Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 9 mai 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.
Par un jugement n° 2310598/8 du 22 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Bremaud, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2310598/8 du 22 juin 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 9 mai 2023 par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros hors taxes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les arrêtés litigieux ont été signés par une autorité incompétente ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet de police s'est mépris sur l'étendue de sa compétence ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale compte tenu de l'illégalité de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est cru en situation de compétence liée ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à sa durée.
La requête a été communiquée au préfet de police qui n'a pas présenté d'observation en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 11 septembre 2023.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui,
- et les observations de Me Bremaud, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sénégalais, est entré en France selon ses déclarations en 2019. Par un arrêté du 9 mai 2023, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office. Par un arrêté du même jour, le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. M. A... relève appel du jugement du 22 juin 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des décisions du 9 mai 2023, prises dans leur ensemble :
2. Par un arrêté n° 2023-00059 du 23 janvier 2023 régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture de police n° 75-2023-056 du 23 janvier 2023, le préfet de police a donné à Mme C..., adjointe au chef de la division des reconduites à la frontière, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature des arrêtés litigieux. Par suite, le moyen tiré de ce que ces arrêtés auraient été signés par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ".
4. Contrairement à ce que soutient M. A..., il ne ressort d'aucune mention de l'arrêté du 9 mai 2023 ni d'aucune pièce du dossier que le préfet de police se serait cru en situation de compétence liée pour prononcer une mesure d'éloignement à son encontre sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La circonstance que la présence en France de l'intéressé ne constituerait pas une menace pour l'ordre public est sans incidence sur la légalité de cette décision, qui n'est pas fondée sur l'existence d'une telle menace. Dès lors, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement serait entachée d'une erreur de droit doit être écarté.
5. En second lieu, M. A... soutient qu'il vit en France depuis l'année 2019 auprès de son grand-père maternel titulaire d'une carte de résident, qu'il travaille depuis 2020 en qualité de commis de cuisine et plongeur et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public dès lors que, par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 21 juin 2023, il a été relaxé des faits de violences avec arme pour lesquels il a été interpellé le 7 mai 2023. Toutefois ces circonstances ne sont pas suffisantes pour regarder la mesure d'éloignement prise à l'encontre du requérant comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que celui-ci est célibataire, sans charge de famille et ne se prévaut que de la présence en France de son grand-père sans toutefois établir ni même alléguer être isolé au Sénégal où il a vécu jusqu'à l'âge de 23 ans.
Sur la légalité de l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français :
6. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
7. Si l'arrêté relève que M. A... a été signalé par les services de police le 7 mai 2023 pour des faits de violences avec arme, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été relaxé par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 21 juin 2023, sa présence en France ne pouvant dès lors être regardée comme représentant une menace pour l'ordre public. Il ressort par ailleurs de ces mêmes pièces, notamment des fiches de paie relatives à la période mars 2020 à septembre 2023, que M. A..., qui n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement, a travaillé à compter de l'année 2020. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir qu'en fixant à trente-six mois la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, et alors même que son séjour en France est relativement récent, le préfet a commis une erreur d'appréciation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cet arrêté, M. A... est fondé à en demander l'annulation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander la réformation du jugement du 22 juin 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 mai 2023 prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois ainsi que l'annulation de cet arrêté, le surplus de ses conclusions à fin d'annulation devant être rejeté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent, par suite, être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. M. A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Bremaud, conseil de M. A..., sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 9 mai 2023 du préfet de police portant interdiction de retour de M. A... sur le territoire français pour une durée de trente-six mois est annulé.
Article 2 : Le jugement n° 2310598/8 du 22 juin 2023 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bremaud, conseil de M. A..., la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bremaud, au préfet de police et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.
La rapporteure,
N. ZEUDMI SAHRAOUILa présidente,
P. HAMON
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA04371 2