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24/05/2024 | FRANCE | N°24PA00109

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 24 mai 2024, 24PA00109


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités croates.



Par un jugement n° 2325186 et n° 2325190 du 8 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir admis Mme D..., à titre provisoire, à l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de procéder

à un nouvel examen de la situation de Mme D... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités croates.

Par un jugement n° 2325186 et n° 2325190 du 8 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir admis Mme D..., à titre provisoire, à l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme D... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de trois mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2024, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2 à 4 du jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de Mme D....

Il soutient que :

- c'est à tort que la juge de première instance a retenu que l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 au motif que l'entretien individuel avait été mené en français, alors que les brochures A et B mentionnaient que l'intéressée ne parlait que le lingala, dès lors que c'est à la demande de l'intéressée que l'entretien a été mené en français ;

- le compte-rendu d'entretien ne révèle aucune difficulté de compréhension de la part de Mme D... qui a répondu à l'ensemble des questions posées et a déclaré avoir compris tous les termes de cet entretien ;

- la seule remise des brochures A et B en français ne peut permettre de considérer que Mme D... a été privée d'une garantie en ce que l'entretien a été mené en français, ni que cette circonstance aurait pu avoir une influence sur le sens de la décision de transfert ;

- les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2024, Mme D..., représentée par Me Pafundi, demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) de prononcer le non-lieu à statuer ;

3°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 décembre 2023 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête tendant à l'annulation du jugement attaqué ne sont pas fondés ;

- son moyen de première instance tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des autorités françaises au regard des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Croatie justifie l'annulation de l'arrêté attaqué ;

- son moyen de première instance tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant à la mise en œuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 justifie l'annulation de l'arrêté attaqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante congolaise (République démocratique du Congo) née le 13 février 1989, a sollicité le bénéfice de la protection internationale par une demande déposée le 23 août 2023. Par un arrêté du 20 octobre 2023, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités croates responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 8 décembre 2023 en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme D... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer l'admission provisoire de Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

4. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5.L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

5. Pour annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 portant transfert de Mme D... aux autorités croates, la première juge s'est fondée sur la circonstance que l'entretien dont a bénéficié l'intéressée le 23 août 2023 s'est déroulé en français alors qu'il est mentionné sur les brochures A et B qui lui ont été remises le même jour qu'elle ne sait pas lire et ne parle que le lingala, et en a déduit que cet arrêté méconnaissait les dispositions susvisées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de l'entretien précité, qui s'est déroulé en français à la demande de Mme D..., ainsi qu'il est mentionné sur l'arrêté lui-même que cette dernière a contresigné, qu'il ne révèle aucune difficulté de compréhension des questions qui lui ont été posées et auxquelles elle a d'ailleurs apporté des réponses circonstanciées, notamment sur son parcours migratoire. En outre, il ressort du dossier médical de l'intéressée, produit en première instance par le préfet, que celle-ci a été interrogée à plusieurs reprises en français par des médecins dans le cadre de consultations, notamment à l'hôpital Armand Trousseau (AP-HP) à Paris 12ème et à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, les 26 octobre 2023, 30 octobre 2023 et 16 novembre 2023, et que le compte-rendu de ces consultations ne révèle pas davantage de difficultés de compréhension des échanges. Dans ces conditions, la seule circonstance que les brochures A et B mentionnent que l'intéressée a déclaré ne parler que le lingala n'est pas suffisante à établir que l'entretien individuel n'aurait pas été mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté du 20 octobre 2023 au motif qu'il aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif à l'encontre de cet arrêté.

Sur les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Paris :

7. En premier lieu, par un arrêté du 23 août 2023 régulièrement publié, le préfet de police a donné délégation à Mme C... B..., attachée au bureau de l'accueil de la demande d'asile de la préfecture de police, à l'effet de signer tous arrêtés dans la limite de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté contesté manque en fait.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. L'arrêté de transfert en litige, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de Mme D..., en rappelant notamment que celle-ci est entrée irrégulièrement sur le territoire français et s'est vu remettre une attestation de demande d'asile en procédure Dublin le 23 août 2023. Il mentionne qu'il est apparu en cours d'instruction que ses empreintes avaient été relevées en catégorie 1 par les autorités croates le 28 juin 2023 et que ces autorités, saisies le 22 septembre 2023 d'une demande de reprise en charge de l'intéressée sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013, ont fait connaître explicitement leur accord le 6 octobre 2023 en application de l'article 20.5 du même règlement. Il précise en outre que les autorités croates ont accepté de reprendre en charge son époux, M. E..., qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Croatie et que, par conséquent, l'intéressée ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France. Ces éléments permettent ainsi à Mme D... de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de police pour déterminer que la Croatie est responsable de l'examen de sa demande d'asile et prendre la décision de transfert. Par suite, l'arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... s'est vu remettre contre signature, le 23 août 2023, outre le guide du demandeur d'asile et la brochure Eurodac, les brochures " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " (brochure A) et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), rédigées en langue française. La traduction par téléphone mentionnée sur les brochures a permis de s'assurer que Mme D... a compris le contenu de

celles-ci. Si cette dernière soutient qu'il n'est pas établi que ces brochures lui aient été remises en intégralité, elle a toutefois apposé sa signature sans émettre la moindre observation, tant lors de la remise du document qu'au cours de l'entretien individuel à l'issue duquel elle a reconnu avoir reçu l'information sur les règlements communautaires. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. En troisième lieu, Mme D... a bénéficié, le 23 août 2023, ainsi qu'il a été dit au point 3, d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de police, en langue française qu'elle a déclaré comprendre et dont elle a d'ailleurs elle-même sollicité l'usage ainsi qu'il a été dit, au cours duquel il lui a été loisible de former toute observation qu'elle jugeait pertinente relative à la procédure de demande d'asile. Cet entretien a été mené par un agent de la préfecture de police qui, en l'absence de tout élément contraire versé au dossier, doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, si, en vertu des dispositions de l'article R. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police est, à Paris, l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, ni ces dispositions ni aucun autre texte ne faisaient obstacle à ce que l'entretien individuel requis par les dispositions précitées soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Par ailleurs, ni les dispositions mentionnées au point 2 ni aucun principe n'imposent qu'une relecture du résumé de l'entretien individuel soit réalisée avant sa signature, ni encore que la durée de l'entretien y soit mentionnée, ni davantage qu'une copie de ce résumé soit remise d'office à l'intéressé non plus que la possibilité pour son conseil d'en solliciter la communication. Enfin, Mme D... ne saurait également utilement se plaindre de ce que la notice d'information destinée aux seules personnes dont l'examen de la demande d'asile relève de la compétence de la France et portant sur le choix de la langue dans laquelle elles souhaitent être entendues ne lui aurait pas été remise, la communication de cette notice n'étant pas rendue obligatoire dans le cas d'une décision de transfert vers un autre Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Par suite, et alors qu'il ressort du résumé de l'entretien que Mme D... n'a pas souhaité faire de déclarations supplémentaires et a indiqué avoir compris l'ensemble de ses termes, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / (...) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ".

13. Il résulte des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment des articles L. 571-1 et suivants, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions de transfert. Dès lors, les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la décision de transfert en litige. En tout état de cause, si Mme D... allègue qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations avant l'intervention de la décision contestée et se prévaut par erreur de l'article " L. 211-5 " du code des relations entre le public et l'administration, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 9 qu'elle a été mise à même de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de transfert en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne (...) ". Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

15. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'accusé de réception " DubliNET " du 22 septembre 2023, que les autorités croates ont été régulièrement saisies, à cette date, d'une demande de transfert par le préfet de police sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un courrier du 6 octobre 2023, rédigé en langue anglaise, ces autorités ont expressément accepté cette reprise en charge dans le délai de deux semaines fixé par les dispositions susvisées du § 1 de l'article 25 du règlement (UE) n° 604/2013. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il ne serait pas établi que les autorités croates auraient été saisies par le préfet de police d'une demande de transfert de Mme D... et l'auraient acceptée doit être écarté.

16. En sixième lieu, aux termes de l'article 26, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la décision de transfert " contient des informations sur les voies et délais de recours disponibles (...) et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable ".

17. Si Mme D... soutient qu'elle n'a pas été informée des modalités concrètes permettant l'exécution spontanée de la mesure de transfert, elle n'allègue pas avoir avisé les autorités françaises de son intention de se rendre, par ses propres moyens, dans l'Etat responsable du traitement de sa demande d'asile. Par suite et alors que les dispositions précitées n'imposent pas la mention systématique des informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter, mais précisent uniquement que ces informations sont indiquées " si nécessaire ", le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu ces dispositions ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

18. En septième lieu, aux termes du paragraphe 2, de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

19. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

20. Par la seule production de rapports généraux et de données statistiques, Mme D... n'établit ni l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Croatie à la date de l'arrêté litigieux, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle ne pourrait y faire valoir tout nouvel élément concernant sa situation personnelle. Si Mme D... fait valoir qu'elle a fait l'objet de violences physiques et de racisme lors de son séjour en Croatie, et qu'elle n'a pas bénéficié de la possibilité d'être entendue par les autorités, elle ne l'établit par aucun document. Par suite, et dès lors que les autorités croates ont explicitement accepté la demande de transfert de Mme D... le 6 octobre 2023, il ne peut être tenu pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il n'est pas davantage établi que les autorités croates n'évalueront pas d'office les risques de mauvais traitements auxquels elle serait exposée en cas de renvoi dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire au §2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 20 octobre 2023 décidant le transfert de Mme D... aux autorités croates, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de cette dernière dans le délai de trois mois, en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais de l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Mme D... est admise à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2325186 et n° 2325190 du 8 décembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés en tant qu'ils concernent Mme D....

Article 3 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... D....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Bruston, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00109


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00109
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : ANGLADE & PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;24pa00109 ?
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