Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 octobre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2322953 du 16 octobre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Berdugo, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de lui restituer son passeport ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la même somme à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué, qui omet de répondre au moyen tiré de l'erreur de fait soulevé à l'encontre de la décision portant refus de délai de départ volontaire, est entaché d'irrégularité ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête de M. A... a été communiquée à la préfète du Val-de-Marne qui n'a pas produit d'observations.
Par une décision du 30 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25%).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Pagès, rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant bangladais, né le 3 juillet 1990 et entré en France, selon ses déclarations le 10 septembre 2013, fait appel du jugement du 16 octobre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 octobre 2023 de la préfète du Val-de-Marne l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le jugement attaqué ne répond pas au moyen soulevé par M. A... à l'encontre de la décision portant refus de délai de départ volontaire et tiré de l'erreur de fait, moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation de cette décision portant refus de délai de départ volontaire.
3. Il y a lieu, pour la Cour, de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur ces conclusions et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus des conclusions de sa requête.
Sur les moyens communs aux décisions attaquées :
4. D'une part, les décisions contestées portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français, comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent ces trois décisions, et sont, par suite, suffisamment motivées, alors même qu'elles ne mentionnent pas l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de M. A.... Par ailleurs, s'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, cette motivation révèle la prise en compte par l'autorité préfectorale des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. D'autre part, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'avant de prendre les trois décisions en litige, la préfète du Val-de-Marne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il est constant que M. A... ne peut justifier être entré régulièrement en France et s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Il entrait ainsi dans le cas où, en application des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Val-de-Marne pouvait légalement l'obliger à quitter le territoire français.
7. En deuxième lieu, la seule circonstance que M. A... ait entamé des démarches au mois de décembre 2022 en vue du dépôt d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, ne faisait légalement pas obstacle au prononcé de la mesure d'éloignement en litige.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. A... se prévaut de la durée de son séjour en France depuis le mois de septembre 2013 ainsi que de son insertion sociale et professionnelle sur le territoire. Toutefois, la demande d'asile de l'intéressé a été rejetée par une décision du 12 mars 2014 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 31 octobre 2014 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et sa demande de réexamen par une décision d'irrecevabilité du 18 décembre 2017 du directeur général de l'OFPRA, confirmée par une décision du 24 avril 2018 de la CNDA. De plus, entré irrégulièrement en France, il s'y est maintenu, après le rejet de sa demande d'asile, de façon irrégulière et n'a entrepris des démarches en vue de la régularisation de sa situation au regard du séjour qu'au mois de décembre 2022. En outre, en se bornant à justifier avoir travaillé comme " plongeur polyvalent ", auprès de la société " Pizza l'Olivier ", entre les mois d'août et octobre 2019, puis en qualité de " cuisinier ", auprès de la société " Fst ", entre les mois de mars 2020 et août 2022 et comme " polyvalent ", auprès de la société " Just Food ", à compter du 1er septembre 2022, au demeurant sans autorisation, M. A... ne saurait être regardé comme justifiant d'une insertion professionnelle stable et ancienne sur le territoire français, ni d'une qualification particulière ou de caractéristiques spécifiques de l'emploi qu'il occupe. Par ailleurs, le comportement de M. A..., interpellé et gardé à vue à compter du 2 octobre 2023 pour des faits, commis depuis le 29 juin 2023 à Paris et dans le Val-de-Marne, d'aide à la circulation et au séjour d'étrangers en bande organisée et exploitation de vente à la sauvette en bande organisée, placé sous contrôle judiciaire à compter du 4 octobre 2023 " pour avoir à Paris, à Rungis et en Ile-de-France, entre le 29 juin 2023 et le 2 octobre 2023, avoir embauché, entraîné ou détourné plusieurs personnes en vue de les inciter à commettre l'infraction de vente à la sauvette, afin d'en tirer profit de quelque manière que ce soit, avec cette circonstance que les faits ont été commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteurs ou de complices, son rôle de donneur d'ordre consistant notamment à faire l'intermédiaire avec les grossistes de Rungis et à participer au chargement et à la distribution de la marchandise auprès de vendeurs à la sauvette " et qui a reconnu, lors de son audition par les services de police, les faits qui lui sont reprochés, constitue une menace pour l'ordre public. Enfin, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille en France et qui, d'ailleurs, ne fournit aucune précision sur les autres liens de toute nature, notamment d'ordre amical, qu'il y aurait noués, n'établit, ni n'allègue sérieusement, aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie privée et familiale à l'étranger et, en particulier, au Bangladesh où réside sa famille, ni qu'il serait dans l'impossibilité de s'y réinsérer. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français ne peut être regardée comme ayant porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
10. En admettant que la préfète du Val-de-Marne ait entachée la décision contestée d'une erreur de fait, en mentionnant que M. A... " n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ", alors que le requérant produit un courriel du 15 décembre 2022 auprès des services de la préfecture de police de Paris sollicitant son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, il résulte de l'instruction que la préfète du Val-de-Marne aurait pris la même décision de refus de délai de départ volontaire en se fondant sur l'autre motif de son arrêté, au demeurant non sérieusement contesté, à savoir, ainsi qu'il a été dit au point 9, que le comportement de M. A... constitue une menace pour l'ordre public. Au surplus, si le requérant fait valoir qu'il dispose d'un passeport en cours de validité et d'une " adresse stable ", qu'il travaille et qu'il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a explicitement déclaré, lors de son audition par les services de police, son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. De même, en se bornant à déclarer être hébergé par un oncle, à Paris, où il a été interpellé dans le cadre de la procédure pénale dont il a fait l'objet et à produire une attestation d'hébergement en date du 5 octobre 2023, il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Dans ces conditions, la préfète du Val-de-Marne, en se fondant, notamment, sur la menace pour l'ordre public que constitue le comportement de l'intéressé pour estimer qu'il existait un risque que celui-ci se soustraie à la mesure d'éloignement en litige et, en conséquence, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
11. M. A... ne démontre aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour qui doit assortir en principe, en application des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation faite à un ressortissant étranger de quitter le territoire français sans délai. En particulier, ainsi qu'il a été dit au point 9, l'intéressé, qui s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire et dont le comportement constitue une menace pour l'ordre public, ne justifie ni d'une insertion professionnelle stable et ancienne, ni d'une vie familiale en France, ni qu'il serait dépourvu d'attaches privées et familiales dans son pays d'origine ou qu'il serait dans l'impossibilité de s'y réinsérer. Par suite, en se fondant, notamment, sur les conditions irrégulières de son séjour en France et sur son comportement constituant une menace pour l'ordre public, la préfète du Val-de-Marne a pu, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, ni méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, prononcer à son encontre une interdiction de retour d'une durée de trois ans. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Il n'est pas davantage fondé à demander l'annulation de la décision portant refus de délai de départ volontaire. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des frais de l'instance doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2322953 du 16 octobre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 4 octobre 2023 de la préfète du Val-de-Marne lui refusant un délai de départ volontaire.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris, tendant à l'annulation de la décision du 4 octobre 2023 de la préfète du Val-de-Marne lui refusant un délai de départ volontaire, et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressé à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. d'Haëm, président de la formation de jugement,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.
Le rapporteur,
D. PAGESLe président,
R. d'HAËMLa greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05392