Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/21-0423 du 22 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la décharger du paiement de cette amende.
Par un jugement n° 2214125 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 avril 2023 et le 2 novembre 2023, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant de l'amende à la somme de 1 000 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'un vice de procédure, le procès-verbal de constatations du 25 octobre 2021 n'ayant pas de force probante en ce qui concerne la constatation de l'irrégularité, dès lors qu'il n'est pas établi que le brigadier-chef de police, qui n'a rédigé et signé ce procès-verbal que le surlendemain du jour de l'arrivée de la passagère, ait personnellement constaté le caractère manifeste de la falsification ;
- dès lors que seul l'agrandissement de la zone de grattage permet de confirmer l'irrégularité, celle-ci ne saurait être qualifiée de manifeste et d'aisément décelable lors d'un examen normalement attentif ;
- la circonstance que les autorités consulaires n'ont pas relevé l'irrégularité manifeste entachant le passeport justifie une minoration de l'amende, alors au surplus que le visa Schengen ne présente aucune irrégularité formelle et que le ministre ne conteste pas sa validité dans la décision ;
- la sanction est disproportionnée.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 juillet 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Air France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du
9 mars 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Verté, représentant la société Air France.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/21-0423 du 22 avril 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement des dispositions des articles L. 821-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 23 octobre 2021, débarqué sur le territoire français une passagère en provenance de
Pointe Noire, de nationalité indéterminée, titulaire d'un passeport manifestement contrefait. La société Air France relève appel du jugement du 21 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal constatant l'infraction dressé le 25 octobre 2021 à 11 h 18 par un agent de la police aux frontières, que Mme A... se disant Moboka Flavienne Nadège, de nationalité indéterminée, a débarqué le 23 octobre 2021 à 5 h 44 à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle du vol n° AF 835, en provenance de Pointe Noire. Ce procès-verbal indique en outre que le motif du refus d'admission de l'intéressé est : " défaut de document de voyage, le document présenté étant manifestement falsifié ". Le ministre de l'intérieur soutient à cet égard, que le passeport comporte des traces de grattage au niveau de sa numérotation, manifestes sur l'ensemble des sept chiffres, et tout particulièrement autour des quatre chiffres " 0466 ", ainsi qu'il résulterait de la planche photographique établie par l'officier de police judiciaire et produite en première instance. Toutefois, les traces de grattage invoquées ne sont décelables qu'au moyen d'un fort grossissement de ces données, nécessitant le recours à un matériel spécialisé, et ne résultent pas de l'examen normalement attentif du passeport figurant sur la planche. Par suite, ce document ne saurait être regardé comme comportant des éléments d'irrégularité manifeste. Il s'ensuit que la décision attaquée est entachée d'illégalité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 avril 2022.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Air France et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2214125 du tribunal administratif de Paris du 21 février 2023 et la décision du ministre de l'intérieur du 22 avril 2022 sont annulés.
Article 2 : La société Air France est déchargée du paiement de l'amende prévue par la décision mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYANLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01683 2