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28/06/2024 | FRANCE | N°23PA03305

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 28 juin 2024, 23PA03305


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le service de protection des majeurs Ariane Falret, agissant en sa qualité de tuteur de Mme B... C... A..., majeure protégée, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 juin 2022 par lequel le préfet de police a refusé à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.



Par un jugeme

nt n° 2222841 du 23 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le service de protection des majeurs Ariane Falret, agissant en sa qualité de tuteur de Mme B... C... A..., majeure protégée, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 juin 2022 par lequel le préfet de police a refusé à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2222841 du 23 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juillet 2023 et 27 mai 2024, Mme A..., représentée par Me Griolet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2222841 du 23 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les décisions portées par l'arrêté du 24 juin 2022 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la décision de refus de séjour :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 423-23 du même code ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme A... n'est fondé.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris en date du 4 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marjanovic,

- et les observations de Me de Gressot, substituant Me Griolet représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, née le 10 août 2000, a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève appel du jugement du 23 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 juin 2022 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance de ce titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure.

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Pour refuser de délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade à Mme A..., le préfet de police s'est fondé sur l'avis rendu le 21 février 2022 par le collège de médecins de l'OFII, selon lequel, si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui présente un retard psychomoteur et souffre d'épilepsie, bénéficie d'un traitement médicamenteux composé de Levothyrox, de Micropakine et de Keppra ainsi que d'une prise en charge médicale pluridisciplinaire en particulier en neurologie, psychiatrie, orthodontie et gynécologie. Si la requérante soutient que ces médicaments ne seraient pas disponibles en Côte d'Ivoire, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la liste nationale des médicaments essentiels établie par le Ministère de la santé et de l'hygiène publique de ce pays, que les substances actives du Levothyrox, la Levothyroxine, ainsi que de la Mikropakine, le Valproate de sodium, y sont disponibles, et que des équivalents au Keppra comme le Phenytoine ou encore le Carbamazepine sont également disponibles, ainsi que le fait valoir sans être utilement contredit le préfet. Par ailleurs, le préfet de police justifie également de la présence de services et de médecins spécialisés en neurologie, orthodontie, psychiatrie et gynécologie en Côte d'Ivoire. Enfin, si la requérante soutient que, quand bien même le traitement approprié serait disponible, elle n'en aurait en tout état de cause pas effectivement accès en raison de son handicap lourd qui nécessite qu'elle soit aidée pour le suivi de son traitement et l'accomplissement des actes du quotidien, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que ses proches, qui l'assistaient jusqu'à son départ du pays, ne seraient pas en mesure de l'assister à nouveau dans l'accomplissement des tâches quotidiennes et de lui apporter une aide financière en complément de la couverture maladie universelle dont s'est dotée la Côte d'Ivoire en 2014. Dans ces conditions, en estimant que Mme A... pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Côte d'Ivoire, le préfet de police n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen doit être écarté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision litigieuse : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...). ".

6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, Mme A... n'établit pas qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé en Côte d'Ivoire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions rappelées au point précédent doit être écarté.

7. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7,

L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".

8. Mme A... se prévaut de ce qu'elle vit en France depuis août 2016, de ce qu'elle conserve des liens forts avec sa mère présente sur le territoire et de ce qu'elle se trouve dans une situation de particulière vulnérabilité en raison de son handicap. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante serait dans l'incapacité de bénéficier effectivement d'un traitement ainsi que d'un suivi médical appropriés dans son pays d'origine. S'il n'est pas contesté que, malgré le placement de Mme A... sous tutelle d'une association, la présence de sa mère est primordiale au regard de sa situation, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette dernière demeurerait en France de manière régulière et il n'est pas établi qu'elle serait dépourvue de tous liens privés et familiaux dans son pays d'origine, de sorte qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce qu'elle puisse bénéficier d'un soutien familial en Côte d'Ivoire. Il ne ressort encore d'aucune pièce du dossier qu'elle aurait noué des liens durables avec d'autres adultes pris en charge au sein de l'établissement spécialisé dans lequel elle réside. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police, en prenant la décision contestée, aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit, sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni davantage que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur la décision fixant le pays de destination :

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

10. D'une part, eu égard à ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... serait dans l'impossibilité d'accéder effectivement à un traitement approprié dans son pays d'origine. D'autre part, la requérante, qui n'a au demeurant pas sollicité le bénéfice d'une protection internationale, n'établit pas par les éléments généraux qu'elle verse au dossier, notamment un rapport de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de 2018 relatif à la situation des personnes en situation de handicap en Côte d'Ivoire, qu'en raison de sa situation de femme handicapée, elle encourrait, en cas de retour dans son pays d'origine, de manière suffisamment personnelle et certaine, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibées par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- M. Marjanovic, président assesseur,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.

Le rapporteur,

V. MARJANOVIC

La présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

23PA03305 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03305
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Vladan MARJANOVIC
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : GRIOLET

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-28;23pa03305 ?
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