Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... et Mme D... B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 à 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement nos 1907138, 1907140 du 7 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21PA04941 du 10 mai 2022, la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de M. et Mme A..., a annulé ce jugement, les a déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013, 2014 et 2015 et rejeté le surplus de leurs conclusions.
Par les décisions n° 465362, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, d'une part, le 10 mars 2023, admis le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en tant qu'il se prononçait sur l'année 2013 et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi, et, d'autre part, le 7 novembre 2023, annulé l'arrêt de la Cour du 10 mai 2022 en tant que ce dernier avait statué sur les impositions établies au titre de l'année 2013, et, dans cette mesure, a renvoyé l'affaire devant la Cour désormais enregistrée sous le n° 23PA04631.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2021, M. et Mme A..., représentés par Me Elbaz, avocat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2021 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les rectifications en litige ont été prononcées à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour l'administration d'avoir obtenu leur consentement préalable à l'envoi sous forme dématérialisée des pièces annexées aux propositions de rectifications ;
- les propositions de rectifications sont entachées d'une insuffisance de motivation de la notion de maître de l'affaire dispensant l'administration d'apporter la preuve de l'appréhension des revenus réputés distribués en provenance de la SARL " La Bottine souriante ", en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- en s'abstenant leur communiquer, sans occultation préalable, l'intégralité des
procès-verbaux de leurs auditions obtenus auprès des autorités judiciaires, comme les informations notamment de nature bancaire utilisées dans le cadre de la vérification de comptabilité de la SARL La Bottine Souriante, l'administration fiscale a méconnu le principe tiré du respect des droits de la défense garanti par les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;
- l'administration fiscale n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'appréhension des revenus réputés distribués ; les procès-verbaux de leurs auditions ne sont pas de nature à justifier cette appréhension ; l'administration ne pouvait retenir que la maîtrise de l'affaire devait leur être conjointement attribuée.
Par un mémoire en défense et un mémoire en reprise d'instance, enregistrés les 29 novembre 2021 et 4 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à la suite de la décision du Conseil d'Etat n° 465362, l'étendue du litige est limitée à l'intégralité des impositions mises à la charge de M. et Mme B... au titre de l'année 2013 ;
- aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL La Bottine Souriante dont Mme A... est la gérante et associée à hauteur de 25 %, de même que son mari, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. A la suite d'un contrôle sur pièces portant sur l'année 2013 et d'un examen de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2014 et 2015, l'administration, estimant que M. et Mme A... devaient être regardés comme bénéficiaires de revenus distribués par cette société, leur a notifié deux propositions de rectification datées des 13 décembre 2016 et 6 octobre 2017 établies selon la procédure contradictoire. M. et Mme A... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ainsi qu'à des cotisations supplémentaires de contributions sociales et de contributions exceptionnelles sur les hauts revenus au titre des trois années en cause. Par un jugement du 7 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à la décharge de ces impositions. Par un arrêt n° 21PA04941 du 10 mai 2022, la cour administrative d'appel de Paris les a déchargés en droits et pénalités des redressements mis à leur charge. Saisi d'un pourvoi par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le Conseil d'Etat, par une première décision du 10 mars 2023, a admis le pourvoi formé par le ministre en tant que l'arrêt de la Cour se prononçait sur l'année 2013 et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi, et, d'autre part, le 7 novembre 2023, a annulé l'arrêt de la Cour du 10 mai 2022 et, dans cette mesure, a renvoyé l'affaire devant la Cour.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. S'agissant de revenus distribués, cette motivation peut résulter, soit de la reproduction de la teneur de la proposition de rectification adressée à la société distributrice, soit de la jonction de cette proposition de rectification en annexe du document adressé au bénéficiaire des distributions, dès lors du moins que le document concernant la société est lui-même suffisamment motivé.
3. D'une part, si M. et Mme A... soutiennent que les pièces figurant en annexe de la proposition de rectification du 13 décembre 2016 leur ont été adressées sous la forme d'un
CD-ROM sans que l'administration fiscale n'ait recueilli leur consentement préalable, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils aient été dans l'impossibilité de consulter ces annexes dont les fichiers étaient listés et auxquelles il font expressément référence dans leurs observations en date du 10 février 2017, en particulier en se rapportant au contenu de la proposition de rectification notifiée à la SARL La Bottine Souriante et du procès-verbal de première comparution de M. A... figurant sur ce support numérique. Par ailleurs, M. et Mme A... n'ont signalé aucune difficulté particulière à consulter ces documents annexés à la proposition de rectification, notamment en sollicitant leur communication sous un format papier. Enfin, alors qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne proscrit l'envoi sous forme numérisée de pièces jointes à un document,
lui-même envoyé, comme en l'espèce, sous forme papier, les dispositions invoquées de l'article L. 311-9 du code des relations entre le public et l'administration, qui ont trait aux demandes d'accès aux documents administratifs, ne sont pas en cause en l'espèce. Par suite, la circonstance que les annexes de la proposition de rectification ont été communiquées aux contribuables sous un format dématérialisé n'a en l'espèce pas fait obstacle à ce que M. et Mme A... engagent utilement, comme ils l'ont fait, une discussion sur les rectifications notifiées.
4. D'autre part, la proposition de rectification du 13 décembre 2016 indique qu'elle porte au titre de l'année 2013 sur des revenus de capitaux mobiliers résultant de revenus regardés comme distribués par la SARL La Bottine Souriante à la suite de la vérification de comptabilité de cette société dont Mme A... est la gérante et associée à hauteur de 25 % et M. A... également associé à hauteur de 25 %. La proposition de rectification précise les dispositions du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts sur lesquelles elle se fonde et indique à ce titre que tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital d'une société sont réputés distribués. Elle vise également l'article 47 annexe II du même code et mentionne que la vérification de comptabilité de la SARL La Bottine Souriante a permis d'établir que certaines sommes doivent être considérées comme des revenus distribués et qu'au cas particulier les rehaussements relatifs aux incidences financières et aux ventes non comptabilisées visés au paragraphe VIII - impôt sur les sociétés de la proposition de rectification n° 3924 jointe en annexe de la proposition de rectification sont considérés comme appréhendés par M. et Mme A... en leurs qualités respectives de gérante et associés. La proposition de rectification indique par ailleurs les conséquences financières de ce contrôle et précise le montant des rectifications en résultant. Si les intéressés soutiennent que cette proposition de rectification ne comporte aucune motivation pertinente permettant de justifier la qualification de maîtres de l'affaire qui leur est attribuée, les éléments de fait et de droit mentionnés étaient toutefois suffisants pour que les contribuables soient en mesure de faire valoir utilement leurs observations, ce qu'ils ont d'ailleurs fait le 10 février 2017 en soutenant que les caractéristiques retenues par l'administration ne permettaient pas d'établir l'appréhension des sommes dont ils auraient été bénéficiaires et en faisant précisément mention de cette notion de maître de l'affaire. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification en litige doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
6. Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés. Il en va ainsi alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin notamment de lui permettre d'en vérifier, et le cas échéant d'en discuter, l'authenticité et la teneur.
7. En l'espèce, si M. et Mme A... soutiennent que l'administration s'est abstenue de leur communiquer, d'une part, les éléments de l'enquête pénale ouverte à leur encontre, notamment les procès-verbaux de leurs auditions respectives qui ont été obtenus dans le cadre du droit de communication dont le service a fait usage et, d'autre part, les informations notamment de nature bancaire utilisées dans la cadre de la vérification de comptabilité de la SARL La Bottine Souriante, il ne résulte toutefois d'aucune pièce du dossier que les intéressés en aient fait la demande s'agissant des impositions supplémentaires au titre de l'année 2013, seules en litige. Par suite, ils ne peuvent être regardés comme ayant exercé leur droit de communication et utilement soutenir que la procédure d'imposition aurait été irrégulièrement conduite au regard des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
8. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle. Ainsi, la qualité de seul maître de l'affaire suffit à faire regarder, en application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, le contribuable comme bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société en cause, la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers étant sans incidence à cet égard.
9. Il résulte de l'instruction que le service a relevé que les revenus réputés distribués correspondaient aux rehaussements résultant de la reconstitution des bénéfices taxables de la SARL La Bottine Souriante à l'occasion de sa vérification de comptabilité, lesquelles étaient constitutifs de désinvestissements pour la société au profit de M. et Mme A.... L'administration fiscale a également retenu que Mme A... était la représentante légale de la SARL La Bottine Souriante et associée à la hauteur non contestée de 25 % du capital et que M. A... détenait également le même pourcentage de parts sociales. L'administration a retenu en outre que M. et Mme A... détenaient seuls la signature sur les comptes bancaires de la société, que les éléments factuels relevés étaient corroborés par le procès-verbal d'interrogatoire de première audition de M. A... joint à la proposition de rectification et par un second procès-verbal d'audition de Mme A..., dressés au mois de mai 2016 dont il ressortait que le troisième associé de la société n'assurait aucune activité ou n'occupait aucune fonction particulière et que M. et Mme A... géraient à parts égales la société et les relations avec la clientèle. S'agissant des deux membres d'un même foyer fiscal, M. et Mme A... ne peuvent soutenir qu'ils ne pouvaient exercer, conjointement, la maîtrise de l'affaire, dès lors qu'ils sont soumis à imposition commune. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé de l'appréhension par les requérants, à concurrence de 50 % chacun, des bénéfices réputés distribués de la SARL La Bottine Souriante, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les bénéfices en cause n'auraient pas été transférés sur un compte ouvert à leur nom.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à obtenir la décharge des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013. Par voie de conséquence, leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles relatives aux frais liés à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme D... B... épouse A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 7 juin 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA04631