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13/06/2024 | FRANCE | N°24PA00923

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 13 juin 2024, 24PA00923


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision en date du 15 mars 2020 par laquelle le directeur du centre pénitentiaire sud-francilien a refusé de procéder à la diminution des tarifs pratiqués dans les cantines de son établissement et, d'autre part, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire sud-francilien de procéder à la diminution des tarifs pratiqués dans les cantines de son établissement afin qu'ils soient conformes

à ceux fixés par l'accord-cadre national mis en place au sein des établissements en ge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision en date du 15 mars 2020 par laquelle le directeur du centre pénitentiaire sud-francilien a refusé de procéder à la diminution des tarifs pratiqués dans les cantines de son établissement et, d'autre part, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire sud-francilien de procéder à la diminution des tarifs pratiqués dans les cantines de son établissement afin qu'ils soient conformes à ceux fixés par l'accord-cadre national mis en place au sein des établissements en gestion publique dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2004907 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé du décision du 15 mars 2020 du directeur du centre pénitentiaire sud-francilien, en tant qu'elle maintient des tarifs supérieurs à ceux des 286 produits dont les prix ont été fixés et harmonisés au sein des établissements en gestion directe, et lui a enjoint de modifier le catalogue de cantine de l'établissement, en tant qu'il propose des tarifs supérieurs à ceux des 286 produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

I. Par un recours enregistré le 23 février 2024 sous le n° 24PA00923, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004907 du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... A... devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- l'acquisition de produits par le biais de la cantine ne constitue qu'une faculté pour les détenus, qui bénéficient de la distribution gratuite de trois repas par jour, et, pour les nouveaux arrivants et pour les détenus qui disposent de ressources insuffisantes, des produits d'hygiène indispensables ;

- en application des articles L. 111-3 et D. 332-34 du code pénitentiaire, les tarifs appliqués à la cantine sont fixés par le chef de l'établissement, en tenant compte, en gestion déléguée, du marché conclu avec un prestataire et, en gestion publique, de l'accord-cadre d'approvisionnement conclu en 2011 et renouvelé en 2014 ;

- la différence de prix étant plus marquée pour les articles achetés de façon ponctuelle et plus limitée pour les articles achetés fréquemment, et calculée sur un panier moyen, elle n'est pas manifestement disproportionnée dès lors qu'elle est assimilable aux différences de prix constatées entre régions sur le territoire national ;

- la tarification des produits cantinables au sein des établissements pénitentiaires en gestion déléguée peut varier d'un établissement à un autre, dès lors que les prix sont fixés par référence à ceux de deux hypermarchés situés dans le département du siège de la direction interrégionale des services pénitentiaires dont dépend l'établissement ;

- la différence de tarification s'explique par les contraintes pesant sur le prestataire ainsi que par les variations de prix observées sur le territoire ;

- les usagers détenus au sein d'un établissement géré en gestion déléguée ne bénéficient pas du même service de cantine que ceux détenus en établissement géré en gestion publique ;

- les clauses relatives au contrôle des tarifs du catalogue local permettent une limitation de la différence entre les tarifs appliqués en gestion déléguée et ceux résultant de l'accord-cadre ;

- les établissements en gestion déléguée sont placés dans une situation différente de ceux gérés en gestion publique, dans la mesure où les prestataires font appels à différents fournisseurs locaux et acquièrent les produits en quantité insuffisante pour permettre une négociation des prix ;

- cette différence de prix est justifiée par l'organisation du service, qui varie selon le mode de gestion applicable ; en effet, le coût du service en gestion déléguée inclut la commande, la livraison et la distribution contrairement à ce qui est le cas en gestion publique où ces prestations sont assurées par les surveillants ;

- la différence de prix est également justifiée par une nécessité d'intérêt général, dès lors que sa suppression impose une indemnisation du prestataire, un coût supplémentaire pour le budget de l'établissement et une éventuelle hausse du tarif de certains produits ;

- l'annulation rétroactive de la décision du directeur du centre de détention emporte de graves conséquences sur l'administration pénitentiaire, s'agissant du calcul de l'indemnisation des personnes détenues ; en outre, le délai imparti par le tribunal pour modifier les tarifs est insuffisant, dès lors qu'il implique de conclure un avenant au marché.

La requête a été communiquée à M. B... A... qui n'a pas présenté d'observations en défense.

II. Par un recours enregistré le 23 février 2024 sous le n° 24PA00924, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2004907 du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun.

Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public retenu par le tribunal n'est pas fondé, que les autres moyens ne sont pas fondés et que l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables.

La requête a été communiquée à M. B... A... qui n'a pas présenté d'observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... est incarcéré au centre pénitentiaire sud-francilien. Le 15 janvier 2020, il a saisi le directeur de ce centre d'une demande tendant à la modification des prix du catalogue de cantine de l'établissement en tant que ces prix sont supérieurs à ceux fixés pour 286 produits par un accord-cadre national d'approvisionnement des établissements en gestion directe par l'administration pénitentiaire. L'intéressé ayant demandé l'annulation de la décision du 15 mars 2020 par laquelle le directeur du centre de détention a implicitement rejeté cette demande, le tribunal administratif de Melun a, par un jugement du 22 décembre 2023, fait droit à cette demande et a enjoint à ce dernier de modifier le catalogue de cantine de l'établissement, en tant qu'il propose des tarifs supérieurs à ceux des 286 produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe, dans le délai de six mois à compter du jugement. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement.

2. Les conclusions des recours n° 24PA00923 et n° 24PA00924 sont dirigées contre les mêmes jugements. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

3. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué dans le cadre de l'instance n° 24PA00923, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution présentées dans le cadre de l'instance n° 24PA00924.

4. D'une part, aux termes de l'article 11 de la loi pénitentaire du 24 novembre 2009, repris à l'article L. 111-3 du code pénitentiaire : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation (...) Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre d'un marché public (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article D. 344 du code de procédure pénale, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire, applicable quel que soit le mode de gestion de la cantine : " Les prix pratiqués à la cantine sont fixés périodiquement par le chef de l'établissement pénitentiaire. Sauf en ce qui concerne le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l'administration pour la manutention et la préparation ".

6. La fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure. Or, la différence de tarification des produits et services relevant du système de cantine proposés aux détenus des différents établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire des articles L. 111-3 et D. 332-34 précités du code pénitentiaire qui imposent que les prix facturés tiennent compte des conditions économiques en vigueur localement.

7. À cette fin, le titulaire du marché chargé du service de la cantine du centre pénitentiaire sud-francilien facture à l'établissement la vente des produits et services commandés par les détenus. Les tarifs appliqués aux détenus intègrent les prix du prestataire, eux-mêmes soumis à un dispositif d'ajustement annuel appliqué en fonction du prix le plus bas constaté, sur chaque produit ou service, dans deux hypermarchés locaux de référence, le catalogue et les tarifs actualisés étant arrêtés par le directeur de l'établissement. Dans de telles conditions, la différence entre le prix des produits acquis par M. B... A... et celui des produits proposés aux détenus situés dans d'autres établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire de l'application de la loi et n'est pas constitutive d'une rupture d'égalité entre usagers d'un même service public. `

8. Le garde des sceaux, ministre de la justice est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a annulé la décision en litige au motif que le directeur du centre pénitentiaire sud-francilien, avait porté atteinte à ce principe.

9. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et devant la cour.

10. En premier lieu, M. A... soutient que les tarifs des produits du catalogue de cantine du centre pénitentiaire sud-francilien méconnaissent l'accord-cadre national sur les prix de cantine dans les établissements pénitentiaires en gestion directe. Toutefois, ce document versé par le ministre à la demande de la cour, est dépourvu d'entête, de dispositif et de signature. Il se limite à un tableau indiquant un prix par produit conditionné affecté d'un code. Il est dépourvu de tout caractère contraignant et le moyen tiré de sa méconnaissance ne peut qu'être écarté.

11. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique (...) a droit au respect de ses biens (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

12. Il ressort des pièces du dossier que les personnes incarcérées dans les établissements placés en gestion publique ont, comme celles qui le sont dans les établissements à gestion externalisée, la qualité de détenus. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il subirait du fait de la différence de tarification des produits de cantine au centre pénitentiaire sud-francilien, un traitement discriminatoire résultant de sa qualité de détenu.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que le jugement attaqué doit être annulé et que la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du recours n° 24PA00924 du garde des sceaux, ministre de la justice.

Article 2 : Le jugement n° 2004907 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. B... A... devant le tribunal administratif de Melun est rejetée

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 24PA00923, ...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00923
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-13;24pa00923 ?
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