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03/07/2024 | FRANCE | N°23PA04035

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 03 juillet 2024, 23PA04035


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2213550 du 2 juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant

la cour :



Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, M. F..., représenté par Me Noel Hasbi, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2213550 du 2 juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, M. F..., représenté par Me Noel Hasbi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 2 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 1er septembre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " et " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui restituer son passeport dans le délai de quinze jours ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré de l'irrégularité de la mesure de retenue administrative ;

- l'arrêté préfectoral litigieux est entaché d'incompétence de son signataire ;

- la mesure de retenue administrative étant entachée d'irrégularité, en ce qu'elle a dépassé le délai légal, les décisions l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sont elles-mêmes entachées d'illégalité ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'est pas suffisamment motivée ;

- cette décision viole les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- sa décision est entachée d'erreurs de fait en ce qu'elle indique qu'il n'a pas été titulaire d'un titre de séjour depuis son entrée en France, et qu'il n'a entamé aucune démarche afin de régulariser sa situation ;

- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle viole les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- cette décision est dépourvue de base légale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale ;

- elle est entachée d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation, et elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois est dépourvue de base légale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai est illégale ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifiait de circonstances humanitaires au sens de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la durée de l'interdiction de retour est excessive et elle viole la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dans la mesure où elle ne tient pas compte des circonstances propres à sa situation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle partielle (55 %) à M. F... par une décision du 9 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant algérien né le 1er janvier 1991, déclare être entré en France en 2018. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint de Française, qui lui a été refusé par un arrêté du 8 juin 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis, l'obligeant en outre à quitter le territoire français, obligation qu'il n'a pas exécutée. Par un nouvel arrêté du 1er septembre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois. M. F... demande à la cour d'annuler le jugement du 2 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutient M. F..., le jugement attaqué a répondu au moyen de première instance tiré de l'irrégularité de la mesure de retenue administrative, alors au demeurant qu'il n'y était pas tenu en raison de l'inopérance de ce moyen. Le premier juge a ainsi indiqué, au point 3 du jugement, que " Le moyen tiré des conditions de la retenue administrative est inopérant à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français ". Ce jugement n'est donc pas entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. A... B..., chef du pôle instruction et mise en œuvre des mesures d'éloignement à la direction des étrangers et des naturalisations de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, qui bénéficiait d'une délégation de signature à cette fin consentie le 7 février 2022 par le préfet de la Seine-Saint-Denis et régulièrement publiée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

4. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'irrégularité de la mesure de rétention administrative à laquelle a été soumis M. F..., à le supposer même fondé, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois.

5. En troisième lieu, l'arrêté du 1er septembre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis mentionne les textes de droit et les considérations de fait sur lesquels il est fondé. Ainsi, et alors que le préfet n'était pas tenu d'énoncer l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de M. F..., il est suffisamment motivé.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ". Le préfet de la Seine-Seine-Denis n'a pas, en prenant l'arrêté attaqué, statué sur des contestations de caractère civil, ni sur des accusations en matière pénale. Le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière violant ces stipulations est donc inopérant et doit être écarté.

7. En cinquième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté attaqué, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. F....

8. En sixième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (... ) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. M. F... se prévaut de la durée de son séjour en France et de son insertion professionnelle en qualité de chauffeur-livreur depuis juin 2020. Il ressort cependant des pièces du dossier qu'il n'est entré sur le territoire français qu'en 2018, qu'il est sans charge de famille et qu'il est séparé depuis 2019 de son épouse française. Il n'établit pas par ailleurs qu'il ne disposerait plus d'attaches familiales ou de liens personnels en Algérie, où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans. Dans ces conditions, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. F.... Il n'a pas, pour les mêmes motifs, commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de ce dernier.

10. En septième lieu, au regard de ce qui vient d'être dit, la circonstance que l'arrêté attaqué ne mentionne pas que M. F... a été titulaire d'un titre de séjour en qualité de conjoint de Française, valable du 19 avril 2019 au 18 avril 2020, et indique à tort qu'il n'a entamé aucune démarche afin de régulariser sa situation depuis son entrée en France, pour regrettable qu'elle soit, est sans incidence sur la légalité de l'acte litigieux, dès lors que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait pris la même décision s'il n'avait entaché son arrêté de ces erreurs factuelles.

11. En huitième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 du présent arrêt que la décision obligeant M. F... à quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire n'est pas dépourvue de base légale.

12. En neuvième lieu, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'erreur manifeste d'appréciation, dirigés contre la décision refusant d'octroyer à M. F... un délai de départ volontaire, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9 du présent arrêt.

13. En dixième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 12 du présent arrêt que la décision obligeant M. F... à quitter le territoire français sans délai n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant vingt-quatre mois n'est pas dépourvue de base légale.

14. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-7 du même code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Enfin, aux termes de l'article L. 612-9 dudit code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est déjà soustrait à l'exécution d'une mesure d'éloignement, prononcée par un arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 8 juin 2021, comme exposé au point 1 du présent arrêt. Par ailleurs, comme il a été dit au point 9, il ne séjourne en France que depuis 2018 et n'établit pas disposer de liens forts et anciens avec la France. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas méconnu les dispositions citées au point qui précède en interdisant à l'intéressé de revenir sur le territoire français pendant vingt-quatre mois. Pour les mêmes motifs, il n'a violé ni les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni en tout état de cause de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008, régulièrement transposée par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas pris en compte l'ensemble des circonstances propres à l'intéressé.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 1er septembre 2022. Ses conclusions à fin d'annulation ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent donc être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

La rapporteure,

G. C...La présidente,

M. D...Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA04035 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04035
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : NOEL HASBI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;23pa04035 ?
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