Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 23 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de douze mois.
Par un jugement n° 2206423 du 11 octobre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 novembre 2022 et le 7 mai 2024,
M. C... B..., représenté par Me Caoudal, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande dans le même délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise en violation de son droit à être entendu ;
- elle est entachée d'une erreur de fait en ce que qu'il n'est pas célibataire, mais vit en concubinage avec une ressortissante française ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- le risque de fuite qui lui est opposé n'est pas établi dès lors qu'il ne constitue pas une menace à l'ordre public, qu'il dispose de garanties de représentation, qu'il appartient au préfet de démontrer qu'il a déclaré ne pas vouloir se conformer à la mesure d'éloignement prise à son encontre ;
- il tente depuis plusieurs mois d'obtenir un rendez-vous afin de déposer une demande de titre de séjour mais aucune plage horaire n'est disponible sur le site internet de la préfecture ;
- le préfet, qui pouvait lui accorder un délai de départ volontaire, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle a été prise en violation de son droit à être entendu ;
Sur la décision portant interdiction de retour pour une durée de douze mois :
- elle est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur son signalement dans le système d'information Schengen :
- il y a lieu de l'effacer en conséquence de l'annulation de la décision portant interdiction de retour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2024, le préfet de la
Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- et les observations de M. C... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant algérien né le 7 décembre 1996, est entré en France le 21 janvier 2022 selon ses déclarations. Il a fait l'objet d'une interpellation pour conduite sans permis de conduire et sans assurance et a été placé en garde à vue. Par un arrêté du 23 avril 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de douze mois. M. C... B... relève appel du jugement du
11 octobre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et
C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13
M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
3. M. C... B... soutient n'avoir pas fait l'objet d'un entretien approfondi ni avoir été informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition en date du 23 avril 2022 produit en défense par le préfet de la Seine-Saint-Denis, que M. C... B... a été interrogé sur son identité, son pays d'origine, les conditions de son entrée en France, sa situation professionnelle et familiale ainsi que la perspective d'un éloignement vers son pays d'origine. M. C... B... a ainsi été mis à même de présenter son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui auraient été susceptibles de justifier que l'autorité préfectorale s'abstienne de prendre à son égard une décision d'éloignement. En outre, le requérant ne justifie d'aucun élément propre à sa situation qu'il aurait été privé de faire valoir lors de son audition et qui, s'il avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à aboutir à un résultat différent de la procédure administrative dont il a fait l'objet. Par suite, M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance de son droit à être entendu.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. M. C... B... se prévaut de sa relation, depuis 2018, avec une ressortissante de nationalité française et de ce qu'il occupe un emploi de serveur depuis le mois de juillet 2022. Toutefois, s'il établit vivre en concubinage depuis son arrivée en France avec une ressortissante française, laquelle lui a rendu visite en Algérie en 2018 et 2019, d'une part, sa vie privée et familiale en France était très récente, à la date de la décision attaquée, d'autre part ils n'étaient ni mariés ni " pacsés " et n'ont pas d'enfant. La circonstance que leur mariage était prévu le 24 juin 2023, soit postérieurement à l'arrêté contesté, est sans influence sur sa légalité, laquelle s'apprécie à la date de son édiction. Dans ces conditions, l'intéressé ne saurait être regardé, ainsi d'ailleurs que l'a relevé la première juge, comme ayant fixé le centre de ses intérêts personnels et familiaux sur le territoire national. De plus, si M. C... B... soutient que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de fait s'agissant de sa situation maritale, il ressort des pièces du dossier que, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour, le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était pas fondé sur cette circonstance. Enfin, le requérant ne saurait utilement se prévaloir du contrat de travail à durée indéterminée qu'il a conclu le 19 juillet 2022 pour un emploi de serveur, cette circonstance étant également postérieure à l'arrêté en litige. Dès lors, en prenant une mesure d'éloignement à l'encontre de M. C... B..., le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas porté d'atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de fait d'une part, et de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, doivent être écartés.
6. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en obligeant M. C... B... à quitter le territoire français, le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
7. Il résulte de ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. S'il justifie être dorénavant le père d'un enfant français né postérieurement à l'édiction de l'arrêté attaqué, cette circonstance est seulement de nature à faire obstacle à l'exécution de cette décision.
Sur la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 du présent arrêt, le moyen tiré de la violation du droit de M. C... B... à être entendu doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation de visa à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ".
10. M. C... B... soutient que le risque de fuite qui lui est opposé n'est pas établi dès lors qu'il détient un passeport en cours de validité, qu'il verse aux débats, et dispose d'un logement stable. Il ressort toutefois des termes mêmes de la décision en cause que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est également fondé sur les circonstances que l'intéressé n'est pas entré régulièrement en France, et qu'il s'y est maintenu sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Si, à cet égard, l'intéressé soutient qu'il a vainement tenté d'obtenir un rendez-vous en préfecture afin de solliciter un titre de séjour, il ne l'établit pas. Par suite, ces motifs étaient suffisants pour justifier, au regard des dispositions du 1° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision attaquée lui refusant un délai de départ volontaire.
11. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. C... B... est entré et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français, sans demander la délivrance d'un titre de séjour. En se bornant à faire état, principalement, de son intégration professionnelle en France et de la circonstance qu'il entretient une relation amoureuse avec une ressortissante française, le requérant ne justifie pas de circonstances particulières susceptibles de faire obstacle à la présomption légale prévue par les dispositions précitées. Dans ces conditions, M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire, quand bien même il ne s'agirait là pour le préfet que d'une faculté, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. Pour les mêmes motifs qu'exposés au point 3 du présent arrêt, le moyen tiré de la violation du droit à être entendu, doit être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour pour une durée de douze mois :
13. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour devrait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
14. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs qu'exposés au point 5 du présent arrêt, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
15. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prononçant à l'encontre de M. C... B... une interdiction de retour pour une durée d'un an, le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente,
- Mme Bruston, présidente assesseure,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente
M. HEERS
La greffière,
A. GASPARYANLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA04808 2