Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 10 février 2023 par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.
Par un jugement n° 2303587 du 12 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et des mémoires enregistrés, sous le n° 23PA03709, les 12 août et 6 octobre 2023 et 1er mars 2024, M. A..., représenté par Me Morel, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 février 2023 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre à toute autorité administrative compétente de prendre toutes mesures utiles pour organiser son retour sur le territoire français aux frais de l'Etat dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet territorialement compétent de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Me Morel sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce au bénéficie de la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a procédé à une substitution de base légale et de motifs sans en informer les parties ;
- l'arrêté est signé par une autorité incompétente ;
- il est insuffisamment motivé et n'a pas été précédé d'un examen sérieux de sa situation ;
- il est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il a été titulaire d'une carte de résident et non d'un titre de séjour temporaire ou pluriannuel ;
- sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire méconnaît les articles L. 612-1 à L. 612-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les articles L. 612-6 à L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 janvier 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juillet 2023.
II. Par une requête et un mémoire enregistrés, sous le n° 23PA04758, les
20 novembre 2023 et 1er mars 2024, M. A..., représenté par Me Morel, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'enjoindre à toute autorité administrative compétente de prendre toutes mesures utiles pour organiser son retour sur le territoire français aux frais de l'Etat dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet territorialement compétent de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Me Morel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les conditions prévues par l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 janvier 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que M. A... ne justifie d'aucune conséquence difficilement réparable, ni du caractère sérieux des moyens énoncés dans la cadre de sa requête.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Morel, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 23PA03709 et n° 23PA04758 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. A..., ressortissant sénégalais né le 24 septembre 1991, déclare être entré en France en 1996. Il a bénéficié de deux documents de circulation pour étranger mineur valables du 9 octobre 2003 au 8 octobre 2008 puis du 3 décembre 2008 au 23 septembre 2009. Il a ensuite bénéficié d'une carte de résident valable du 12 janvier 2010 au 11 janvier 2020 dont il n'a pas sollicité le renouvellement. Par deux arrêtés du 10 février 2023, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. M. A... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté obligeant M. A... à quitter le territoire français : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté par le préfet de police qu'à la date des arrêtés contestés, M. A... résidait habituellement en France depuis qu'il avait atteint au plus l'âge de treize ans. Par suite, M. A... est fondé à soutenir, pour la première fois en appel, que la décision l'obligeant à quitter le territoire français a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux contestés.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Aux termes de l'article L. 722-7 du même code : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir avant l'expiration du délai ouvert pour contester, devant le tribunal administratif, cette décision et la décision fixant le pays de renvoi qui l'accompagne, ni avant que ce même tribunal n'ait statué sur ces décisions s'il a été saisi (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que M. A... a été éloigné d'office vers le Sénégal, le
23 novembre 2023, et ne réside plus en France à la date du présent arrêt. En outre, son éloignement a été exécuté postérieurement au rejet, par le tribunal administratif, de sa demande d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet, et alors que la saisine de la cour administrative d'appel ne faisait pas obstacle à son exécution. Enfin, la protection contre l'éloignement prévue par les dispositions précitées du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il bénéficiait a été abrogée par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Dans ces conditions, et alors, au demeurant, que M. A..., qui, en dépit de la durée de son séjour en France, ne démontre pas une insertion particulière dans la société française et a fait l'objet de plusieurs condamnations pour des faits délictuels, en 2016, 2017, 2019, 2020 et, en dernier lieu, le 7 avril 2023 à huit mois d'incarcération pour des faits de violences aggravées commis le
24 décembre 2022, ne justifie pas, devant la Cour, d'un droit au séjour en France, l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de police de réexaminer sa situation, en lui demandant de lui produire tout élément de nature à justifier de son éventuel droit au séjour en France, sans qu'il soit besoin d'ordonner que lui soit délivrée une autorisation provisoire de séjour. Un délai de trois mois lui est imparti pour y procéder, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la demande de sursis à exécution :
8. La Cour annulant, par le présent arrêt, les deux arrêtés du préfet de police du 10 février 2023, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement attaqué.
Sur les frais du litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Morel sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement.
Article 2 : Le jugement n° 2303587 du 12 avril 2023 du tribunal administratif de Paris et les arrêtés du 10 février 2023 du préfet de police sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Morel une somme de 1 200 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03709 - 23PA04758