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21/06/2024 | FRANCE | N°22PA03315

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 21 juin 2024, 22PA03315


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Arlandis a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions des 27 avril et 20 mai 2020 par lesquelles le ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a muté dans l'intérêt du service et l'a affecté au service central de l'état civil à Nantes à compter du 15 juin 2020, ainsi que l'arrêté du 30 avril 2020 portant rupture d'établissement à compter du 28 avril 2020.



Par un jugement n° 2007239-2007452 du 19 mai 2022, le t

ribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Arlandis a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions des 27 avril et 20 mai 2020 par lesquelles le ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a muté dans l'intérêt du service et l'a affecté au service central de l'état civil à Nantes à compter du 15 juin 2020, ainsi que l'arrêté du 30 avril 2020 portant rupture d'établissement à compter du 28 avril 2020.

Par un jugement n° 2007239-2007452 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 19 juillet 2022 et 26 avril et

29 juin 2023, M. Arlandis, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les décisions des 27 avril et 20 mai 2020 par lesquelles le ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a muté dans l'intérêt du service et l'a affecté au service central de l'état civil à Nantes à compter du 15 juin 2020, ainsi que l'arrêté du 30 avril 2020 portant rupture d'établissement à compter du 28 avril 2020 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général de chancellerie à l'ambassade de France de Luanda ou à défaut de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est entaché d'omissions à statuer ;

- les points 9 à 12 du jugement sont insuffisants motivés ;

- l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 n'a pas été respecté ;

- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations ;

- sa mutation est constitutive d'une sanction déguisée, ce qui l'a privé des garanties attachées à la procédure disciplinaire et caractérise un détournement de procédure ;

- sa mutation est également entachée d'un détournement de procédure en ce qu'elle est fondée sur une insuffisance professionnelle et qu'il a été privé des garanties attachées à la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ;

- la mutation contestée méconnaît son droit à être affecté à un emploi correspondant à son grade ;

- elle méconnaît l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;

- elle méconnaît l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense enregistrés les 24 mars et 7 juin 2023, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. Arlandis ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi du 22 avril 1905, notamment son article 65 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Une note en délibéré présentée pour M. Arlandis a été enregistrée le 7 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. Arlandis, secrétaire de chancellerie depuis le 30 août 2014, a été affecté à l'ambassade de France à Luanda (Angola), à compter du 3 septembre 2018, en qualité de secrétaire général d'ambassade. Par une décision du 27 avril 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a décidé de le muter dans l'intérêt du service. Il a fait l'objet d'une rupture d'établissement le 28 avril 2020. Par une note du 20 mai 2020, il a été informé de son affectation en qualité de rédacteur au sein du service central d'état civil à Nantes. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de ces trois actes.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. Arlandis, le tribunal a expressément écarté, au point 3 du jugement attaqué, le moyen tiré de ce que la décision de mutation contestée serait constitutive d'une sanction déguisée.

3. En deuxième lieu, il ressort du dossier de première instance que M. Arlandis a hiérarchisé ses moyens devant le tribunal, sans invoquer celui tiré de ce que la décision de mutation contestée méconnaîtrait un principe général du droit en vertu duquel une mutation ne pourrait intervenir que pour affecter un agent sur un emploi vacant. Il ressort également de ses écritures de première instance qu'il n'a invoqué un tel principe qu'au soutien du moyen tiré de ce que sa mutation serait l'aboutissement d'un processus de harcèlement moral. Dès lors que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de M. Arlandis, a retenu, au point 3 du jugement attaqué, que sa mutation avait été décidée dans l'intérêt du service et a écarté, au point 7 du même jugement, la situation de harcèlement moral invoquée, il n'a pas commis d'omission à statuer en ne répondant pas à cette argumentation.

4. En dernier lieu, M. Arlandis n'indique pas en quoi les points 9 à 12 du jugement attaqué seraient insuffisamment motivés.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardés dans leur avancement à l'ancienneté ". L'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique, applicable au litige, prévoit : " Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité (...) ".

6. Il ne résulte pas de ces dispositions que le dossier du fonctionnaire devrait comporter l'ensemble des courriers électroniques le concernant. En l'espèce, s'il n'est pas contesté que le courrier électronique adressé le 13 décembre 2018 par l'ambassadeur de France en Angola à M. Arlandis ne figurait pas dans son dossier, ce courrier se borne à répondre à un message par lequel l'intéressé a contesté des observations qui lui ont été faites oralement sur sa manière de servir, sans reprendre les éléments énoncés à l'oral et sans apporter d'éléments de nature à avoir une incidence sur sa situation administrative. Il pouvait, dès lors, ne pas figurer dans le dossier de M. Arlandis qui, au demeurant, a été destinataire de ce courrier et pouvait ainsi, le cas échéant, l'utiliser. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 doit être écarté.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Arlandis a été mis à même, le 17 février 2020, de présenter ses observations à l'occasion de l'entretien qui s'est tenu avec l'ambassadeur de France en Angola. Il a en outre indiqué à l'administration, le 7 mai 2020, qu'il souhaitait être affecté en administration centrale à Nantes plutôt qu'à Paris. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à l'intervention des décisions contestées doit être écarté.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des comptes rendus de la réunion du 6 décembre 2019 et de l'entretien du 17 février 2020, que M. Arlandis a contribué de manière importante aux difficultés rencontrées par le secrétariat général de l'ambassade de France en Angola à compter de l'automne 2018 du fait, notamment, de son incapacité à encadrer les agents de son service, à communiquer et à hiérarchiser ses tâches, et qu'il est à l'origine de plusieurs oublis, erreurs ou retards dans la réalisation des activités de son service. Une inspection a d'ailleurs souligné, au mois de septembre 2018, au moment de la prise de fonctions de M. Arlandis, que le secrétariat général était parfaitement opérationnel. Il ressort également des pièces du dossier, notamment des comptes rendus mentionnant l'attitude de M. Arlandis au cours des réunions des 6 décembre 2019 et 23 janvier 2020 et de l'entretien du 17 février 2020, ainsi que de ses courriers électroniques des 13 décembre 2018 et 20 février 2020 que l'intéressé n'admet pas ses responsabilités et ne se remet pas en question. Dès lors que ces motifs justifiaient que, dans l'intérêt du service, M. Arlandis soit muté sur d'autres fonctions, la mutation contestée n'est pas constitutive d'une sanction déguisée, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle a eu une incidence négative sur la rémunération et les responsabilités de l'intéressé. Dès lors, ce dernier n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé des garanties attachées à la procédure disciplinaire et que la décision contestée serait entachée d'un détournement de procédure.

9. En quatrième lieu, si les motifs énoncés au point précédent caractérisent l'insuffisance professionnelle de M. Arlandis dans les fonctions de secrétaire général d'ambassade, il était loisible à l'administration de décider de le muter dans l'intérêt du service plutôt que de le licencier compte tenu, au surplus, de la spécificité de ces fonctions.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa (...) / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ".

11. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier électronique du 8 janvier 2020, l'ambassadeur de France en Angola a demandé au ministère chargé des affaires étrangères d'étudier le rappel en France de M. Arlandis. Ce dernier a, en outre, fait l'objet d'un entretien, le 17 février 2020, à l'occasion duquel l'ambassadeur de France en Angola lui a indiqué qu'il serait muté dans l'intérêt du service. Il ne peut, dès lors, sérieusement soutenir que sa mutation aurait été décidée en représailles du fait de sa saisine du déontologue du ministère le 19 février 2020 lui signalant qu'il serait victime de harcèlement moral. Ainsi qu'il a été dit au point 8, il ressort, en outre, des pièces du dossier que la mutation de M. Arlandis a été décidée en raison de ses carences dans l'exercice de ses fonctions et de son incapacité à se remettre en question. Enfin, il ressort du compte-rendu d'entretien du 17 février 2020 que, si l'ambassadeur de France en Angola a décidé de demander la mutation de M. Arlandis dans les plus brefs délais, alors qu'il avait, par esprit de conciliation, initialement envisagé de ne la demander qu'à compter du

30 juin 2020 afin de prendre en considération sa situation familiale, cette décision a été prise pour préserver le bon fonctionnement de l'ambassade, en raison de l'attitude peu coopérative de M. Arlandis, qui a notamment délivré, en plein entretien, une citation à comparaître au premier conseiller de l'ambassade. Dans ces conditions, la décision de mutation contestée est étrangère à la dénonciation, par M. Arlandis, d'agissements de harcèlement dont il prétend avoir été la victime.

12. En sixième lieu, par une note du 20 mai 2020 M. Arlandis a été informé de son affectation, à compter du 15 juin 2020, au service central d'état civil à Nantes. Cette affectation fait partie intégrante de la décision de mutation dans l'intérêt du service dont il a fait l'objet, laquelle ne pouvait recevoir d'exécution avant l'intervention de cette affectation. Dès lors,

M. Arlandis ne peut utilement soutenir qu'il aurait été irrégulièrement privé de son droit à recevoir une affectation conforme à son grade entre le 28 avril 2020 et le 15 juin 2020.

13. En dernier lieu, aux termes du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 : " II. - Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et sous réserve des priorités instituées à l'article 62 bis, les affectations prononcées tiennent compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " (...) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

14. Contrairement à ce que soutient M. Arlandis, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mutation contestée a eu pour effet de perturber la scolarisation de ses deux filles au lycée français de Luanda, alors qu'il ne conteste pas que le lycée avait fermé ses portes depuis plusieurs semaines en raison de la crise sanitaire et que la scolarité y était assurée à distance. Au demeurant, à la date de sa nouvelle affectation, le 15 juin 2020, la fin de l'année scolaire était extrêmement proche et, en admettant même que M. Arlandis ait dû être séparé de sa famille, cette séparation s'est avérée brève. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. Arlandis a été informé, dès le 17 février 2020, que sa mutation serait envisagée dans les plus brefs délais. Il ne peut, dès lors, sérieusement soutenir que lui et sa famille auraient subi un traumatisme causé par la brutalité de sa mutation. Il ressort enfin des pièces du dossier que malgré la rareté des postes de catégorie B en administration centrale dans cette commune, M. Arlandis a été affecté, à sa demande et au regard de sa situation familiale, à Nantes plutôt qu'à Paris. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que sa situation familiale n'aurait pas été prise en compte doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. Arlandis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, également être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. Arlandis est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Arlandis et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03315
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN & THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;22pa03315 ?
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