Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 10 septembre 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un jugement n° 2124098 du 7 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 mai 2023 et le 15 avril 2024, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'irrégularité du visa litigieux ne peut pas être regardée comme manifeste dès lors que les traces de grattage et de réimpression ne sont pas visibles à l'œil nu ;
- la circonstance que, pendant la période de validité du visa Schengen litigieux apposé, des cachets d'entrée et de sortie du territoire belge ont été apposés est de nature à établir que la falsification n'était pas aisément détectable, y compris par les services de la police aux frontières.
Par un mémoire enregistré le 11 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Verté, représentant la société Air France.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 10 septembre 2021, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France une amende de 10 000 euros, sur le fondement de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour avoir, le 21 février 2021, débarqué sur le territoire français un ressortissant togolais dont le visa de long séjour belge était manifestement contrefait. La société Air France relève appel du jugement du 7 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal constatant l'infraction dressé le 22 février 2021 à 9 h 27 par un agent de la police aux frontières, que M. A..., de nationalité togolaise, a débarqué le 21 février 2021 à 5 h 32 à l'aéroport de
Roissy-Charles de Gaulle du vol n° AF 306, en provenance de Lomé. Ce procès-verbal indique en outre que le motif du refus d'admission de l'intéressé est : " défaut de visa, le visa présenté étant manifestement falsifié ". Le ministre de l'intérieur soutient à cet égard que le passeport comporte des traces de grattage et de réimpression des données biographiques bien visibles, notamment autour des mentions variables " 24-02-2020 ", " MULT " et " 180 ", traces qui ont entraîné par ailleurs l'altération complète des micro-lignes figurant en arrière-plan du document, ainsi qu'il résulterait de la planche photographique établie par l'officier de police judiciaire et produite en première instance. Toutefois, tant les traces de grattage et de réimpression invoquées que l'altération des micro-lignes ne sont décelables qu'au moyen d'un fort grossissement de ces données, nécessitant le recours à un matériel spécialisé, et ne résultent pas de l'examen normalement attentif du visa figurant sur la planche. Par suite, ce document ne saurait être regardé comme comportant des éléments d'irrégularité manifeste. Il s'ensuit que la décision attaquée est entachée d'illégalité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 septembre 2021.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Air France et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2124098 du tribunal administratif de Paris du 7 mars 2023 et la décision du ministre de l'intérieur du 10 septembre 2021 sont annulés.
Article 2 : La société Air France est déchargée du paiement de l'amende prévue par la décision mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01989 2