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21/06/2024 | FRANCE | N°23PA00392

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 21 juin 2024, 23PA00392


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... Gicquel a demandé au tribunal administratif de Paris, par deux demandes, de condamner l'Etat, seul ou solidairement avec le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, à lui verser la somme de 106 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant des fautes commises et des dysfonctionnements constatés dans la gestion de sa carrière.



Par un jugement n° 1923994/3-3 et n° 2001131/3-3 du 29 novembre

2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.



Procédure devant la C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Gicquel a demandé au tribunal administratif de Paris, par deux demandes, de condamner l'Etat, seul ou solidairement avec le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, à lui verser la somme de 106 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant des fautes commises et des dysfonctionnements constatés dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1923994/3-3 et n° 2001131/3-3 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 janvier 2023 et le 29 septembre 2023, Mme Gicquel, représentée par Me Andrieux, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions implicites de rejet de ses réclamations indemnitaires ;

3°) de condamner solidairement le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et l'Etat à lui verser la somme de 106 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable ;

4°) de mettre à la charge du CNSMDP et de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il méconnaît les dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- le jugement est entaché d'un vice de procédure à raison d'une violation du principe du contradictoire, les pièces sollicitées de l'administration par le tribunal le 22 septembre 2022, reçues par ce dernier le 26 septembre 2022, ne lui ayant pas été communiquées malgré sa demande ;

- en lui faisant signer, le 27 juin 2007, un contrat à durée indéterminée, le conservatoire a commis une faute en l'induisant en erreur quant au régime auquel elle était soumise ;

- cette faute résulte également de ce que le conservatoire l'a placée dans une position statutaire irrégulière, ce qui engage également la responsabilité de l'Etat au titre des pouvoirs de tutelle du ministre chargé de la culture sur le conservatoire ;

- la perte de rémunération de 613,35 euros par mois qu'elle a subie lors de sa dernière année de fonctions constitue une anomalie dans le déroulement normal de la carrière d'un agent public ;

- les fautes commises dans la gestion de sa carrière ont entraîné une dégradation de sa situation financière, notamment du niveau de sa pension de retraite, ce qui révèle un lourd préjudice de carrière ;

- elle ne saurait porter seule la responsabilité de la signature du contrat à durée indéterminée avec le conservatoire alors que ce dernier, ainsi que le ministre chargé de la culture, ont violé les obligations qui s'attachent à leur qualité d'employeurs ;

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce qu'elle aurait dû être intégrée aux effectifs du conservatoire ;

- le régime applicable au détachement n'aurait pas dû permettre son détachement pendant une durée de 38 ans ;

- le conservatoire et le ministre ont également commis une faute en s'abstenant d'envisager son intégration dans un corps de fonctionnaires de l'entité de destination du détachement ;

- le ministre a commis une faute en refusant de l'entendre concernant sa demande de protection fonctionnelle ainsi que d'instruire cette demande ;

- son préjudice moral, très important, est établi ;

- elle a subi une perte de gains à hauteur de 9 200,25 euros, somme qu'elle pouvait légitimement attendre de l'exécution de son contrat à durée indéterminée avec le conservatoire ;

- la baisse brutale de sa rémunération à un an de son admission à la retraite a entraîné une perte de pension de retraite évaluée à la somme de 36 000 euros sur vingt ans ;

- elle a subi des troubles dans les conditions d'existence qui doivent être évalués à la somme de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 septembre 2023, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Des pièces ont été enregistrées le 21 mai 2024 pour le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Gicquel, secrétaire administrative de classe exceptionnelle du ministère de la culture et de la communication, a été détachée auprès du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) à compter du 1er juin 2001. Son détachement a été renouvelé par période de trois ans par des arrêtés du ministre de la culture et de la communication du 31 mars 2005, du 23 avril 2009, du 3 juin 2010 et du 30 avril 2013, ce dernier maintenant Mme Gicquel en position de détachement sur contrat jusqu'au 31 mai 2016. En parallèle, Mme Gicquel a signé, le 27 juin 2007, avec le conservatoire un contrat à durée indéterminée pour exercer les fonctions de sous-directrice des affaires scolaires. Par un arrêté du 17 avril 2014, le ministre de la culture et de la communication a mis fin au détachement sur contrat de Mme Gicquel auprès du CNSMDP à compter du 30 septembre 2013 et celle-ci a été réintégrée dans les services du ministère. Par un jugement du 17 juin 2015, confirmé par un arrêt de la Cour du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et, par un arrêté du 16 septembre 2015, Mme Gicquel a été replacée en position de détachement sur contrat auprès du conservatoire à compter du 30 septembre 2013, jusqu'au 31 mai 2016. Par un arrêté du 20 mai 2016, dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par un arrêt de la Cour du

11 février 2021, la ministre chargée de la culture a réintégré Mme Gicquel au sein du ministère à compter du 1er juin 2016. Par deux demandes reçues respectivement le 26 août 2019 et le

14 novembre 2019, Mme Gicquel a demandé au ministre de la culture et au directeur du CNSMDP de l'indemniser à hauteur de la somme de 106 000 euros des divers préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises et des dysfonctionnements constatés dans la gestion de sa carrière. Ces deux autorités ont implicitement rejeté ces demandes indemnitaires. Mme Gicquel relève appel du jugement du 29 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses deux demandes tendant à la condamnation de l'Etat, seul ou solidairement avec le CNSMDP, à lui verser la somme précitée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".

3. Si Mme Gicquel soutient que les premiers juges n'ont pas procédé à l'analyse de l'ensemble des moyens des parties, elle n'apporte aucune précision de nature à identifier le ou les moyens qui seraient entachés d'un défaut d'analyse. En tout état de cause, il résulte de l'examen du jugement dont il est fait appel que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'intégralité des arguments développés par la requérante, ont visé et analysé, de façon exhaustive, l'ensemble des moyens soulevés par elle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-2 précité du code de justice administrative doit être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 611-10 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable : " Sous l'autorité du président de la chambre à laquelle il appartient et avec le concours du greffier de cette chambre, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires. Il peut demander aux parties, pour être jointes à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige ".

5. Mme Gicquel fait valoir que le jugement serait irrégulier au motif qu'elle n'aurait pas reçu communication d'une pièce dont le tribunal a demandé à l'administration le versement au dossier, le 22 septembre 2022, et qui a été reçue par lui le 26 septembre 2022. Il résulte de l'instruction que les pièces dont les premiers juges ont demandé communication, dans le cadre des dispositions précitées de l'article R. 611-10 du code de justice administrative, sont les arrêtés du ministre de la culture et de la communication des 14 juin 2010 et 30 avril 2013 maintenant Mme Gicquel en position de détachement sur contrat auprès du CNSMDP. Seul l'arrêté du 30 avril 2013 a été produit par le ministre de la culture. Si Mme Gicquel fait valoir que, contrairement à ce que soutient la ministre de la culture, elle ne disposait pas de cet arrêté dont elle n'avait en tout état de cause pas connaissance, elle ne pouvait toutefois ignorer ni l'existence ni la teneur de cet arrêté qui était mentionné, ainsi que son objet, tant au point 1 de l'arrêt de la Cour du 4 octobre 2016 statuant sur sa requête n° 15PA03358 qu'au point 1 de l'arrêt de la Cour du 11 février 2021 statuant sur sa requête n° 18PA00109. Si cet arrêté a également été mentionné au point 1 du jugement attaqué, ainsi que son objet, au titre de la présentation de l'affaire, il n'a en tout état de cause pas été, par lui-même, utile à la solution du litige et la circonstance qu'il n'a pas été communiqué n'a pas pu, par suite, préjudicier aux droits de Mme Gicquel. Il en résulte que le tribunal n'a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure en s'abstenant d'ordonner la communication de cette pièce à Mme Gicquel. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier sur ce point.

6. Enfin, Mme Gicquel soutient qu'en se bornant à énoncer, selon elle à tort, qu'elle ne justifierait pas de la durée de ses fonctions au sein du conservatoire, le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce qu'elle aurait dû être en tout état de cause intégrée aux effectifs de cet établissement. Toutefois, en motivant le jugement attaqué, à son point 11, par la circonstance que " Si un fonctionnaire titulaire peut être détaché dans un emploi de contractuel auprès d'une administration ne disposant pas d'un corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes, il ne peut y avoir d'intégration, en l'absence d'un corps susceptible de l'accueillir ", le tribunal a suffisamment répondu à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

7. Les décisions implicites par lesquelles le directeur du conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et la ministre de la culture ont refusé de faire droit aux demandes indemnitaires présentées par Mme Gicquel ont eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de cette dernière. En formulant, dans le cadre de la présente instance, les conclusions analysées ci-dessus, Mme Gicquel doit ainsi être regardée comme ayant donné à sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit du demandeur à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont seraient, le cas échéant, entachées ces décisions sont sans incidence sur la solution du litige. Au demeurant, Mme Gicquel n'a développé aucun moyen au soutien de ses conclusions à fin d'annulation qui doivent, par suite, être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

8. D'une part, aux termes de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable : " Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite. / Il est prononcé sur la demande du fonctionnaire ou d'office (...) / Le détachement est de courte ou de longue durée. / Il est révocable. / Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement, à l'exception des dispositions des articles L. 122-3-5, L. 122-3-8 et L. 122-9 du code du travail ou de toute disposition législative, réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnités de licenciement ou de fin de carrière (...) / A l'expiration de son détachement, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps d'origine. / Toutefois, il peut être intégré dans le corps de détachement dans les conditions prévues par le statut particulier de ce corps ".

9. D'autre part, aux termes de l'article 46 du même code : " Le fonctionnaire détaché ne peut, sauf dans le cas où le détachement a été prononcé dans une administration ou un organisme implanté sur le territoire d'un Etat étranger ou auprès d'organismes internationaux ou pour exercer une fonction publique élective, être affilié au régime de retraite dont relève la fonction de détachement, ni acquérir, à ce titre, des droits quelconques à pensions ou allocations, sous peine de la suspension de la pension de l'Etat (...) ". Et aux termes de l'article 14 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " Le détachement d'un fonctionnaire ne peut avoir lieu que dans l'un des cas suivants : (...) 4° a) Détachement auprès d'une administration de l'Etat ou d'un établissement public de l'Etat dans un emploi ne conduisant pas à pension du code des pensions civiles et militaires de retraite ".

S'agissant de la responsabilité :

10. Au soutien de ses conclusions indemnitaires, Mme Gicquel invoque, en premier lieu, l'illégalité du contrat qu'elle a signé le 27 juin 2007 avec le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), pour exercer les fonctions de sous-directrice des affaires scolaires, à compter du 1er juin 2007 et pour une durée indéterminée, ainsi que la faute du ministre chargé de la culture au titre de ses pouvoirs de tutelle. Il résulte de l'instruction qu'en proposant à Mme Gicquel et en concluant avec elle un contrat à durée indéterminée alors qu'il résulte des dispositions susvisées de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 que le détachement, quelle qu'en soit la durée, est révocable et qu'en l'absence de texte contraire, un fonctionnaire dont le détachement arrive à échéance n'a aucun droit à son renouvellement, le conservatoire l'a placée dans une position manifestement irrégulière et a, ce faisant, commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité. Aucune faute de l'Etat qui a renouvelé le détachement de l'intéressée n'est en revanche établie.

11. En second lieu, aux termes de l'article 21 du décret précité du 16 septembre 1985 : " Le détachement de longue durée ne peut excéder cinq années. Il peut toutefois être renouvelé par périodes n'excédant pas cinq années, sous réserve des dispositions de l'article 26 ci-dessous. / Le détachement de longue durée prononcé au titre des 1° et 2° de l'article 14 ne peut être renouvelé, au-delà d'une période de cinq années, que si le fonctionnaire refuse l'intégration qui lui est proposée dans le corps ou le cadre d'emplois concerné en application du quatrième alinéa de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983 susvisée (...) ". Par ailleurs, aux termes du dernier alinéa de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Le fonctionnaire détaché dans un corps ou cadre d'emplois qui est admis à poursuivre son détachement au-delà d'une période de cinq ans se voit proposer une intégration dans ce corps ou cadre d'emplois ". Il résulte de ces dernières dispositions que l'administration est tenue de proposer au fonctionnaire son intégration dans le corps ou le cadre d'emplois dans lequel il est détaché à l'expiration d'une période continue de cinq ans, sans attendre la fin de la période de son détachement.

12. Dès lors que Mme Gicquel se trouvait en position de détachement " sur contrat " auprès du CNSMDP et non en détachement dans un corps ou cadre d'emplois particulier, elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983 relatives à l'intégration dans le corps ou cadre d'emplois de détachement à l'expiration d'une période de détachement de cinq ans, alors en tout état de cause, que la ministre de la culture fait valoir en défense, sans être sérieusement contredite, qu'il n'existait aucun corps ou cadre d'emplois susceptible de l'accueillir. Par ailleurs, Mme Gicquel ne saurait davantage utilement soutenir qu'à défaut d'intégration dans un corps ou cadre d'emplois spécifique, le conservatoire et le ministre chargé de la culture auraient commis une faute en la maintenant pendant une durée de 37 ans dans une position de détachement dès lors qu'il résulte de la fiche d'état des services de Mme Gicquel, produite par le ministre en appel et non contestée, qu'elle n'était en détachement au sein du conservatoire que depuis le 1er juin 2001.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable à l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent, à la charge de l'administration, une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général.

14. Mme Gicquel fait valoir que le ministre aurait commis des manquements dans l'instruction de sa demande de protection fonctionnelle, dès lors qu'il ne l'aurait pas entendue ni n'aurait diligenté une enquête, malgré l'émergence de plusieurs cas simultanés de souffrance au travail du fait de l'arrivée d'une nouvelle équipe dirigeante au sein du CNSMDP. Elle invoque en outre une faute de service du ministre de la culture en ce qu'il aurait manqué à l'obligation de moyen qui lui incombe en qualité d'employeur, s'agissant d'une part de la prise en compte de la souffrance au travail exprimée et, d'autre part, de la prise de mesures destinées à protéger la santé et la sécurité des agents.

15. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'examen de la décision du 13 février 2014 par laquelle le ministre chargé de la culture a répondu à la demande de protection fonctionnelle de Mme Gicquel, que celui-ci, qui n'était tenu ni d'entendre l'intéressée ni de diligenter une enquête, a, après avoir énoncé de manière circonstanciée les différents griefs articulés par Mme Gicquel à l'encontre des " méthodes " d'encadrement du directeur et du directeur-adjoint du CNSMDP et relevé l'absence de documents et témoignages précis qui auraient permis d'en appréhender l'éventuelle gravité, procédé à une analyse précise et détaillée de ces griefs à la lumière des différents éléments et documents topiques dont il avait demandé la transmission au conservatoire et au bureau de gestion dont dépend Mme Gicquel. Le ministre en a notamment déduit qu'en l'absence de documents précis révélant des attaques caractérisant une volonté de nuire personnellement ou professionnellement à la requérante, la protection fonctionnelle ne pouvait lui être accordée. Par suite, compte tenu de l'analyse rigoureuse de la demande de protection fonctionnelle de Mme Gicquel, il ne résulte pas de l'instruction, qu'en refusant sa demande de protection fonctionnelle, le ministre, qui a pris en compte la souffrance au travail de la requérante, aurait commis des manquements, tant au regard de l'instruction que du traitement de cette demande.

16. D'autre part, si Mme Gicquel soutient que le ministre chargé de la culture aurait manqué à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents, notamment au regard de la question de la souffrance au travail, elle n'invoque, en tout état de cause, aucun élément précis de nature à caractériser des manquements à cet égard.

17. Enfin, si Mme Gicquel invoque des " anomalies " dans le déroulement de la fin de sa carrière qui résulteraient d'un " cumul " de fautes de la part de l'administration, ainsi qu'en attesteraient notamment une perte de rémunération de 613,35 euros par mois subie lors de sa dernière année de fonctions, la " découverte au bout de 38 ans qu'(elle) relève d'une administration au sein de laquelle (elle) n'a jamais travaillé " ou la circonstance qu'elle aurait vis-à-vis de son employeur une dette de plus de 50 000 euros, un tel moyen, dépourvu de toute précision et partiellement au moins inexact dès lors notamment qu'il résulte de la fiche d'état des services de Mme Gicquel qu'elle ne se trouvait en position de détachement auprès du conservatoire que depuis le 1er juin 2001, ne saurait permettre d'identifier d'autres fautes, parmi celles invoquées au titre de la présente instance, que celle mentionnée au point 10.

S'agissant du préjudice :

18. En vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci ne peut être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute et le dommage invoqué.

19. En premier lieu, la perte de rémunération dont se prévaut Mme Gicquel pour la période comprise entre le 1er juin 2016, date de sa réintégration dans son corps d'origine et le 1er octobre 2017, date de son admission à la retraite, évaluée globalement par elle à la somme de 10 000 euros n'est pas en relation directe et certaine avec la seule faute relevée à l'encontre du conservatoire, résultant de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée le 27 juin 2007, mais a seulement pour origine l'arrêté du 20 mai 2016, dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par la Cour par un arrêt du 11 février 2021, par lequel le ministre chargé de la culture l'a réintégrée au sein du ministère de la culture et l'a réaffectée à la direction générale de la création artistique, sur des fonctions correspondant à son grade dont la rémunération indiciaire était inférieure à celle qu'elle percevait lors de son détachement en qualité de sous-directrice des affaires scolaires au sein du conservatoire.

20. En second lieu, Mme Gicquel invoque, compte tenu de la baisse de sa rémunération intervenue en fin de carrière, une perte financière concernant sa pension de retraite, évaluée par elle à 1 800 euros annuels, soit 36 000 euros sur une période de vingt ans. Toutefois, à supposer même un tel préjudice indemnisable, il est constant que Mme Gicquel ayant été détachée sur le fondement du a) du 4° de l'article 14 du décret du 16 septembre 1985 précité, auprès d'un établissement public de l'Etat dans un emploi ne conduisant pas à pension du code des pensions civiles et militaires de retraite, elle a exclusivement cotisé, tout au long de sa carrière, sur la base de son appartenance au corps des secrétaires administratifs du ministère de la culture, de façon à percevoir une pension du code des pensions civiles et militaires de retraite. Par suite, elle ne peut utilement se prévaloir d'un droit à cotisation lié à son détachement sur contrat auprès du CNSMDP.

21. En troisième lieu, Mme Gicquel invoque des troubles dans ses conditions d'existence résultant, selon elle, de la situation de précarité professionnelle dans laquelle elle s'est trouvée en raison de son éviction du conservatoire, évalués par elle à la somme de 10 000 euros. Toutefois, ce chef de préjudice ne peut davantage être regardé comme étant en lien direct avec l'illégalité fautive résultant de la conclusion du contrat à durée indéterminée du

27 juin 2007, dès lors qu'il a pour seule origine le non-renouvellement de son détachement et sa réintégration, à compter du 1er juin 2016, au sein du ministère et dans son corps d'origine, alors en outre que l'état de santé de Mme Gicquel a nécessité son placement en congé de longue maladie puis en congé de longue durée entre le 30 septembre 2013 et le 29 mars 2016, pour des pathologies qui n'ont pas été reconnues imputables au service. A cet égard, si Mme Gicquel soutient que la répétition d'un indu de 55 243,77 euros correspondant aux rémunérations qui lui ont été versées par le ministère de la culture du 30 septembre 2013 au 16 septembre 2015 et liée à l'annulation contentieuse de l'arrêté du ministre chargé de la culture du 29 avril 2014 mettant fin à son détachement au sein du CNSMDP à compter du 30 septembre 2013, l'a placée dans une grande difficulté et qu'à tout le moins, les frais de recouvrement d'un montant de 5 000 euros réclamés par le Trésor public ne sauraient rester à sa charge, il est toutefois loisible à Mme Gicquel de solliciter une remise gracieuse des frais de recouvrement auprès du Trésor public. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressée, qui a perçu un double traitement entre le 30 septembre 2013 et le 16 septembre 2015, ait procédé aux diligences nécessaires auprès de l'administration de façon à pouvoir remédier rapidement à cette situation dont elle ne pouvait ignorer dès l'origine l'anormalité.

22. Enfin, si Mme Gicquel invoque un préjudice moral " conséquent ", elle n'établit pas davantage le lien de causalité existant entre la faute du conservatoire et un tel préjudice qu'elle ne l'a établi avec les différents autres préjudices invoqués mentionnés aux points 19 à 21.

23. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme Gicquel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Ses conclusions indemnitaires ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme Gicquel est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Gicquel, au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et à la ministre de la culture.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bruston, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2024.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

S. BRUSTON La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne à la ministre de la culture, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA00392


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00392
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : ANDRIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;23pa00392 ?
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