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18/06/2024 | FRANCE | N°24PA01317

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 18 juin 2024, 24PA01317


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2319440/8 du 29 novemb

re 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2319440/8 du 29 novembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Tisserant, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 29 novembre 2023 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour, mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- il est entaché d'un vice de procédure, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ne s'étant pas prononcé sur la possibilité pour la requérante de poursuivre son traitement dans son pays d'origine ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il repose sur une erreur manifeste d'appréciation et méconnait les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnait les dispositions de l'article 3 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un vice de procédure, le collège de médecins de l'OFII ne s'étant pas prononcé sur la possibilité pour la requérante de poursuivre son traitement dans son pays d'origine ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnait les dispositions de l'article 3 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnait les dispositions de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle repose sur une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 7 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les observations de Me Decarnin, pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne née le 1er décembre 1992 à Labé (Guinée), arrivée en France le 26 août 2018 selon ses déclarations, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour des motifs médicaux. Par un arrêté du 5 juin 2023, le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée à l'issue de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 29 novembre 2023, dont Mme B... fait appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. " L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016, visé ci-dessus, précise que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) ".

3. Par un avis du 20 février 2023, dont le préfet s'est approprié les termes, le collège de médecins de l'OFII a estimé que, si l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale, le défaut de cette prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le collège de médecins n'était donc pas tenu de se prononcer sur la possibilité pour elle d'accéder aux soins dans son pays. Le moyen tiré d'un vice de procédure pour ce motif doit donc être écarté.

4. En deuxième lieu, en l'absence de tout élément nouveau, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision attaquée doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 3 de leur jugement.

5. En troisième lieu, pour soutenir que le défaut de prise en charge de sa dépression et de l'état de " stress " post-traumatique sévère dont elle est atteinte, pourrait entrainer pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, Mme B... se réfère à plusieurs certificats médicaux et ordonnances de soins établis par un médecin généraliste, qui mentionnent en effet un " état dépressif majeur avec idées suicidaires caractérisées associé à un trouble de stress post-traumatique complexe sévère ", indiquent que son " traitement ne doit pas être interrompu sous peine de décompensation psychiatrique grave ", et attestent de la prise quotidienne de Venlafaxine, de Mirtapazine, de Quetiapine, d'Alimemazine et d'Alprazolam, c'est-à-dire d'antidépresseurs, d'anxiolytiques et de neuroleptiques. Toutefois, ces éléments et les diverses autres pièces émanant du centre de santé " Parcours d'Exil " qu'elle produit par ailleurs, sont insuffisamment probants pour remettre en cause l'appréciation portée par le collège de médecins de l'OFII et par le préfet de police. Les moyens tirés d'une violation de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur manifeste d'appréciation, doivent donc être écartés.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est célibataire et sans charge de famille en France, alors qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays où réside sa fille mineure, et où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans. La décision attaquée ne peut dans ces conditions être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation des stipulations citées ci-dessus, ni comme reposant sur une appréciation manifestement erronée de sa situation.

8. En dernier lieu, Mme B... ne saurait invoquer utilement les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'encontre de la décision refusant de l'admettre au séjour.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

9. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, les moyens tirés d'un vice de procédure, de l'insuffisance de la motivation de l'obligation de quitter le territoire français, et de la violation des stipulations de l'article 3 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peuvent qu'être écartés. Mme B... n'est pas davantage fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français serait illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

10. En premier lieu, Mme B... soutient que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en fixant le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office, en affirmant qu'elle ne pourrait suivre, dans son pays d'origine, un traitement médical adapté à sa pathologie et qu'elle y serait pour ce motif exposée à des traitement inhumains ou dégradants. Toutefois, les éléments versés au dossier sont en tout état de cause insuffisamment précis et circonstanciés pour retenir qu'elle ne pourrait suivre un tel traitement dans son pays.

11. En second lieu, les certificats médicaux et l'attestation de l'association " Femmes de la Terre " que Mme B... produit, ne permettent pas d'établir qu'elle se trouverait exposée à des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans son pays. Elle ne conteste d'ailleurs pas s'être vu refuser le statut de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

13. L'arrêté, en ce qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, sur le fondement des articles L. 612-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que l'intéressée, alléguant être présente sur le territoire depuis une durée de cinq ans, a déjà fait l'objet en 2021 d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle elle s'est soustraite. L'arrêté qui mentionne par ailleurs ses liens en France, comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette mesure, et atteste de la prise en compte par le préfet de police de l'ensemble des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.

14. En second lieu, si la requérante soutient que la durée de deux ans de l'interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui s'est déjà soustraite à une obligation de quitter le territoire français, n'atteste d'aucun lien particulier avec la France, où elle réside de façon irrégulière depuis cinq ans. Par suite, le préfet de police, en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions citées au point 12.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête, y compris les conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2024.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01317


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01317
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : CABINET MONTMARTRE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;24pa01317 ?
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