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21/06/2024 | FRANCE | N°24PA00782

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 21 juin 2024, 24PA00782


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 31 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités néerlandaises.



Par un jugement n° 2304505 du 19 janvier 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure norm

ale.



Procédure devant la Cour :



I. Par une requête enregistrée, sous le n° 24PA007...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 31 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités néerlandaises.

Par un jugement n° 2304505 du 19 janvier 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée, sous le n° 24PA00782, le 16 février 2024, le préfet de de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil et de rejeter la demande de Mme B....

Il soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a retenu, pour annuler l'arrêté décidant le transfert de Mme B..., le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- cet arrêté ne méconnaît pas l'article 16.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 ;

- il ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Güner, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son époux était en situation régulière en France à la date de l'arrêté contesté ;

- l'arrêté contesté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle s'en remet à ses autres moyens soulevés en première instance.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 avril 2024.

II. Par une requête enregistrée, sous le n° 24PA00783, le 16 février 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de suspendre l'exécution du jugement du tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a retenu, pour annuler l'arrêté décidant le transfert de Mme B..., le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- cet arrêté ne méconnaît pas l'article 16.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 ;

- il ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Güner, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les conditions pour prononcer un sursis à exécution ne sont pas remplies.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 avril 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Saint-Macary a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 24PA00782 et n° 24PA00783 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme B..., ressortissante turque née le 27 septembre 2003, est entrée en France le 22 juillet 2022 et a déposé une demande d'asile le 23 décembre 2022. L'instruction de sa demande a révélé qu'elle était entrée en France en étant titulaire d'un visa délivré par les autorités néerlandaises, valable du 13 juillet 2022 au 12 août 2022. Saisies le 10 janvier 2023 d'une demande de prise en charge de Mme B..., les autorités néerlandaises ont donné leur accord le 2 mars 2023. Par un arrêté du 31 mars 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé le transfert de Mme B... aux autorités néerlandaises. Il relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté.

Sur le moyen retenu par le tribunal pour annuler l'arrêté du 31 mars 2023 :

3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

4. Si Mme B... était probablement enceinte de quelques semaines à la date de l'arrêté contesté, il ressort des pièces du dossier que le père de l'enfant qu'elle portait était en situation irrégulière en France, et avait fait l'objet, le 11 mai 2022, d'une obligation de quitter le territoire français, à la suite de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du

27 janvier 2022 rejetant comme irrecevable sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, et en tout état de cause, le père de l'enfant à naître de Mme B... n'ayant pas vocation à rester en France, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a retenu qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire.

5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif à l'encontre de cet arrêté.

Sur les autres moyens soulevés par Mme B... contre l'arrêté du 31 mars 2023:

6. En premier lieu, par un arrêté du 25 avril 2022 publié au recueil des actes administratifs, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné délégation à M. C..., adjoint au chef du bureau de l'éloignement et signataire de la décision contestée, à l'effet de signer, notamment, les décisions de transfert vers l'Etat membre de l'Union européenne responsable de la demande de protection internationale. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. En deuxième lieu, l'ensemble des règles relatives au respect des droits de la défense applicables aux décisions de transfert étant entièrement déterminées par les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ainsi que par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mme B... ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration à l'encontre de l'arrêté contesté.

8. En troisième lieu, l'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Il est, par suite, suffisamment motivé.

9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté contesté que le préfet de la Seine-Saint-Denis se serait cru en situation de compétence liée pour décider le transfert de Mme B....

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) " membres de la famille ", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers (...) ". Aux termes de l'article 10 du même règlement : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". Aux termes de l'article 11 de ce même règlement : " Lorsque plusieurs membres d'une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes : / a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux ; / b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux ".

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, Mme B... était mariée, la date de mariage mentionnée dans l'acte de naissance de son enfant étant le

20 octobre 2023. Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier, ni même n'est allégué qu'elle était liée avec le père de cet enfant par un pacte civil de solidarité. En tout état de cause, la demande d'asile de ce dernier en France a fait l'objet d'un rejet au fond le 23 novembre 2020. Dans ces conditions, Mme B... ne peut utilement invoquer les articles 10 et 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du fait de la présence en France de son conjoint. Il en résulte également que le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas procédé à un examen de sa situation au regard de ces deux articles ne peut qu'être écarté.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article 16.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque, du fait d'une grossesse (...), le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou sœurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres (...), les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette sœur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit ".

13. Mme B... ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions dès lors qu'elle ne justifie ni de la présence régulière en France de l'une des personnes mentionnées à l'article 16.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni de ce qu'elle se trouvait dans un état de dépendance en raison de sa grossesse à la date de l'arrêté contesté. Elle ne peut davantage soutenir que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait dû examiner sa situation au regard de cet article alors qu'il n'était pas informé de sa grossesse. En tout état de cause, ni l'état de dépendance de Mme B..., ni la présence régulière en France de l'une des personnes mentionnées au point précédent ne ressortent des pièces du dossier.

14. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

15. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée récemment en France et elle ne se prévaut d'aucune attache sur le territoire à l'exception de son conjoint qui, ainsi qu'il a été dit au point 4, y réside de manière irrégulière. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

16. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

17. M. B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ces stipulations dès lors qu'aucun enfant n'était né de sa relation avec son conjoint à la date de l'arrêté contesté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 31 mars 2023, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit que les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B..., ainsi que celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur la requête n° 24PA00783 :

19. La Cour annulant, par le présent arrêt, les dispositions du jugement attaqué dont le préfet de la Seine-Saint-Denis demande le sursis à exécution, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24PA00783.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA00783.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2304505 du 19 janvier 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 3 : Les demandes présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Montreuil auxquelles la magistrate désignée par la présidente du tribunal a fait droit aux articles 2 à 4 du jugement, ainsi que celles présentées devant la Cour, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à

Mme A... B....

Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00782-24PA00783


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00782
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : GUNER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;24pa00782 ?
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