26 septembre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les décisions implicites du ministre de l'intérieur et du ministre de l'économie et des finances, en tant qu'elles rejettent les demandes du 22 septembre 2020 du département du Tarn tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales pour chacun des décrets n° 2013-793 du 30 août 2013, n° 2014-1127 du 3 octobre 2014, n° 2015-1231 du 6 octobre 2015, n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 et n° 2017-739 du 4 mai 2017 portant revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, l'arrêté prévu par l'article L. 1614 3 du code général des collectivités territoriales permettant la mesure des effets de chacune des étapes intermédiaires, correspondant à l'entrée en vigueur, au 1er septembre de chaque année, des cinq revalorisations en cause, sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et au ministre de l'action et des comptes publics, de constater, sous la forme d'un arrêté conjoint unique ou de cinq arrêtés conjoints, le montant des dépenses résultant de l'accroissement des charges induit, pour le département du Tarn, par chacune des revalorisations annuelles exceptionnelles du RSA décidées par les cinq décrets pris entre 2013 et 2017 en faisant apparaître, de façon distincte, le coût de chaque revalorisation sur l'année de référence au cours de laquelle elle est intervenue et sur les années suivantes, selon la méthode présentée devant la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 4 : L'Etat versera au département du Tarn la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du département du Tarn est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département du Tarn, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA04840 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04840
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : HOURCABIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23pa04840 ?
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