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10/06/2024 | FRANCE | N°23PA04232

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 10 juin 2024, 23PA04232


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en cas d'exécution de la mesure d'éloignement, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2307166 du 5 septembre 2023, le

magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en cas d'exécution de la mesure d'éloignement, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2307166 du 5 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 octobre 2023, M. A... représenté par Me André, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2307166 du 5 septembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 du préfet du Val-d'Oise ;

3°) d'enjoindre à ce préfet " d'exécuter la décision à intervenir " dans les plus brefs délais, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire est entachée d'une erreur de droit ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 5 de la déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est entachée d'erreur de droit ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 mars 2024, le préfet du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête en se référant à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 20 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 avril 2024 à 12 heures.

Des pièces, enregistrées le 23 mai 2024, pour M. A..., n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- et les observations de Me André, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc d'origine kurde né le 3 janvier 1975, serait entré en France selon ses déclarations en 2003. Par un arrêté du 3 mai 2023, le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 5 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation des décisions contenues dans cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'ensemble des décisions :

2. M. A... reprend en appel le moyen soulevé en première instance, tiré de ce que les décisions contestées seraient insuffisamment motivées. Cependant, en se bornant à réitérer son argumentation déjà exposée en première instance, il ne développe au soutien de ce moyen aucun argument de droit ou de fait pertinent de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le magistrat désigné. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, s'il ressort des pièces du dossier que, le 2 mai 2023, M. A... a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'est vu remettre par les services de la sous-préfecture du Raincy une attestation de dépôt de dossier, l'enregistrement d'une telle demande ne vaut pas, par elle-même, autorisation provisoire de séjour. La remise de cette attestation, qui ne constitue pas une attestation de demande de délivrance d'un titre de séjour prévue aux dispositions de l'article L. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, laquelle prend la forme du récépissé autorisant la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise, est donc restée sans effet sur l'obligation de quitter le territoire français en litige.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. M. A... soutient être entré en France en 2003 mais, par les pièces qu'il produit, il n'établit pas sa présence avant 2012. Son épouse, également ressortissante turque, était, selon les mentions non contestées de l'arrêté attaqué, en situation irrégulière à la date de la décision contestée et, si le requérant se prévaut de la présence en France de frères et sœurs ainsi que de cousins et cousines, une telle présence ne saurait caractériser une vie familiale en France, alors même que l'intéressé ne soutient ni n'établit être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où il s'est marié. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le couple ait à un quelconque moment disposé de son propre logement. Par ailleurs, si le requérant expose avoir travaillé en France, les bulletins de salaires et les avis d'imposition qu'il produit se bornent à établir que, bénéficiant d'un contrat de travail en décembre 2014, ses revenus se sont élevés à 4 000 euros en 2017 et à 6 000 euros en 2019, et qu'il n'a travaillé que de mai à décembre 2020 et de mai à novembre 2021 pour un montant de salaires de 6 583 euros déclarés. Enfin, M. A..., qui a déclaré lors de son interpellation ne pas parler " beaucoup " le français et a été assisté d'un interprète lors de la procédure consécutive, n'a jamais obtenu de titre de séjour depuis son entrée sur le territoire national, et ne peut utilement, ainsi qu'il a été dit au point 3, se prévaloir de la demande de titre déposée la veille de la décision contestée. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le requérant, qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement non exécutée le 23 mars 2015, n'est dès lors pas fondé à soutenir, qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet du Val-d'Oise aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En dernier lieu, si M. A... soutient qu'il craint des représailles et des persécutions en cas de retour en Turquie, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut être utilement invoqué qu'à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.

En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :

7. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

8. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit en tout état de cause être écarté.

9. En second lieu, à le supposer dirigé contre la décision fixant le pays de destination en cas d'exécution de la mesure d'éloignement et ainsi que l'a estimé à bon droit le premier juge, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Le requérant ne peut par ailleurs davantage invoquer utilement les stipulations de l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'assemblée générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948, laquelle ne figure pas au nombre des textes diplomatiques qui ont été ratifiés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction prévue à l'article L. 612-11 ".

11. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, ce dernier est tenu d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. La durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à savoir la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire. Toutefois, même si le préfet doit tenir compte, pour décider de prononcer à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter sans délai le territoire français une interdiction de retour et fixer sa durée, de chacun des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une telle mesure soit décidée quand bien même une partie de ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, ne serait pas remplie.

12. En premier lieu, en se bornant à faire état de ce qu'il incombe à l'autorité administrative de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire français parmi lesquels figurent notamment le droit d'aller et venir en se référant, à cet effet, à la décision du Conseil Constitutionnel n° 93-325 DC du 13 août 1993, le requérant n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes de nature à permettre d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

13. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que, M. A... s'étant vu refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire et ne faisant pas état de circonstances humanitaires, rien ne s'oppose par principe à l'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français à son encontre. Dans les circonstances de l'espèce et compte-tenu de l'application des critères énoncés ci-dessus, c'est, par ailleurs, sans méconnaître l'exigence de proportionnalité de la mesure et que le préfet a fixé à la durée minimale d'un an l'interdiction de retour sur le territoire français opposée au requérant. Par suite, le préfet du Val-d'Oise n'a pas commis d'erreur d'appréciation, ni commis d'erreur de droit en interdisant son retour sur le territoire pendant un an.

14. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête d'appel ne peut qu'être rejetée, en ce comprises ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2024.

La rapporteure,

M-B... La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04232


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04232
Date de la décision : 10/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : ANDRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-10;23pa04232 ?
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