Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Transavia France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/17-1378 du 4 février 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la décharger du paiement de cette amende.
Par un jugement n°2107009/3-2 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 novembre 2022 et le 22 février 2024, la société Transavia France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de produire tout procès-verbal se rapportant au vol TO 3008 du 13 octobre 2017 et/ou au passager en cause et, dans l'attente, de renvoyer l'affaire à une date ultérieure ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la circonstance que le procès-verbal d'infraction du 13 octobre 2017 soit taisant sur le comportement du passager en cause ne signifie pas qu'il a accepté sa mesure d'éloignement sans résistance ;
- il appartient aux services du ministère de l'intérieur, qui disposent de toutes les informations requises, de rapporter la preuve que le transport du passager ne portait pas atteinte à la sécurité ou au bon ordre à bord de l'appareil et qu'en conséquence, la décision du commandant de bord n'était pas justifiée ;
- dès lors qu'il existe probablement un procès-verbal qui fait état du comportement du passager en cause, il appartient à la Cour de mettre en œuvre ses pouvoirs d'instruction afin d'ordonner au ministre la production de tout procès-verbal qui se réfère au vol TO 3008 du
13 octobre 2017 et/ou au passager en cause ;
- le commandant de bord était tenu d'agir de manière préventive en refusant l'embarquement du passager.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 du Conseil constitutionnel ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
- la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 ;
- le règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Verté, représentant la société Transavia France.
Une note en délibéré présentée pour la société Transavia France a été enregistrée le 11 juin 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 4 février 2021, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Transavia France une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer un passager de nationalité marocaine qu'elle avait débarqué sur le territoire français le 10 octobre 2017, alors que ce dernier avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français le même jour. La société Transavia France relève appel du jugement du 29 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, en application de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l'obligation pour les entreprises de transport de " reprendre en charge sans délai " les personnes étrangères dont l'entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l'article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. L'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l'article L. 333-3, dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". Le
1 de l'article L. 625-7 du même code, dans sa rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l'article L. 821-10, prévoit qu'est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros " L'entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants. (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
4. Il résulte de ces dispositions et, s'agissant de celles de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l'article
L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Ces dispositions n'ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.
5. Pour déterminer s'il y a lieu de sanctionner l'entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.
Sur le bien-fondé de l'amende :
6. Il résulte de l'instruction que les services de la police aux frontières de l'aéroport d'Orly ont requis, le 12 octobre 2017, la compagnie aérienne Transavia France pour assurer sans délai, par un vol TO 3008 prévu le 13 octobre 2017 à 14 heures 20 ou par tout autre moyen, le réacheminement vers Agadir d'un passager, de nationalité marocaine, ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 10 octobre 2017. A la suite de cette réquisition, un billet a été émis et un siège réservé pour le passager. Par un procès-verbal du 13 octobre 2017 établi à 14 heures 22, l'agent de police judiciaire en fonction a constaté le défaut de réacheminement du passager du fait du refus du commandant de bord de le prendre en charge.
7. Il résulte du même procès-verbal mentionné au point 6 que le commandant de bord a refusé de prendre en charge le passager en cause au motif de l'absence de personnel de sécurité à bord. La société Transavia France fait valoir à cet égard qu'elle avait été avertie par la réquisition de la direction générale de la police aux frontières du 12 octobre 2017 que les fonctionnaires de police avaient identifié chez le passager un risque d'opposition à son transport, ce qui serait confirmé par les termes de la décision attaquée. Toutefois, en l'absence au dossier de la décision du commandant de bord et de toute référence à un comportement dangereux ou d'opposition à son transport de la part du passager le jour du départ, de nature à mettre en péril la sécurité de l'aéronef, la société Transavia France ne justifie pas de l'impossibilité de le réacheminer en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord. Par suite, c'est à bon droit, dans les circonstances de l'espèce, que le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie aérienne Transavia France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende dont il ne résulte pas de l'instruction que le montant de 15 000 euros serait disproportionné.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de recourir à la mesure d'instruction sollicitée par l'appelante, que la compagnie aérienne Transavia France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Transavia France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transavia France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA05065 2