Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 9 avril 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction du déplacement d'office.
Par un jugement n° 1913694 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 12 septembre et 4 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Achour, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1913694 du 13 juillet 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 avril 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction du déplacement d'office ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit, d'erreurs de fait et d'erreurs manifestes d'appréciation ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence ;
- il est insuffisamment motivé ;
- la procédure est viciée du fait du caractère incomplet du dossier qui lui a été transmis pour préparer sa défense ;
- elle est également viciée du fait que l'administration n'a pas saisi sans délai le conseil de discipline ;
- les faits de harcèlement moral et de discrimination qu'elle a subis font obstacle à ce qu'elle fasse l'objet d'une sanction disciplinaire du fait de leur dénonciation.
Par une ordonnance du 6 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 février 2024.
Un mémoire en défense a été produit par le ministre de l'intérieur et des outre-mer le 15 avril 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marjanovic,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de Me Achour, pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 9 avril 2019, le ministre de l'intérieur a prononcé à l'encontre de Mme D..., adjointe administrative principale de 1ère classe alors affectée à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la sanction du déplacement d'office. Mme D... relève régulièrement appel du jugement du 13 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme D... ne peut donc utilement soutenir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, que le tribunal aurait entaché sa décision d'erreurs de droit, d'erreurs de fait ou d'erreurs manifestes d'appréciation.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...), peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) ". Aux termes de l'article 14 du décret du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer : " La direction des ressources humaines, qui comprend notamment la mission de gouvernance ministérielle des ressources humaines, a pour mission : / (...) / 2° D'assurer la gestion et le management des corps de fonctionnaires et des agents de l'administration centrale et déconcentrée (...) ".
4. M. G... E..., qui a signé l'arrêté attaqué, a été nommé directeur des ressources humaines du ministère de l'intérieur par un décret du 24 décembre 2015 régulièrement publié le 26 décembre 2015 au Journal officiel de la République française. Il résulte des dispositions précitées qu'en cette qualité, il était compétent, à la date de l'arrêté attaqué, pour signer, au nom du ministre de l'Intérieur, l'ensemble des actes relatifs aux affaires des services placés sous son autorité parmi lesquels figure l'arrêté du 9 avril 2019 prononçant une sanction disciplinaire à l'encontre Mme D..., adjointe administrative du ministère de l'intérieur. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
6. L'arrêté contesté du 9 avril 2019 mentionne les textes dont il fait application et précise qu'il est reproché à l'intéressée des " faits de dénonciation calomnieuse envers sa hiérarchie ", dont elle a été reconnue coupable, le 25 octobre 2018, par le tribunal de grande instance de Paris. Il qualifie ces faits de manquements de l'intéressé " à ses obligations de loyauté et d'obéissance hiérarchique " et considère qu'ils ont " porté atteinte à l'image de l'administration ". Il fait également état de ce " qu'aucun témoignage recueilli parmi les collègues de Mme D... dans le cadre de l'enquête judiciaire ne vient corroborer ses allégations " et de ce que le maintien de l'intéressée " au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises est impossible ". Dès lors, Mme D..., qui ne peut utilement critiquer le bien-fondé des motifs développés dans la décision attaquée pour démontrer le caractère insuffisant de sa motivation, n'est pas fondée à soutenir que ladite décision serait insuffisamment motivée.
7. En troisième lieu, selon le troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, devenu L. 532-4 du code général de la fonction publique, " le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ".
8. Si Mme D... soutient qu'en méconnaissance des dispositions citées au point précédent, elle n'a pas reçu communication, avant la réunion du conseil de discipline qui s'est tenue le 5 février 2019, du " rapport social " la concernant qui avait été commandé, le 9 janvier 2018, à la sous-direction de l'action sociale et de l'accompagnement des personnels par le chef du bureau des affaires générales, des études et des statuts, " afin d'éclairer utilement [les] membres " dudit conseil de discipline sur la " situation personnelle et financière " de l'intéressée, il ressort de l'examen de la note sociale établie le 30 janvier 2019 en réponse à cette demande qu'elle se borne à recenser des données relatives à l'état civil, à la situation familiale et à la situation budgétaire de l'appelante, à partir de ses déclarations fournies au service social des personnels du ministère de l'intérieur. Ainsi, dès lors qu'elle ne porte pas sur des faits qui, s'ils étaient établis, seraient susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, le défaut de communication préalable de cette note sociale n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure disciplinaire suivie.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 531-2 du code général de la fonction publique : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. (...) ".
10. Si ces dispositions, qui impartissent à l'administration un délai de quatre mois pour statuer sur le cas d'un fonctionnaire suspendu, ont pour objet de limiter les conséquences de la suspension, aucun texte n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire. Il s'ensuit que Mme D..., qui a été suspendue de ses fonctions par arrêté du 8 novembre 2018 et entendue par le conseil de discipline le 5 février 2019, soit moins de trois mois plus tard, ne peut sérieusement soutenir que la carence de l'autorité disciplinaire à saisir " sans délai " ledit conseil serait de nature à entacher d'irrégularité la procédure disciplinaire suivie.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) Aucune mesure concernant notamment (...) la discipline (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir des agissements contraires aux principes énoncés au deuxième alinéa du présent article ; 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire respecter ces principes ; 3° Ou bien le fait qu'il a témoigné d'agissements contraires à ces principes ou qu'il les a relatés. ". Aux termes de l'article 6 ter A de la même loi : " Aucune mesure concernant notamment (...) la discipline (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, aux autorités judiciaires ou administratives de faits constitutifs d'un délit, d'un crime ou susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts au sens du I de l'article 25 bis dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. ". Enfin, aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment (...) la discipline (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ".
12. Il ressort des motifs de la décision attaquée et des pièces du dossier, notamment de la note du 6 novembre 2018 par laquelle le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises a saisi le directeur des ressources humaines du ministère de l'intérieur d'une demande tendant à l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme D..., que l'action disciplinaire visant l'intéressée procède uniquement du jugement du 25 octobre 2018 par laquelle le tribunal correctionnel de Paris l'a reconnue coupable de dénonciation calomnieuse à l'endroit de ses supérieurs hiérarchiques et l'a condamnée, sur l'action publique, à une peine d'amende de 5 000 euros intégralement assortie du bénéfice du sursis et, sur l'action civile, au versement à MM. H... C... et A... F..., qu'elle avait accusés respectivement de harcèlement moral et de discriminations raciales, de dommages et intérêts s'élevant respectivement à 3 000 euros et 1 500 euros. Il s'ensuit qu'alors même que ce jugement n'était pas devenu définitif à la date à laquelle a été prononcée la sanction contestée, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que celle-ci serait constitutive d'une mesure de représailles de la nature de celles que prohibent les dispositions rappelées au point 11 du présent arrêt. En tout état de cause, en se bornant à évoquer la décision du 21 décembre 2017 prononçant son changement d'affectation au service de la planification et de la gestion des crises, laquelle fait au demeurant suite à une nouvelle demande de mobilité qu'elle soutient avoir présentée, et l'infliction de la sanction disciplinaire présentement contestée, Mme D... ne fait pas état d'éléments de nature à faire présumer qu'elle subissait alors, de la part de M. H... C..., des agissements constitutifs de harcèlement moral. Par ailleurs, aucune des attestations qu'elle verse aux débats quant aux propos que M. A... F... aurait pu tenir dans l'exercice de ses fonctions n'est de nature à établir qu'elle aurait personnellement victime de discrimination.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 avril 2019.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Défenseure des droits.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Marjanovic, président assesseur,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 24 mai 2024.
Le rapporteur,
V. MARJANOVICLa présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA04165 2