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11/06/2024 | FRANCE | N°23PA01201

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 11 juin 2024, 23PA01201


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



1° M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 37 182 293 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.



Par un jugement n° 2100297 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.



2° M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui ver...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1° M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 37 182 293 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.

Par un jugement n° 2100297 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

2° M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 27 669 347 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.

Par un jugement n° 2100304 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

3° M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 145 797 513 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.

Par un jugement n° 2100291 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

4° Mme F... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 145 797 513 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.

Par un jugement n° 2100290 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

5° La société à responsabilité limitée (Sarl) Wonde Waro-Nord Assistance a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 5 031 040 francs CFP en réparation du préjudice matériel subi du fait des dégradations commises sur des biens lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017.

Par un jugement n° 2100307 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01201 le 22 mars 2023, le 22 avril 2023 et le 15 décembre 2023, M. C... D..., représenté par Me Casies, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100297 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 37 182 293 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant et des actes de violences commis envers un de ses animaux entre le 27 et le 29 avril 2017 ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise à fin d'estimer le montant des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 200 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur le fondement des articles L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et L. 286-1 du même code dans la mesure où les dégradations sur ses biens ont été commises dans le cadre d'un attroupement ou d'un rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être engagée dans la mesure où la décision que les autorités ont prise de ne pas intervenir pour mettre un terme aux dégradations et aux violences en cours a généré pour lui un préjudice anormal et spécial ;

- les préjudices matériel et moral qu'il a subis s'élèvent respectivement à la somme de 35 182 293 francs CFP et 2 000 000 francs CFP.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 novembre 2023 et le 11 janvier 2024, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2024 pour le Fonds de garantie des victimes d'acte de terrorisme et d'autres infractions.

II. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01202 le 22 mars 2023, le 22 avril 2023 et le 15 décembre 2023, M. E... D..., représenté par Me Casies, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100304 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 27 669 347 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017 ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise à fin d'estimer le montant des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 200 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur le fondement des articles L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et L. 286-1 du même code dans la mesure où les dégradations ont été commises dans le cadre d'un attroupement ou d'un rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être engagée dans la mesure où la décision que les autorités ont prise de ne pas intervenir pour mettre un terme aux dégradations et aux violences en cours a généré pour lui un préjudice anormal et spécial ;

- les préjudices matériel et moral qu'il a subis s'élèvent respectivement à la somme de 25 669 347 francs CFP et 2 000 000 francs CFP.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 novembre 2023 et le 11 janvier 2024, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2024 pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

III. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01203 le 22 mars 2023, le 22 avril 2023 et le 15 décembre 2023, M. B... D..., représenté par Me Casies, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100291 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 145 797 513 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017 ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise à fin d'estimer le montant des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 200 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur le fondement des articles L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et L. 286-1 du même code dans la mesure où les dégradations ont été commises dans le cadre d'un attroupement ou d'un rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être engagée dans la mesure où la décision que les autorités ont prise de ne pas intervenir pour mettre un terme aux dégradations et aux violences en cours a généré pour lui un préjudice anormal et spécial ;

- les préjudices matériel et moral qu'il a subis s'élèvent respectivement à la somme de 143 797 513 francs CFP et 2 000 000 francs CFP.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 novembre 2023 et le 11 janvier 2024, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2024 pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

IV. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01204 le 22 mars 2023, le 22 avril 2023 et le 15 décembre 2023, Mme F... A... épouse B... D..., représentée par Me Casies, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100290 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 145 797 513 francs CFP en réparation des préjudices matériel et moral subis du fait des dégradations commises sur des biens immobiliers et mobiliers lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017 ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise à fin d'estimer le montant des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 200 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur le fondement des articles L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et L. 286-1 du même code dans la mesure où les dégradations ont été commises dans le cadre d'un attroupement ou d'un rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être engagée dans la mesure où la décision que les autorités ont prise de ne pas intervenir pour mettre un terme aux dégradations et aux violences en cours a généré pour elle un préjudice anormal et spécial ;

- les préjudices matériel et moral qu'elle a subis s'élèvent respectivement à la somme de 143 797 513 francs CFP et 2 000 000 francs CFP.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 novembre 2023 et le 11 janvier 2024, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2024 pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

V. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01205 le 22 mars 2023, le 22 avril 2023 et le 15 décembre 2023, la Sart Wonde Waro-Nord Assistance, représentée par Me Casies, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100307 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 031 040 francs CFP en réparation du préjudice matériel subi du fait des dégradations commises sur des biens lui appartenant entre le 27 et le 29 avril 2017 ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise à fin d'estimer le montant des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 200 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur le fondement des articles L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et L. 286-1 du même code dans la mesure où les dégradations ont été commises dans le cadre d'un attroupement ou d'un rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être engagée dans la mesure où la décision que les autorités ont prise de ne pas intervenir pour mettre un terme aux dégradations et aux violences en cours a généré pour elle un préjudice anormal et spécial ;

- le préjudice matériel subi s'élève à la somme de 5 031 040 francs CFP.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 novembre 2023 et le 11 janvier 2024, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2024 pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 23PA01201, 23PA01202, 23PA01203, 23PA01204 et 23PA01205 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. La famille D... appartient à la tribu Néouta, laquelle vit sur le territoire de la commune de Ponérihouen. Sur fond de rivalités intrafamiliales, de graves actes de violence ont été commis, entre le 27 et le 29 avril 2017, par certains membres de cette famille envers M. C... D..., M. E... D..., M. B... D... et son épouse Mme F... A.... Ainsi, les résidences secondaires de M. C... D... et des époux B... D... ont été entièrement saccagées. Leurs résidences principales, dont l'une était aussi le siège social de la Sarl Wonde Waro-Nord Assistance, dont la gérante est Mme F... A..., ainsi que celle de M. E... D..., ont également été détruites. Des véhicules ont été incendiés, du matériel professionnel et du mobilier dégradés et un cheval, des poules et des oies tués. Par un jugement du 13 décembre 2017, le tribunal correctionnel de Nouméa a condamné douze prévenus à des peines pouvant aller jusqu'à dix mois d'emprisonnement, toutes assorties d'un sursis total avec mise à l'épreuve, pour violence avec usage ou menace d'une arme, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, destruction d'un bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, destruction d'un bien appartenant à autrui et sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou captif. Par un jugement du 24 août 2020, le même tribunal a reconnu les coupables responsables in solidum des entiers préjudices subis par les parties civiles et les a condamnés à verser à M. C... D... la somme de 37 182 293 francs CFP, à M. E... D... la somme de 27 669 347 francs CFP, aux époux B... D... la somme de 243 797 513 francs CFP, à chacun d'eux la somme de 2 000 000 francs CFP et, enfin, à la Sarl Wonde Waro-Nord Assistance la somme de 5 031 040 francs CFP. Face à l'impécuniosité des douze condamnés, ces cinq parties civiles ont adressé, le 7 avril 2021, une demande indemnitaire préalable au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en vue d'obtenir la condamnation de l'Etat, dans la limite des sommes fixées par le tribunal correctionnel, pour n'avoir pas su prévenir les faits dont ils ont été victimes, demande qui a été implicitement rejetée. Par cinq jugements du 22 décembre 2022, dont les intéressées relèvent respectivement appel, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leurs demandes tendant à voir engager la responsabilité de l'Etat.

Sur la responsabilité de l'Etat du fait des attroupements et des rassemblements :

3. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, rendu applicable en Nouvelle-Calédonie par l'article L. 286-1 du même code : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. L'Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions fixées au chapitre 1er du sous-titre II du titre III du livre III du code civil (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux des auditions de garde à vue de deux prévenus, MM. Marcel D... et Auguste Wetta, qui ont eu lieu les 29 avril et 30 avril 2017 devant les officiers de police judiciaire de la gendarmerie départementale de Poindimié, que les auteurs des violences et des dégradations en cause se sont réunis, munis pour la plupart de fusils et d'armes blanches, dans l'unique intention, par esprit de vengeance, d'exercer des menaces sur les appelants et de détruire leurs biens. Ces actes délictuels n'ont donc pas procédé d'une action spontanée dans le cadre ou dans le prolongement d'un attroupement ou rassemblement, mais d'une action préméditée et organisée à seule fin de les commettre. Par suite, la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être engagée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Le moyen doit, par suite, être écarté.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

5. Les dommages tenant à l'abstention de l'autorité administrative compétente à prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n'est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l'origine d'un dommage anormal et spécial.

6. Il résulte de l'instruction qu'après être déjà intervenues les 25 et 26 avril 2017, à la suite d'altercation et de violences entre membres de la famille D..., les forces de gendarmerie, après avoir été informées de la survenance de nouvelles violences entre membres de cette famille et de la commission de dégradations, sont de nouveau intervenues sur le territoire de la tribu de Néouta à Ponérihouen, le 27 avril 2017, aux alentours de 21 heures. Celles-ci sont restées sur place afin d'échanger avec la quinzaine de personnes présentes et, après s'être assurées que ces personnes n'étaient pas armées, et, le calme étant revenu, ont quitté les lieux. Contactées à nouveau vers 2 heures du matin, les forces de gendarmerie se sont une nouvelle fois présentées sur les lieux et n'ont pu que constater que deux véhicules et un petit marché en bambou avaient été incendiés et un cheval tué. Elles ont fait intervenir les sapeurs-pompiers et ont sécurisé leur intervention en assurant une surveillance étroite. Vers 3 heures du matin, des coups de feu ont été tirés et, jugeant que leur présence était la cause de ces tirs, elles ont estimé opportun de s'éloigner de la zone de deux kilomètres environ et, de fait, les tirs ont cessé après leur départ. En outre, avec l'appui de renforts, une surveillance de la zone visée la nuit précédente a été assurée toute la journée du 28 avril 2017. Cependant, à la nuit tombée, certains des auteurs des premières dégradations et d'autres individus ont cherché à échapper à cette surveillance en se rendant dans la vallée de la Népia, une zone moins accessible, dans le but d'incendier les résidences secondaires de deux des frères D..., avant de revenir en pleine nuit sur Ponérihouen mettre le feu aux habitations principales, alors vides de tout habitant. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que ces agissements délictuels se sont produits dans une zone boisée, particulièrement étendue, située à flanc de montagne et accueillant un habitat très dispersé, en particulier dans la vallée de la Népia. De plus, les auteurs des dégradations ont fait le choix d'agir de nuit, afin de compliquer encore davantage l'intervention des forces de l'ordre. En outre, les violences se sont produites entre plusieurs protagonistes d'une même famille dans un contexte de rivalités au sein de la tribu Néouta et les autorités coutumières, qui avaient nécessairement une connaissance plus précise de ces rivalités que les forces de gendarmerie, ont refusé d'intervenir, estimant que leur implication envenimerait davantage la situation qu'elle ne contribuerait à son apaisement. Il apparaît ainsi que l'Etat ne s'est pas abstenu d'agir, mais qu'il a été placé dans l'impossibilité matérielle d'agir plus efficacement. Par suite, l'existence d'un lien de causalité entre les dommages dont les appelants demandent réparation et le fait de l'administration n'est pas établie. La responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne saurait donc se trouver engagée.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à une expertise, que les cinq requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les cinq jugements attaqués, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a refusé de faire droit à leurs demandes. Leurs requêtes, y compris leurs conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes nos 23PA01201, 23PA01202, 23PA01203, 23PA01204 et 23PA01205 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., M. E... D..., M. B... D..., Mme F... A... épouse D..., à la Sarl Wonde Waro-Nord Assistance et au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juin 2024.

La rapporteure,

L. d'ARGENLIEULe président,

R. d'HAËMLa greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23PA01201-23PA01202-23PA01203-23PA01204-23PA01205


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01201
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : CASIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;23pa01201 ?
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