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16/05/2024 | FRANCE | N°23PA03232

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 16 mai 2024, 23PA03232


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 juillet, 2 octobre et 12 décembre 2023, la société civile immobilière Bréau Invest, représentée par Me Bouyssou, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler l'arrêté du 6 juin 2023 par lequel le maire de Varennes-sur-Seine a refusé de lui délivrer un permis de construire n° PC 077 482 22 00025 en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale ;



2°) d'enjoindre à la commission

nationale d'aménagement commercial et au maire de la commune de Varennes-sur-Seine de procéder au réexame...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 juillet, 2 octobre et 12 décembre 2023, la société civile immobilière Bréau Invest, représentée par Me Bouyssou, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 6 juin 2023 par lequel le maire de Varennes-sur-Seine a refusé de lui délivrer un permis de construire n° PC 077 482 22 00025 en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale ;

2°) d'enjoindre à la commission nationale d'aménagement commercial et au maire de la commune de Varennes-sur-Seine de procéder au réexamen du dossier et de statuer à nouveau sur sa demande, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'avis de la commission nationale d'aménagement commercial a été pris en violation des articles R. 752-34 et R. 752-35 du code de commerce, dès lors que, d'une part, en l'absence de procès-verbal de la réunion de la commission, il n'est pas justifié des membres ayant siégé et que, d'autre part, l'attestation de convocation porte sur la séance du 4 mai 2023 après-midi alors que le dossier a été examiné le matin de ce même jour ;

- l'avis de la commission a été pris en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce, les deux motifs fondant le refus de délivrance du permis sollicité étant entachés d'illégalité : tout d'abord, le projet n'est pas de nature à fragiliser les centralités du territoire considéré et, ensuite, ce projet présente une qualité environnementale suffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2023, la commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la commune de Varennes-sur-Seine qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jasmin-Sverdlin,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Bouyssou pour la société Bréau Invest.

Considérant ce qui suit :

1. Le 3 octobre 2022, la société Bréau Invest a présenté une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour procéder à l'extension de l'ensemble commercial de Bréau à Varennes-sur-Seine (Seine-et-Marne), afin de créer deux moyennes surfaces spécialisées en équipement de la maison, d'une surface de vente totale de 1 600 m2 (1 100m2 et 500 m2). La commission départementale d'aménagement commercial de Seine-et-Marne a rendu, à l'unanimité, un avis favorable à ce projet le 16 décembre 2022. S'étant autosaisie le 19 janvier 2023, la commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis défavorable au projet le 4 mai 2023. La société Bréau Invest demande l'annulation de l'arrêté du 6 juin 2023 par lequel le maire de Varennes-sur-Seine a refusé de lui délivrer le permis sollicité.

Sur la légalité de l'arrêté du 6 juin 2023 :

En ce qui concerne la procédure devant la commission nationale d'aménagement commercial :

2. Aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. / Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : / 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; / 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; / 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; / 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; / 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 752-38 du même code : " L'avis ou la décision est motivé, signé par le président et indique le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que le nombre d'abstentions. ".

3. D'une part, alors qu'il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que le procès-verbal de la réunion de la commission devrait être communiqué au pétitionnaire et que l'avis de la commission devrait comporter le nom des membres ayant siégé, il est constant que cet avis mentionne le nombre de votes favorables, défavorables et le nombre d'abstentions, conformément à l'article R. 752-38 du code de commerce précité.

4. D'autre part, si l'une des attestations d'envoi des convocations par voie électronique concerne la séance n° 574 de la commission, qui s'est tenue l'après-midi alors que le projet a été examiné à la séance n° 573 qui s'est déroulée le matin, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation de la directrice de projets de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en date du 29 novembre 2023 et des copies d'écran retraçant les partages des fichiers avec les membres de la commission pour la séance n° 573 du 4 mai 2023, que l'ensemble des membres de la commission a reçu une convocation pour cette séance.

5. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure entachant l'avis de la commission nationale d'aménagement commercial sera écarté.

En ce qui concerne l'appréciation portée sur le projet par la commission nationale d'aménagement commercial :

6. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Aux termes de cet article : " (...) / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; (...) e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre (...) ; / 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue (...) de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi.

7. En premier lieu, la commission nationale d'aménagement commercial a estimé que le projet, qui " vise à renforcer un pôle commercial périphérique (2,5 km à mi-chemin des centres villes de Varennes-sur-Seine et de Montereau-Fault-Yonne) (...) est de nature à fragiliser d'autant plus les centralités du territoire considéré ", dès lors que la commune de Montereau-Fault-Yonne, principale centralité commerciale du secteur, " connaît un taux de vacance commerciale de 17,4% " et a signé une convention cadre " Action Cœur de Ville " en 2018, dont les objectifs sont les suivants : " diversifier l'offre commerciale en centre-ville ", lutter contre la vacance commerciale, créer des activités de proximité visant à ramener la vie en centre-ville, améliorer la visibilité/lisibilité des commerces sécuriser les déplacements piétons, etc. ".

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre adressée à la présidente de la commission nationale d'aménagement commercial par le maire de Montereau-Fault-Yonne, en date du 28 avril 2023 et de l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial du 16 décembre 2022, que le secteur de l'équipement de la maison étant très peu représenté dans le centre-ville et l'évasion commerciale étant importante en ce domaine, ce projet est complémentaire aux commerces de centre-ville et n'est pas de nature à entraver les actions menées au titre de l'opération Action Cœur de Ville. Il ressort également de ces pièces, en particulier du rapport de la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne, qui a émis un avis favorable au projet, que si celui-ci " ne peut que contribuer à la poursuite de la fragilisation du tissu commercial des centres villes et à renforcer la dévitalisation de la centralité (...) une étude de la vacance et des friches commerciales tend à démontrer qu'au vu des besoins en surface et du caractère du magasin, aucun bâtiment n'est disponible au centre-ville ". En outre, s'il ressort de l'avis favorable du ministre chargé du commerce que le taux de vacance commerciale est important à Montereau-Fault-Yonne, le projet ne devrait pas avoir d'impact sur le centre-ville où le secteur de l'équipement de la maison est très peu représenté, ni remettre en cause les mesures de soutien. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la commission nationale d'aménagement commercial a porté sur le projet une appréciation erronée au regard de l'objectif d'aménagement du territoire.

9. En second lieu, la commission nationale d'aménagement commercial a estimé que " le projet n'est pas vertueux sur le plan du développement durable en ce qu'il ne permet pas une amélioration globale de l'ensemble commercial dans lequel celui-ci a vocation à s'implanter ; qu'aussi, le parti pris architectural global du centre commercial de Bréau reste anecdotique ; qu'il est de plus rapporté une impossibilité technique d'aménager des emplacements du parc de stationnement avec un revêtement perméable en raisons de remontées de nappes phréatiques, sans éléments toutefois probants de justification à l'appui d'une telle allégation ".

10. D'une part, dès lors que le projet vise à l'extension d'un ensemble commercial existant, la commission nationale d'aménagement commercial ne pouvait motiver son avis défavorable sur le fait que celui-ci ne permettait pas une amélioration globale de l'ensemble commercial dans lequel celui-ci a vocation à s'implanter, ni sur le parti pris architectural " anecdotique " de cet ensemble commercial. D'autre part, le projet ne prévoyant pas de modifier le parc de stationnement du centre commercial, la commission nationale d'aménagement commercial ne pouvait fonder son avis défavorable sur l'absence de justification apportée à l'impossibilité technique de rendre les places de stationnement perméables, alors au demeurant, que la société pétitionnaire a indiqué, lors de l'instruction du dossier par la commission, qu'un dispositif de drainage enterré sous le parc de stationnement a été mis en place après la construction du centre commercial, à la suite d'inondations régulières, qui a permis de remédier au problème de remontée des eaux pluviales et que trois bassins de rétention assurent l'infiltration des eaux pluviales dans le sous-sol. Ainsi, la société Bréau Invest est fondée à soutenir que l'avis de la commission est entaché d'une erreur d'appréciation du projet au regard de l'objectif de développement durable.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bréau Invest est fondée à soutenir que c'est à tort que le maire de Varennes-sur-Seine a, par arrêté du 6 juin 2023, refusé de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité et à demander l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

13. Le présent arrêt implique nécessairement, d'une part, que la commission nationale d'aménagement commercial rende un nouvel avis sur la demande dont elle se trouve à nouveau saisie. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt. D'autre part, il y a lieu d'enjoindre au maire de Varennes-sur-Seine de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale de la société requérante, dans un délai de trois mois suivant le nouvel avis de la commission nationale d'aménagement commercial.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, agissant en qualité de personne morale support de la commission nationale d'aménagement commercial, partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Bréau Invest d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 6 juin 2023 par lequel le maire de Varennes-sur-Seine a refusé de délivrer à la société Bréau Invest un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour procéder à l'extension d'un ensemble commercial est annulé.

Article 2 : Il est enjoint, d'une part, à la commission nationale d'aménagement commercial, qui se trouve à nouveau saisie de ce dossier, de rendre un nouvel avis sur le projet de la société Bréau Invest dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, d'autre part, au maire de Varennes-sur-Seine de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale de la société requérante, dans un délai de trois mois suivant le nouvel avis de la commission nationale d'aménagement commercial.

Article 3 : L'Etat versera à la société Bréau Invest une somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bréau Invest, à la commission nationale d'aménagement commercial et à la commune de Varennes-sur-Seine.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure, Le président,

I. JASMIN-SVERDLIN J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA03232


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03232
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;23pa03232 ?
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