Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015.
Par un jugement n° 2009951 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août et 21 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Sebban, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2009951 du 21 juin 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions maintenues à leur charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit ;
- les conditions de mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit ne sont pas réunies, dès lors que l'apport à la société holding ETVJ, alors en cours de constitution, des titres qu'il détenait dans les sociétés ETLB, ZELTY et BUTLERPARIS répondait à un intérêt économique ;
- l'imposition, au titre de l'année 2015, de la soulte de 196 859,40 euros prévue par le contrat d'apport méconnaît les dispositions de l'article 156 du code général des impôts, la somme concernée, portée au crédit de son compte courant d'associé, étant contractuellement indisponible jusqu'au 31 décembre 2016 ;
- la substitution de base légale demandée par l'administration est " irrecevable ", puisqu'il est privé de la garantie tenant à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit ;
- à supposer qu'il soit fait droit à la substitution de base légale demandée par l'administration, il a droit au bénéfice de l'abattement de 50% prévu à l'article 150-0 D, 1, 1 ter du code général des impôts.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 octobre et 2 décembre 2022, le ministre chargé des comptes publics conclut au non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il fait valoir :
- qu'en application de la jurisprudence issue de la décision n° 454288 rendue par le Conseil d'Etat le 31 mai 2022, il y a lieu, pour l'imposition de la soulte perçue par le contribuable, de motiver le rehaussement en base en litige non plus sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts mais sur celui de l'article 150-0 A du même code ;
- que cette substitution de base légale justifie le dégrèvement, prononcé le 27 octobre 2022, des impositions en litige à hauteur de 2 781 euros ;
- que l'application de l'abattement de 50% pour durée de détention, prévu au a) du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, justifie le dégrèvement complémentaire de 75 272 euros, prononcé le 2 décembre 2022 ;
- que, pour le surplus, les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marjanovic,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte du 17 décembre 2015, M. A... a apporté à la société ETVJ, alors en cours de constitution et dont il détient 100% du capital, l'ensemble des parts qu'il détenait dans les sociétés ETLB, ZELTY et BUTLERPARIS. En contrepartie de ces apports, il a reçu, d'une part, 20 100 parts sociales de la société ETVJ d'une valeur nominale de 100 euros et, d'autre part, une soulte de 196 859,40 euros à porter au crédit du compte courant d'associé qui sera ouvert à son nom dans les livres de cette société. Suivant la procédure de répression des abus de droit, l'administration fiscale l'a informé, par proposition de rectification du 18 décembre 2018, de la réintégration du montant de cette soulte dans ses revenus imposables à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre de l'année 2015. Par la présente requête, M. A... demande l'annulation du jugement du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales mises en conséquence à sa charge.
Sur l'étendue du litige :
2. Il résulte de l'instruction que postérieurement à l'introduction de la requête, le ministre chargé des comptes publics a, d'une part, prononcé, le 27 octobre 2022, un dégrèvement d'un montant global, en droits et pénalités, de 2 781 euros, tirant les conséquences de la substitution de base légale sollicitée en cours d'instance et, d'autre part, le 2 décembre 2022, un dégrèvement complémentaire d'un montant global de 75 272 euros, pour l'application de l'abattement de 50% pour durée de détention, prévu au a) du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts. A hauteur de ces montants, il n'y a ainsi plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre les impositions contestées dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le requérant ne peut donc utilement soutenir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, que le tribunal aurait entaché sa décision d'une erreur de droit.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes, d'une part, de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.
5. Aux termes, d'autre part, du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2015 : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. (...) / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus (...) ". En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value qu'une personne physique retire d'un apport de titres ou droits est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable bénéficie, en vertu des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du même code, d'un report d'imposition si l'apport est effectué à une société qu'il contrôle et que le montant de la soulte perçue, le cas échéant, n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l'échange.
6. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.
7. En premier lieu, si l'administration fiscale n'a pas, en l'espèce, remis en cause les motifs économiques à l'origine de la constitution de la société holding ETVJ, dont M. A... est l'unique associé, elle a en revanche estimé que le choix de limiter le capital de cette société à la somme de 2 010 000 euros, alors que les titres apportés ont été valorisés à 2 206 859,40 euros, n'avait d'autre finalité que de justifier le versement d'une soulte d'un montant de 196 859,40 euros, d'un montant légèrement inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport et placée ainsi sous le régime du report d'imposition prévu par l'article 150-0 B ter précité du code général des impôts. Après avoir observé que M. A... était la seule partie au contrat d'apport, ce qui renforçait son pouvoir décisionnaire quant aux apports effectués, et que la mise à disposition de la soulte en litige n'était pas justifiée par la nécessité de compenser un quelconque déséquilibre entre les actionnaires dans la parité d'échange, dès lors que l'intéressé détenait 100% du capital de la société bénéficiaire des apports, le service vérificateur a conclu au caractère purement artificiel de ladite soulte, n'ayant d'autre objet que de masquer l'appréhension en franchise d'impôts des liquidités détenues par la société ETLB, portées en compte courant d'associé, en relevant que le paiement de la soulte était financé par des " produits distribuables contenus dans la filiale apportée ". Par ces constats, l'administration, qui supporte la charge de la preuve en l'absence de saisine du comité de l'abus de droit fiscal, apporte des éléments suffisamment précis de nature à révéler l'existence d'une intention de M. A... d'éluder ou d'atténuer, à l'occasion de cette opération d'apport, ses charges fiscales normales, au bénéfice d'une application littérale des textes contraire à l'intention du législateur.
8. Pour contester cette analyse, le requérant se borne à soutenir que les opérations d'apports en litige ne revêtaient pas un caractère fictif et à exciper de l'intérêt économique et organisationnel qu'elles présentaient, la création d'une société holding lui permettant de regrouper l'ensemble de ses participations personnelles et d'agir ainsi en faveur du développement du groupe, sans toutefois fournir le moindre élément justifiant la stipulation de la soulte en litige. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a, à concurrence du montant de cette soulte, remis en cause, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le bénéfice du report d'imposition prévu à l'article 150-0-B ter du code général des impôts.
9. En deuxième lieu, si l'administration fiscale a initialement imposé la somme en litige de 196 859,40 euros, arrondie à 196 860 euros, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement des dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, le ministre intimé, tirant les conséquences de la décision n° 454288 rendue par le Conseil d'Etat le 31 mai 2022, sollicite, dans la présente instance, une substitution de base légale aux fins de fonder sur les dispositions de l'article 150-0 A du même code l'imposition de la soulte concernée dans la catégorie des plus-values mobilières.
10. D'une part, si M. A... soutient que cette demande de substitution de base légale serait " irrecevable ", en ce qu'elle le priverait de la garantie tenant à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal, ce dernier, qui est seulement saisi pour avis sur l'existence d'un abus de droit, n'a pas à se prononcer sur la catégorie d'imposition de la somme en litige. Par suite, le requérant, qui, bien qu'avisé de cette possibilité, n'avait pas demandé que le litige soit soumis à ce comité, n'est pas fondé à soutenir que la substitution du régime d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières à celui des revenus de capitaux mobiliers prévu au 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts initialement appliqué le priverait d'une garantie relative à la procédure d'imposition.
11. D'autre part, dans la mesure où l'administration n'a pas regardé comme constitutive d'un abus de droit l'opération d'apport elle-même mais seulement le choix de rémunérer l'apport au moyen d'une soulte bénéficiant du report d'imposition, la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit a pour seule conséquence la remise en cause, à concurrence de la soulte, du bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport et la soumission immédiate de celle-ci à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et non son imposition à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et aux prélèvements sociaux sur les produits de placement. Dès lors, la substitution de base légale demandée par le ministre chargé des comptes publics doit être admise.
12. En troisième lieu, M. A... soutient que la soulte en litige ne serait pas imposable au titre de l'année 2015 faute d'avoir été portée au crédit de son compte courant d'associé avant le 31 décembre 2015 et alors que le traité d'apport stipule qu'elle est " contractuellement indisponible jusqu'au 31 décembre 2016 ". Cependant, il ne justifie pas ni n'allègue que cette stipulation, qui engageait seulement lui-même et la société ETVJ dont il détenait 100% des parts, aurait poursuivi un quelconque objectif utile pour cette société. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, ce moyen ne peut qu'être écarté.
13. En dernier lieu, M. A..., qui a, en cours d'instance, sollicité à titre subsidiaire le bénéfice de l'abattement de 50% pour durée de détention prévu au a) du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, n'articule aucune critique sur les modalités de calcul du dégrèvement prononcé le 2 décembre 2022 par lequel l'administration fiscale a fait droit à cette demande.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander la décharge ou la réduction des impositions laissées à sa charge.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge à concurrence des dégrèvements de 2 781 euros et 75 272 euros prononcés en cours d'instance.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques de la direction régionale du contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Marjanovic, président assesseur,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 28 juin 2024.
Le rapporteur,
V. MARJANOVICLa présidente,
H. VINOT
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA03676 2