Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Transavia France a demandé au tribunal administratif de Paris de réduire le montant de l'amende prononcée par la décision du 3 février 2021 du ministre de l'intérieur de 10 000 euros à 5 000 euros.
Par un jugement n° 2107133/3 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 février 2023 et le 10 mai 2024, la société Transavia France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de réduire le montant de l'amende prononcée par la décision du ministre de l'intérieur du 3 février 2021 à la somme de 5 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'irrégularité ne saurait être qualifiée de manifeste dès lors que les nombreux tampons apposés sur le passeport du passager sont répartis sur plusieurs pages, sans ordre ni logique, ce qui rend le calcul du nombre de jours passés dans l'espace Schengen particulièrement complexe ;
- les dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 concernant les modalités d'apposition des cachets sur les passeports ont été méconnues ;
- la police aux frontières aurait dû sanctionner le passager lors de son départ de France du 4 mars 2020, date à laquelle il avait déjà dépassé la durée maximale autorisée, par l'abrogation de son visa ou en lui infligeant un droit de chancellerie majoré sur le fondement de la deuxième partie de l'article 1 du décret n° 2016-92 du 1er février 2016, ce qui l'aurait dissuadé de revenir six jours plus tard ;
- la police aux frontières aurait pu également, lors de la dernière sortie du territoire du passager, le 4 mars 2020, constater la péremption du visa par la simple apposition d'un cachet " annulé ", sur le fondement de l'article 34 du règlement (CE) n° 810/2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas), ce qui l'aurait empêché de revenir le 10 mars 2020.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Transavia France ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 26 avril 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que la société Transavia ayant uniquement demandé devant le tribunal la réduction à 5 000 euros de l'amende prononcée par le ministre de l'intérieur suivant décision R/20-0370 du 3 février 2021, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision et à la décharge totale de l'amende sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.
Des observations sur ce moyen ont été présentées pour la société Transavia France le 10 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du
13 juillet 2009 ;
- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le décret n° 2016-92 du 1er février 2016 ;
- le code des transports ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz, rapporteur,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Verté, représentant la société Transavia France.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 3 février 2021, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Transavia France, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 10 mars 2020, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité marocaine, en provenance d'Agadir, titulaire d'un visa à entrées multiples dont l'utilisation ne lui permettait pas d'entrer sur le territoire français. La société Transavia relève appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la réduction de cette amende.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Par ailleurs, selon l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 821-6 du même code, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros. Toutefois, en vertu du 2° de l'article L. 625-5, désormais codifié à l'article L. 821-8 du même code, l'amende n'est pas infligée lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
3. Ces dispositions imposent à l'entreprise de transport de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'irrégularité manifeste, décelable par un examen normalement attentif de ses agents. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016, intitulée " Modalités d'apposition du cachet " : " 1. Un cachet est systématiquement apposé sur les documents de voyage des ressortissants de pays tiers à l'entrée et à la sortie, conformément à l'article 11. (...) 3. Lors de l'entrée et de la sortie de ressortissants de pays tiers soumis à l'obligation de visa, le cachet est, en règle générale, apposé sur la page en regard de laquelle est apposé le visa ". Aux termes de la partie A intitulée " Modalités du refus d'entrée à la frontière " de l'annexe V de ce règlement : " 1. En cas de refus d'entrée, le garde-frontière compétent : (...) c) procède à l'annulation ou à la révocation du visa, le cas échéant, conformément aux conditions fixées à l'article 34 du règlement (CE)
n° 810/2009 ". Et aux termes de l'article 34 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas) : " 1. Un visa est annulé s'il s'avère que les conditions de délivrance du visa n'étaient pas remplies au moment de la délivrance, notamment s'il existe des motifs sérieux de penser que le visa a été obtenu de manière frauduleuse. Un visa est en principe annulé par les autorités compétentes de l'État membre de délivrance. Un visa peut être annulé par les autorités compétentes d'un autre État membre, auquel cas les autorités de l'État membre de délivrance en sont informées. / 2. Un visa est abrogé s'il s'avère que les conditions de délivrance ne sont plus remplies. Un visa est en principe abrogé par les autorités compétentes de l'État membre de délivrance. Un visa peut être abrogé par les autorités compétentes d'un autre État membre, auquel cas les autorités de l'État membre de délivrance en sont informées (...) ".
5. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
6. En premier lieu, si la société Transavia France soutient qu'en apposant les cachets d'entrée et de sortie sur plusieurs pages du passeport et dans le désordre, les agents de la police aux frontières auraient méconnu les modalités d'apposition des cachets telles qu'elles résultent des dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement n° 2016/399 du 9 mars 2016, ces dernières n'ont en tout état de cause qu'une valeur de recommandation. Au surplus, il résulte de l'instruction que les cachets d'entrée et de sortie du passeport du passager en cause ne présentent aucune difficulté de lisibilité. Leur apposition par les agents de la police aux frontières ne présente, par suite, aucun caractère fautif.
7. En second lieu, la société Transavia France invoque les dispositions de l'article 34 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 en soutenant que, si la police aux frontières avait annulé ou abrogé le visa Schengen du passager en cause à l'occasion de sa dernière sortie du territoire, le 4 mars 2020, date à laquelle il avait manifestement dépassé la durée maximale autorisée de 90 jours sur la période précédente de 180 jours, l'agent d'embarquement aurait décelé, par un examen normalement attentif, qu'il n'était pas autorisé à embarquer le
10 mars 2020. Toutefois, il ressort de ces dispositions que l'annulation ou l'abrogation du visa qu'elles prévoient sont subordonnées à l'examen des conditions de délivrance du visa, soit que celles-ci n'étaient en réalité pas remplies au moment de la délivrance du visa, notamment en cas de fraude, soit qu'elles ne le sont plus à la date d'un examen ultérieur. Or, la circonstance que le titulaire d'un visa ne respecte pas la durée de séjour autorisée par celui-ci, qui relève des modalités d'usage du visa, est sans rapport avec les conditions de délivrance de celui-ci. Par suite, la société Transavia France ne peut utilement invoquer ces dispositions, ni davantage faire valoir que les autorités françaises auraient dû sanctionner le passager lors de sa sortie du territoire le 4 mars 2020 en lui infligeant des droits de chancellerie majorés sur le fondement de la deuxième partie de l'article 1 du décret n° 2016-92 du 1er février 2016 pour avoir dépassé la durée de séjour autorisée par son visa, circonstance par elle-même sans incidence sur la nature du manquement commis par la compagnie.
8. Enfin, si la société Transavia soutient que le formulaire type prévu " pour notifier et motiver le refus, l'annulation ou l'abrogation d'un visa " prévoit, au titre des motifs de la décision, la circonstance selon laquelle le passager aurait " déjà séjourné sur le territoire des Etats membres pendant plus de trois mois au cours de la période de six mois en cours, sur la base de la délivrance d'un visa uniforme ou d'un visa à validité territoriale limitée ", une telle circonstance est également sans incidence sur la responsabilité de la compagnie dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 8, le non-respect des modalités d'usage du visa, qui est sans rapport avec ses conditions de délivrance, n'est pas de nature à entraîner légalement son annulation ou son abrogation au regard de l'article 34 du règlement (CE) n° 810/2009 du
13 juillet 2009 précité.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la police aux frontières n'a pas commis de faute de nature à atténuer la responsabilité de la compagnie et de justifier une minoration du montant de l'amende.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Transavia France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Transavia France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transavia France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00871 2