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24/05/2024 | FRANCE | N°23PA04957

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 24 mai 2024, 23PA04957


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes.



Par un jugement n° 2321846 du 3 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de M. G..., a annulé cet arrêté, enjoint au

préfet de police de délivrer à M. G... une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et mis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 2321846 du 3 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de M. G..., a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. G... une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2 à 4 du jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. G....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour justifier l'annulation de l'arrêté attaqué, sur la circulaire du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien, qui n'a pas été versée aux débats, de sorte qu'il a statué ultra petita ;

- c'est à tort que le juge de première instance a retenu que l'arrêté en litige avait été pris en méconnaissance de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 ;

- le motif d'annulation retenu par la magistrate désignée est infondé, en l'absence d'établissement de l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Italie ;

- l'accord implicite donné par l'Italie à la demande de transfert ayant la même valeur qu'un accord exprès, M. G... n'est nullement empêché de déposer une première demande d'asile en Italie ;

- la circulaire du 5 décembre 2022 des autorités italiennes n'est pas de nature à établir que la demande d'asile de M. G... ne sera pas examinée en Italie ;

- les autres moyens soulevés par M. G... devant le tribunal administratif, à savoir l'incompétence de l'auteur de l'acte, l'insuffisance de motivation, le défaut d'examen personnel de sa situation, la violation des stipulations de l'article 4 du règlement UE n° 604/2013, la violation de l'article 5 de ce règlement, la violation des articles 21 et 25 du même règlement, la violation de l'article 17-1 du règlement UE n° 604/2013, la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la violation de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3-2 et 17 du règlement UE n° 604/2013 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 19 mars 2024, M. G..., représenté par Me Simon, demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) à titre principal, de constater qu'il n'y a plus lieu à statuer sur les conclusions de la requête ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête et de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 novembre 2023.

Il soutient que :

- la requête est privée d'objet dès lors que l'arrêté de transfert litigieux n'est plus susceptible d'exécution en raison de l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale, qui a entraîné la caducité de cet arrêté ;

- les moyens de la requête tendant à l'annulation du jugement attaqué ne sont pas fondés ;

- son moyen de première instance tiré de ce que le préfet ne justifierait pas avoir transmis sa demande de prise en charge dans les délais prévus à l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 justifie l'annulation de l'arrêté attaqué ;

- le préfet n'a pas répondu à son moyen de première instance tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, alors qu'il justifie de la présence de ses deux frères en France ;

- faute d'avoir bénéficié d'une traduction orale des brochures, dès lors qu'il est analphabète, l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 a été méconnu.

M. G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G..., ressortissant égyptien né le 19 mars 2000, a sollicité le bénéfice de la protection internationale par une demande déposée le 15 juin 2023. Par un arrêté du 8 septembre 2023, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 3 novembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. G... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. L'appel n'ayant pas un caractère suspensif, l'administration doit exécuter le jugement du tribunal administratif dont la cour n'a pas prononcé le sursis à exécution. L'exécution par l'administration des mesures prescrites par ce jugement ne vaut pas acquiescement de l'administration aux motifs et au dispositif du jugement et n'a donc pas pour effet de rendre irrecevable ou sans objet son appel contre ce jugement.

3. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'interjeter appel du jugement du 3 novembre 2023, le préfet de police a admis M. A... G... à déposer une demande d'asile en vue de son examen par les autorités françaises et lui a délivré le 27 novembre 2023 une attestation de demande d'asile en procédure normale, valable jusqu'au 26 septembre 2024. Dès lors que le préfet a pris cette mesure en exécution du jugement du tribunal administratif de Paris lui enjoignant de procéder, dans un délai de dix jours à compter de sa notification, à l'enregistrement de la demande d'asile de l'intéressé selon la procédure normale, il ne saurait être regardé comme ayant acquiescé aux motifs et au dispositif du jugement. Par suite, l'exception de non-lieu opposée par M. G..., qui doit en réalité s'analyser comme une fin de non-recevoir compte tenu de l'antériorité de la mesure d'exécution invoquée par rapport à la date d'enregistrement de la requête d'appel, ne saurait être accueillie.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Le préfet de police soutient qu'en faisant référence à la circulaire du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien, par laquelle ce dernier a informé ses homologues membres de l'espace Schengen de la suspension temporaire, pour des raisons techniques, des reprises en charge de demandeurs d'asile vers l'Italie, et sans que cette pièce ne soit versée au dossier, le premier juge a statué ultra petita, et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité.

5. Il ressort toutefois des pièces du dossier de première instance que M. G... avait soulevé, au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision par laquelle le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile, le moyen tiré de ce que l'Italie connaissait des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et d'examen des demandes d'asile. Pour établir cette circonstance, M. G... s'était prévalu d'une circulaire datée du 5 décembre 2022 émanant du ministère de l'intérieur italien qu'il a, contrairement à ce que soutient le préfet de police, produite le 16 octobre 2023 et qui a été communiquée à ce dernier. Par suite, le premier juge, qui a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 en se fondant notamment sur cette circulaire, n'a pas statué au-delà de ce qui lui était demandé. Dès lors, le moyen dirigé contre la régularité du jugement attaqué manque en fait et doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

6. Pour annuler l'arrêté du 8 septembre 2023 portant transfert de M. G... aux autorités italiennes, la première juge s'est fondée sur la circonstance que, par une circulaire en date du 5 décembre 2022, le ministre de l'intérieur italien a informé ses homologues membres de l'espace Schengen de la suspension temporaire, pour des raisons techniques, des reprises en charge de demandeurs d'asile vers l'Italie. Elle en a déduit que les craintes de M. G... relatives au défaut de protection en Italie étaient fondées et que, en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de l'Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, le préfet de police avait méconnu les dispositions dérogatoires prévues au 2. de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013.

7. Aux termes du paragraphe 2, de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

8. Le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux. Ainsi, il est présumé que l'Italie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de cette charte.

9. M. G... soutient, en termes généraux, que l'Italie connaît des défaillances systémiques dues au durcissement de sa politique migratoire en se référant, d'une part, à des rapports publiés par l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) et l'organisation Amnesty International, notamment en 2023 pour cette dernière, ainsi qu'à divers articles de presse parus dans des quotidiens ou hebdomadaires français et européens et, d'autre part, à la lettre circulaire du 5 décembre 2022 émanant du ministère de l'intérieur italien aux termes de laquelle l'Italie sollicite la suspension temporaire des transferts à destination de son territoire pour des motifs techniques liés à la saturation de ses centres d'accueil.

10. Toutefois, la circulaire du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien invoquée par M. G... se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil. Or aucune pièce du dossier ne permet de démontrer qu'à la date de la décision contestée, la demande de suspension des transferts vers l'Italie était encore en vigueur. Par ailleurs, alors qu'il n'est pas même allégué que la Commission européenne aurait, sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, adressé aux autorités italiennes une lettre de mise en demeure quant à l'existence de défaillances systémiques, il ressort des pièces versées aux débats que, par une décision implicite du 4 septembre 2023, les autorités italiennes ont accepté la prise en charge de la demande d'asile de M. G... dont le transfert a été ordonné par l'arrêté litigieux pris le 8 septembre 2023, soit neuf mois après la note du ministre de l'intérieur italien. Dans ces conditions, et alors que l'intéressé ne fait état d'aucune situation de particulière vulnérabilité, les craintes de M. G... quant à l'existence de défaillances systémiques en Italie, notamment au regard des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, doivent être regardées comme infondées. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté du 8 septembre 2023 prononçant le transfert de M. G... aux autorités italiennes au motif qu'il méconnaissait les stipulations de l'article 3 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. G... devant le tribunal administratif à l'encontre de cet arrêté.

Sur les autres moyens soulevés par M. G... devant le tribunal administratif de Paris :

12. En premier lieu, par un arrêté du 23 août 2023 régulièrement publié, le préfet de police de Paris a donné délégation à Mme F... C..., attachée au bureau de l'accueil de la demande d'asile, à l'effet de signer tous arrêtés dans la limite de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté contesté manque en fait.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. G... s'est vu remettre contre signature, le 15 juin 2023, la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A) et la brochure intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), en langue arabe qu'il a déclaré comprendre, et en a accusé réception sans réserves. Si l'intéressé soutient toutefois qu'il est analphabète et ne sait lire aucune langue, et produit au soutien de cette allégation une attestation du 14 septembre 2023 de M. B... E..., dont il prétend qu'il serait son frère, il résulte du résumé de l'entretien individuel dont M. G... a bénéficié le 15 juin 2023 que, d'une part, il a déclaré avoir compris l'ensemble des termes de l'entretien, réalisé avec l'assistance d'un interprète en langue arabe et, d'autre part, a également confirmé lors de cet entretien que l'information sur les règlements communautaires lui avait été remise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

16. Il ressort des pièces du dossier et ainsi qu'il a été dit au point 14, M. G... a bénéficié, le 15 juin 2023, d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de police, avec l'assistance d'un interprète en langue arabe qu'il a déclaré comprendre, et au cours duquel il lui a été loisible de formuler toute observation qu'il jugeait pertinente relative à la procédure de demande d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement (...) ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Et aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

18. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a produit, en première instance, l'accusé de réception " DubliNet " généré par le point d'accès national de l'Etat requis, établissant qu'il a saisi, le 3 juillet 2023, soit dans le délai de deux mois à compter de la date du résultat positif (" hit ") Eurodac, le 12 juin 2023, prévu par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités italiennes d'une requête aux fins de prise en charge de M. G.... Le préfet de police a également produit le constat de l'accord implicite des autorités italiennes à cette demande, en date du 4 septembre 2023, soit au terme du délai prévu par les dispositions du 7. de l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013, établi au moyen de la même application, accompagné de la copie du courrier électronique daté du 7 septembre 2023 accusant réception de ce constat. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un retard dans le processus de détermination de l'Etat responsable doit être écarté.

19. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ". Et aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

20. M. G... soutient que la décision de transfert attaquée méconnaît les stipulations mentionnées au point 19 dès lors qu'il résiderait avec ses deux frères, M. B... E... et M. D... E..., tous deux également demandeurs d'asile. Il produit à cet égard une attestation de M. B... E..., datée du 14 septembre 2023, faisant état d'une conversation téléphonique intervenue le jour de l'entretien individuel de M. G..., soit le 15 juin 2023, au cours de laquelle M. E... aurait informé l'agent préfectoral en charge de cet entretien de la situation familiale de M. G.... Toutefois, à supposer même établi le lien familial entre M. G... et M. B... E..., cette seule attestation ne saurait suffire à établir qu'à la date de la décision attaquée, le préfet de police aurait été informé de la présence en France de ces deux prétendus frères avec lesquels l'intéressé résiderait, alors en outre que ce dernier n'a formulé aucune observation à cet égard au cours de l'entretien individuel, malgré l'invitation qui lui a été faite, et a même déclaré à l'occasion de cet entretien qu'il n'avait aucun autre membre de sa famille en France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que de l'article 17.1 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté ainsi que celui, pour les mêmes motifs, tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de M. G....

21. Enfin, compte tenu de ce qui a été dit au point 10 ci-dessus, M. G... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige méconnaîtrait les articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013, non plus que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 8 septembre 2023 décidant le transfert de M. G... aux autorités italiennes et a fait droit aux conclusions à fin d'injonction de M. G... ainsi qu'à celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2321846 du 3 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. G... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... G....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Bruston, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04957


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04957
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SIMON

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;23pa04957 ?
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