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10/06/2024 | FRANCE | N°22PA04024

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 10 juin 2024, 22PA04024


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Ex et Co " Expertise et Conseils " à la licencier.



Par un jugement n° 2109659/3-2 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 août et 2

4 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Bisor Benichou, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du 30 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Ex et Co " Expertise et Conseils " à la licencier.

Par un jugement n° 2109659/3-2 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 août et 24 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Bisor Benichou, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 3 mars 2021 de l'inspectrice du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son poste n'a en réalité pas été supprimé et qu'elle aurait dû occuper les fonctions confiées à un nouveau salarié, recruté dès le 22 décembre 2020 suite à une annonce du 10 précédent, au service de production et gestion de la paie, dont le recrutement a été dissimulé à l'inspection du travail.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 octobre 2022 et 13 juin 2023, la société Ex et Co " Expertise et Conseils ", représentée par Me Samoun Bulourde, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête en se référant aux écritures du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France produites en première instance.

Par une ordonnance du 16 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 juillet 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Samoun Bulourde représentant la société Ex et Co " Expertise et Conseils ".

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 novembre 1998, Mme D... a été recrutée par contrat à durée indéterminée par la société Ex et Co " Expertise et Conseils ", pour occuper un emploi de comptable. Après modification de son contrat de travail par avenant du 10 juin 2004, elle a occupé un emploi de " responsable paye et social " au sein d'un département nouvellement créé. Le 17 janvier 2020, elle a été désignée membre titulaire du comité social et économique de la société. Dans un contexte où, à la fin de l'année 2020, son employeur a décidé de sous-traiter en totalité les fonctions liées au service des paies à une entreprise située au Maroc et, consécutivement, de supprimer les deux postes de " responsable paye et social " au sein de la société, après un entretien préalable à licenciement pour motif économique qui s'est tenu le 15 janvier 2021 et la consultation pour avis, le 18 janvier suivant, du comité social et économique, par lettre du 26 janvier 2021 reçue par l'inspection du travail le 29, son employeur a demandé à l'administration d'autoriser son licenciement. L'autorisation sollicitée a été délivrée, après enquête contradictoire, par une décision du 3 mars 2021 de l'inspectrice du travail. Mme D... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° À une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. (...) ". En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.

3. Il n'est pas contesté et ressort des pièces du dossier que la société la société Ex et Co " Expertise et Conseils " pouvait légitimement envisager le licenciement économique de salariés pour motif économique dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise pour sauvegarde de sa compétitivité, dans un contexte de concurrence exacerbée, lié notamment à la disponibilité de nouveaux logiciels de paye extrêmement performants, à l'apparition concomitante de plateformes digitales " low cost " et, dès lors, dans une conjoncture économique difficile entraînant pour elle la perte de clients représentant un chiffre d'affaires important, corrélativement à la crise sanitaire survenue en 2020. De telles difficultés ont ainsi pu l'amener à décider d'externaliser en totalité le service de production de la paye en réduisant le prix de facturation au client de 40 % afin d'améliorer sa compétitivité.

4. La requérante soutient en revanche que, dans un tel contexte, son poste de " responsable de gestion paie " n'a en réalité pas été supprimé dès lors que, dès le mois de décembre 2020, un " responsable de pôle social et paye " a été recruté pour exercer des missions identiques aux siennes et que ce poste aurait dû lui être proposé dès lors que, dotée d'une expérience de 17 ans, elle disposait de compétences en tous points similaires à celles de la personne qui l'a obtenu, dont le recrutement a été dissimulé à l'inspectrice du travail. Il ressort des pièces du dossier que les missions confiées au titulaire de ce nouveau poste ont notamment consisté en l'animation et l'encadrement de l'équipe de paie désormais délocalisée au Maroc chargée de la production de la paye, la supervision de la migration et la mise en œuvre technique du nouveau logiciel de paie adopté dans le cadre de la réorganisation du service, la mise en place d'une veille en matière de législation sociale et la prospection de nouveaux clients. Alors même que Mme D... fait valoir qu'elle a suivi une formation au logiciel Silae, il ressort des pièces du dossier que cette formation, d'une durée de treize heures, correspondait à une simple prise en mains de ce logiciel alors que les missions d'encadrement confiées au titulaire du nouveau poste excédaient de façon substantielle le domaine de la paie et des conseils en ressources humaines, soit des missions de production et d'exécution, dont la requérante avait la charge, la personne recrutée l'ayant été avec un coefficient de 450 alors que celui de la requérante, dans le dernier état de ses fonctions, était de 385. Dès lors, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, il ressort des pièces du dossier que, consécutivement à la suppression des deux emplois dont celui de Mme D..., le poste nouvellement pourvu de " responsable paie et social " correspondait bien à la création d'un nouveau poste, d'un niveau de responsabilité supérieur à celui du poste de " responsable paye et social " qu'occupaient la requérante ainsi qu'une autre salariée. La réalité de la suppression du poste de Mme D... pouvait ainsi être regardée comme établie. Par ailleurs, à supposer même que ce recrutement n'ait pas été porté à la connaissance de l'administration, laquelle ne soutient d'ailleurs pas qu'une telle omission aurait eu une incidence sur sa décision, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la réalité, objectivée, de la suppression du poste de Mme D.... Il n'est donc pas établi que la réorganisation de la gestion des services, qui s'est accompagnée de la suppression du poste de " responsable paye et social ", serait sans rapport avec la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. (...) ". Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Il appartient au juge, pour juger du respect par l'employeur de l'obligation de moyens dont il est débiteur pour le reclassement d'un salarié, de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de l'entreprise et du groupe ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a refusé tant un contrat de sécurisation professionnelle qu'une proposition de poste de " chef de mission comptable " présentée le jour de l'entretien préalable à licenciement, cette dernière proposition ne répondant pas à ses aspirations professionnelles. Eu égard à la nature et à la précision de ces propositions et aux motifs de refus opposés par la salariée, et dès lors que Mme D... ne pouvait exiger de son employeur qu'il la reclasse sur un poste d'un niveau supérieur à celui qu'elle occupait précédemment, le moyen tiré de la méconnaissance par la société Ex et Co " Expertise et Conseils " de l'obligation de reclassement ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme demandée par la société Ex et Co " Expertise et Conseils " au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Ex et Co " Expertise et Conseils " sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse D..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société Ex et Co " Expertise et Conseils ".

Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Menasseyre, présidente,

- Mme Cécile Vrignon, présidente-assesseure,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2024.

La rapporteure,

M-C...La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04024


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04024
Date de la décision : 10/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SARL KAROLE SAMOUN BULOURDE AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-10;22pa04024 ?
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