Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Clinique de l'Estrée a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'Etablissement français du sang (EFS) a refusé de faire droit à sa demande de restitution de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour un montant total de 7 539,89 euros, qu'elle a acquittée sur les livraisons de produits sanguins labiles au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018 et de prononcer la restitution de la somme de 7 539,89 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle estime avoir indument acquittée au cours de cette période.
Par un jugement n° 2003817/9 du 1er juillet 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et mis à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à l'EFS au titre des frais d'instance.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 1er septembre 2021, la société Clinique de l'Estrée, représentée par Me Eric Labro, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2003817/9 du 1er juillet 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer le remboursement de la somme de 7 539,89 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang le versement de la somme de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en vertu du d) du 1er paragraphe de l'article 132 de la directive 2006/112/CE dite " TVA " précisé par la décision du 5 octobre 2016 de la Cour de Justice de l'Union Européenne, les livraisons de produits labiles dérivés du sang total sont exonérées de TVA dès lors qu'elles contribuent directement à des activités d'intérêt général, c'est-à-dire lorsque les produits sont employés pour des soins ou à des fins thérapeutiques ;
- le ministre de la santé et l'administration fiscale ont admis le caractère erroné de leur interprétation de la législation française et de la directive dite " TVA " en modifiant l'arrêté du 9 mars 2010 et en publiant notamment une mise à jour des commentaires de la législation au Bulletin officiel des finances publiques-impôts, qui prévoit expressément une exonération de TVA applicable aux livraisons de produits dérivés du sang destinés à un usage thérapeutique ;
- dès lors que les livraisons de produits dérivés du sang par l'EFS auraient dû lui être facturées sans taxe, elle a droit au remboursement de la TVA facturée à tort en vertu du principe de répétition de l'indu, sans que puisse lui être opposé le contrat qu'elle a conclu avec l'EFS ;
- la TVA étant un élément s'ajoutant au prix ferme convenu entre les parties, elle peut faire l'objet d'une demande de remboursement ;
- la prescription quadriennale s'applique à la créance commerciale qu'elle détient à l'encontre de l'EFS, les règles de prescription spéciales ne trouvant pas à s'appliquer en l'espèce.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2024, l'Etablissement français du sang, représenté par Me Filiz Alparslan, Me Franck Locatelli et Me Nora Mraizika, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- une condamnation de l'EFS au remboursement de la TVA qu'il n'a fait que collecter pour la reverser au Trésor public en application de la législation fiscale alors en vigueur conduirait de facto à lui faire supporter la charge définitive de cette taxe, l'EFS n'étant plus recevable à en demander le remboursement auprès du Trésor public ;
- seule peut être engagée la responsabilité de l'Etat et non la responsabilité contractuelle de l'EFS, s'agissant d'une législation prise en contrariété avec le droit européen ;
- les conclusions en répétition de l'indu sont irrecevables et infondées ;
- la créance dont la requérante demande le remboursement est une créance fiscale qui relève de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, soumise de ce fait à la prescription spéciale prévue par l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales et non à la prescription quadriennale.
Par ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 février 2024.
Un mémoire a été déposé pour la société Clinique de l'Estrée le 9 avril 2024, après clôture.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du Conseil d'Etat n° 469111 du 29 novembre 2023.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brotons,
- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'Etablissement français du sang, chargé du service public transfusionnel, a vendu à la société Clinique de l'Estrée, au cours des années 2015 à 2018, des produits dérivés du sang humain, dits " produits sanguins labiles ", en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable. La société Clinique de l'Estrée a demandé en 2019 à l'Etablissement français du sang de lui rembourser la taxe qu'elle estimait avoir supportée à tort sur ces livraisons. Sa demande ayant été rejetée, elle a porté le litige devant le Tribunal administratif de Montreuil. Elle relève appel du jugement du 1er juillet 2021 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande et mis à sa charge le versement à l'Etablissement français du sang d'une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance.
2. Il résulte de l'instruction que, jusqu'au mois de décembre 2018, l'Etablissement français du sang a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu'il livrait en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts, dans leur rédaction alors en vigueur, et de celles de l'article 4 de l'arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 26 décembre 2018, alors que ces dispositions étaient contraires, en tant qu'elles assujettissaient à la taxe sur la valeur ajoutée les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct, aux dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, comme cela résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment de l'arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15.
3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1302 du code civil : " (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ". Aux termes de l'article 1302-1 du même code : " Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ".
4. D'autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que, lorsque l'acquéreur d'un bien a versé au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d'un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment supportée. Si la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
5. Conformément à ce qui a été dit au point 3, pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l'acquéreur doit prioritairement s'adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n'a pas pris l'initiative de lui rembourser l'indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l'administration fiscale si l'obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.
6. Il suit de ce qui vient d'être exposé que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la société Clinique de l'Estrée est en droit, par la voie d'une action civile en restitution de l'indu, de demander à l'Etablissement français du sang le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort sur les livraisons de produits sanguins labiles, sans que puissent lui être opposées ni la correcte exécution du contrat, ni l'exception de recours parallèle de la procédure fiscale de restitution d'impositions indues prévue par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et sans préjudice d'une éventuelle action mettant en cause la responsabilité de l'Etat. Il suit de là que l'exception de prescription tirée de ce que la créance dont se prévaut la société requérante serait prescrite en vertu des dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, doit être écartée.
7. Enfin, la circonstance que l'Etablissement français du sang ne serait plus recevable à demander le remboursement de la taxe reversée au Trésor public, à supposer d'ailleurs qu'il puisse se prévaloir d'un trop versé de taxe, est sans incidence sur l'action en restitution formée par la société requérante.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Clinique de l'Estrée est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et mis à sa charge la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et qu'elle est en droit d'obtenir l'annulation de ce jugement ainsi que la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 7 539,89 euros correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été indument facturée sur la livraison de produits sanguins labiles entre les mois de janvier 2015 et décembre 2018. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge de ses frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003817/9 du 1er juillet 2021 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser une somme de 7 539,89 euros à la société Clinique de l'Estrée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Clinique de l'Estrée et à l'Etablissement français du sang.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Topin, présidente assesseure,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2024.
Le président-rapporteur,
I. BROTONSL'assesseur le plus ancien,
E. TOPIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04907 2