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16/05/2024 | FRANCE | N°24PA00048

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 16 mai 2024, 24PA00048


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2324627/8 du 1er décembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police ou au préfet territorialement compéten

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2324627/8 du 1er décembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police ou au préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2024, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2324627/8 du 1er décembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête présentée par M. B....

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit, dans l'application des dispositions des articles 3.2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la décision contestée a été signée par une autorité compétente ;

- elle est suffisamment motivée ;

- la procédure des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 a été respectée, car le requérant a bénéficié d'une information complète, que l'entretien individuel a été réalisé avec un interprète en langue pachtou, que le requérant a déclaré comprendre et le résumé de cet entretien lui a été remis ;

- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et l'article 3 de ce règlement ;

- la décision litigieuse n'a pas été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le requérant n'établit pas qu'elle l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain et dégradant ;

- cette décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Jasmin-Sverdlin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 octobre 2023, le préfet de police a décidé du transfert de M. B..., ressortissant guinéen né le 4 janvier 2005, aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 1er décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". En vertu de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

3. Pour annuler l'arrêté du 10 octobre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a estimé, au visa de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 et de l'article 17 du même règlement, que si M. B... devait former une demande d'asile en Italie, celle-ci serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

4. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de la circulaire du 5 décembre 2022 précitée, par laquelle la présidente du Conseil italien se borne à annoncer à ses homologues européens une " suspension temporaire " des transferts à destination de l'Italie en raison de motifs techniques liés à la saturation des centres d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays et de la décision du Conseil d'Etat des Pays-Bas, qu'il existerait en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Ainsi, il ne ressort pas de ces pièces que la demande d'asile présentée par M. B... serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée en Italie dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il serait personnellement exposé à un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert aux autorités italiennes, ces dernières ayant donné leur accord implicite à la demande de transfert. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus.

5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision attaquée :

6. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-00971 du 23 août 2023 régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture de police n° 75-2023-466 du 23 août 2023, le préfet de police, a donné à Mme D... C... attachée d'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

7. En deuxième lieu, la décision mentionne qu'il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. B... au moyen du système Eurodac effectuée conformément au règlement n° 603/2013 qu'il a franchi irrégulièrement les frontières italiennes , le 28 juin 2023, que les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de prise en charge en application de l'article 13-1 du règlement n° 604/2013 et en ont accepté la responsabilité par un accord implicite du 9 octobre 2023 en application de l'article 22-7 du règlement précité. Elle est ainsi suffisamment motivée.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. M. B... s'est vu remettre le 24 juillet 2023 les brochures " A " et " B " rédigées en langue française qu'il a déclaré comprendre ainsi qu'en attestent les signatures portées par l'intéressé sur ces brochures qui seules constituent la brochure commune au sens des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, permettant aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une information complète sur l'application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le guide du demandeur d'asile et que la brochure " Eurodac " lui ont également été remis le 26 mai 2023. M. B... a enfin signé le résumé de son entretien individuel, réalisé en français à sa demande, attestant que l'information sur les règlements communautaires lui a été remise.

10. En quatrième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ".

11. D'une part, il ressort du résumé de cet entretien, dûment signé par M. B... et réalisé en langue française à sa demande, que celui-ci a bénéficié d'un entretien individuel le 24 juillet 2023 auprès de la préfecture de police. Cet entretien, dont le résumé porte le cachet de la préfecture de police et qui a été mené dans les locaux de la préfecture par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration, doit être regardé comme ayant été conduit par une personne qualifiée en vertu du droit national, conformément aux exigences de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, alors même que son nom n'est pas précisé dans le résumé d'entretien et que sa signature n'y est pas apposée, M. B... n'apportant aucun élément de nature à mettre en cause la qualification de cet agent. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire n'exige que cet agent ait préalablement reçu une délégation de signature, qu'une copie du compte-rendu d'entretien soit remise à l'intéressé, que ce dernier soit informé de la possibilité de relire l'entretien avant de le signer, que le compte-rendu mentionne la durée de cet entretien ou que son conseil en reçoive communication. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., qui a déclaré n'avoir rien à ajouter à l'issue de l'entretien, aurait été empêché de faire valoir des observations ou que le principe du contradictoire aurait été méconnu. Enfin, compte tenu de la procédure spéciale mise en place par les dispositions de l'article 5 précité qui prévoit notamment le droit à un entretien individuel préalable à l'édiction de l'arrêté de transfert, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration est inopérant.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. M. B..., qui a d'ailleurs déclaré être célibataire lors de son entretien, fait valoir qu'il entretient une relation avec une ressortissante ivoirienne. Toutefois, eu égard au caractère récent tant de son entrée en France et au caractère postérieur à la date de la décision attaquée d'une communauté de vie, à la supposer établie, M. B..., qui est sans charge de famille et ne soutient pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ne justifie pas d'une vie privée et familiale en France à laquelle la décision litigieuse porterait une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En outre, s'il déclare bénéficier d'un suivi médical en France, il ne produit aucun élément de nature à en justifier. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. B... doivent être écartés.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 10 octobre 2023 et a fait droit aux conclusions à fin d'injonction de M. B..., ainsi qu'à ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris doit en conséquence être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2324627/8 du 1er décembre 2023 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris, auxquelles le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit aux articles 2, 3 et 4 de son jugement, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure,

I. JASMIN-SVERDLINLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00048


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00048
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. DORE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;24pa00048 ?
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