Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Würth France a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution, au titre de l'exercice clos en 2013, de la somme de 153 842 euros correspondant à un supplément de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi prévu par l'article 244 quater C du code général des impôts.
Par un jugement n° 1707806 du 31 mars 2022, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juin 2022 et 28 mars 2023, la société Würth France, représentée par Me Gerardin, Me Burg et Me Esswein, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1707806 du Tribunal administratif de Montreuil du 31 mars 2022 ;
2°) de prononcer la restitution, au titre de l'exercice clos en 2013, de la somme de 153 842 euros correspondant à un supplément de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi prévu par l'article 244 quater C du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- pour déterminer le montant du CICE en litige, la durée légale du travail au sens de l'article 244 quater C du code général des impôts s'élève à 169 heures par mois, et non à 151,76 heures par mois, s'agissant des VRP qu'elle emploie à titre exclusif et à temps plein ;
- le service a méconnu les énonciations du paragraphe 75 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-RICI-10-150-20 du 4 mars 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen soulevé par la société requérante n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Burg, avocat de la société Würth France.
Considérant ce qui suit :
1. La société Würth France, qui exerce une activité de commerce de gros en quincaillerie, emploie à titre exclusif et à temps plein des voyageurs, représentants et placiers (VRP) dont le statut est régi par un accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975. Elle a bénéficié d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) de 3 115 741 euros au titre de l'année 2013, après avoir déclaré à l'administration fiscale des rémunérations versées à ses VRP à hauteur de 77 893 535 euros, qu'elle a calculées sur la base de la durée légale du travail fixée à 151,67 heures par mois.
2. Par ailleurs, la société Würth France a fait l'objet, au cours de l'année 2013, d'un contrôle de l'application de la législation de la sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, à l'issue duquel l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Alsace lui a notifié des rappels de cotisations et contributions, résultant notamment de la remise en cause partielle du mécanisme, prévu par les dispositions de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, de réduction des cotisations à la charge de l'employeur dues au titre des assurances sociales et des allocations familiales. En application du III de cet article qui dispose que le montant de cette réduction est égal au produit des revenus d'activité de l'année tels qu'ils sont pris en compte pour la détermination de l'assiette des cotisations définie à l'article L. 242-1 du même code et d'un coefficient qui est fonction du rapport entre les revenus d'activité de l'année tels qu'ils sont pris en compte pour la détermination de l'assiette des cotisations définie au quatrième alinéa du III de l'article L. 241-13 et le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires, les inspecteurs de l'URSSAF d'Alsace ont, à l'issue de ce contrôle, estimé que, pour la détermination de la rémunération de référence à temps plein des VRP exclusifs de la société Würth France, la durée mensuelle de leur temps de travail devait être fixée à 151,67 heures, et non, selon les déclarations déposées par la société, à 169 heures. La société Würth France a contesté ces rappels devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Bas-Rhin. Par un jugement du 9 novembre 2016, ce tribunal a annulé le redressement procédant de la remise en cause partielle du mécanisme de réduction des cotisations à la charge de l'employeur, estimant que " l'effectif de la société Würth France [étant] composé pour trois quarts de VRP, il ne peut être fait référence à une durée collective du travail à laquelle ils ne sont pas soumis et qui ne concerne qu'une minorité de salariés " et que " dès lors que l'accord national interprofessionnel [des VRP du 3 octobre 1975] n'a pas fait l'objet d'un avenant, il convient de retenir la durée de 169 heures par mois car l'accord fait référence à cette durée en fixant un salaire minimum en fonction du SMIC ".
3. Par une réclamation du 27 décembre 2016, complétée le 4 janvier 2017, la société Würth France a demandé que le CICE dont elle a bénéficié au titre de l'année 2013 à concurrence de la somme de 3 115 741 euros, soit porté à la somme de 3 269 583 euros, en se prévalant de ce que les rémunérations sur lesquelles est assis ce crédit d'impôt, initialement déclarées par elle pour un total de 77 893 535 euros, doivent être, compte tenu du jugement du TASS du Bas-Rhin en date du 9 novembre 2016, porté à hauteur de 81 739 575 euros, eu égard à la prise en compte, pour ses VRP, d'une durée de temps de travail de 169 heures par mois, et non de 151,67 heures. Sa réclamation ayant été rejetée par une décision du 29 juin 2017, la société Würth France a porté le litige devant le Tribunal administratif de Montreuil qui, par un jugement du 31 mars 2022, a rejeté sa demande tendant à la restitution, au titre de l'exercice clos en 2013, de la somme de 153 842 euros correspondant à un supplément du CICE prévu par l'article 244 quater C du code général des impôts. La société Würth France fait appel de ce jugement.
4. D'une part, aux termes du II de l'article 244 quater C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Le [CICE] est assis sur les rémunérations que les entreprises versent à leurs salariés au cours de l'année civile. Sont prises en compte les rémunérations, telles qu'elles sont définies pour le calcul des cotisations de sécurité sociale à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, n'excédant pas deux fois et demie le salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnent lieu (...) ".
5. D'autre part, en vertu de l'article L. 3121-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine, soit 151,67 heures par mois.
6. Pour soutenir que la durée de travail de ses VRP doit être fixée à 169 heures par mois, la société Würth France fait valoir que, d'une part, il ne peut être tenu compte de l'arrêt du 25 novembre 2021 par lequel la Cour d'appel de Colmar a annulé le jugement du TASS du Bas-Rhin en date du 9 novembre 2016 dès lors que les règles fixées par les articles L. 241-15 et D. 241-27 du code de la sécurité sociale pour déterminer le nombre d'heures de travail à prendre en compte pour évaluer le montant de la réduction des cotisations de sécurité sociale, sur lesquelles les juges d'appel se sont appuyés pour fixer à 151,67 heures la durée de travail mensuelle de ses VRP, ne sont pas applicables pour calculer le montant du plafond d'éligibilité au CICE en vertu du principe d'indépendance des législations fiscale et sociale, que, d'autre part, la réglementation de la durée du travail n'est pas applicable aux VRP dont le temps de travail n'est pas quantifiable et qu'enfin, il se déduit des stipulations de l'article 5 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, qui garantissent à ceux-ci une " ressource minimale forfaitaire qui (...) ne pourra [pas] être inférieure à 520 fois le taux horaire du [SMIC] " lorsqu'ils sont employés à titre exclusif et à temps plein, que cette rémunération minimale a été établie implicitement par référence à une durée légale de travail de 169 heures par mois.
7. Il résulte des dispositions précitées de l'article 244 quater C du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires à l'adoption de l'article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 dont elles sont issues, que pour être prises en compte dans l'assiette du CICE, les rémunérations annuelles ne doivent pas dépasser un plafond correspondant à deux fois et demie le SMIC calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail, le législateur ayant seulement prévu que le nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires éventuellement réalisées, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnent lieu, puisse être ajouté à cette durée légale. Dans ces conditions, et alors même que la durée légale du travail, telle que fixée par l'article L. 3121-10 du code du travail précité, n'est pas applicable aux VRP, le plafond d'éligibilité au CICE ne peut être fixé, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 244 quater C du code général des impôts, que sur une base de 151,67 heures de travail par mois dès lors que, par ailleurs, la société Würth France n'établit, ni même n'allègue, que ses VRP auraient été soumis en 2013 à des horaires déterminés et contrôlables par l'employeur susceptibles de s'ajouter, au titre des heures supplémentaires, à la durée légale du travail. Au surplus, la Cour d'appel de Colmar a jugé, par l'arrêt précité du 25 novembre 2021, que " la durée collective du travail applicable dans l'établissement où sont employés les VRP exclusifs de la société Würth France [était] (...) de 151,67 heures [de travail par mois] ". Par suite, c'est à bon droit que le service a rejeté la demande de la société Würth France tendant à ce que le CICE dont elle a bénéficié au titre de l'année 2013 à concurrence de la somme de 3 115 741 euros, soit porté à la somme de 3 269 583 euros à raison de la prise en compte, pour ses VRP, d'une durée de temps de travail de 169 heures par mois.
8. Par ailleurs, la demande de restitution d'un CICE a le caractère d'une réclamation préalable au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Par suite, le refus de l'administration fiscale de faire droit à une telle demande ne constituant pas un rehaussement d'imposition, la société Würth France n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement implicite des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation administrative de la loi fiscale énoncée au paragraphe 75 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-RICI-10-150-20 du 4 mars 2013.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Würth France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de la société Würth France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Würth France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur chargé de la direction des grandes entreprises.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAU
La présidente,
P. HAMON
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02681