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16/05/2024 | FRANCE | N°23PA00072

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 16 mai 2024, 23PA00072


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2221927 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif

de Paris a fait droit à sa requête, en annulant les deux arrêtés du préfet de police du 19 octobre 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2221927 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa requête, en annulant les deux arrêtés du préfet de police du 19 octobre 2022 et en enjoignant à ce dernier de procéder au réexamen de la situation de M. B....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 janvier 2023, le préfet de police, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2221927 du 9 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté au motif qu'il a méconnu le droit d'être entendu et n'a pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... ;

- les moyens de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, un mémoire et des pièces complémentaires enregistrés les 2 et 16 avril 2024, M. B..., représenté par Me Nait Mazi, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne, ensemble la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Diémert a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 30 mars 1983 et de nationalité algérienne, est arrivé en France en 2018 selon ses déclarations. Il a été interpellé pour des faits de conduite sans permis et de détention et obtention indue d'un faux document administratif puis placé en garde à vue. Par deux arrêtés du 19 octobre 2022, le préfet de police, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixé le pays de destination, et d'autre part, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Par un jugement du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé les deux arrêtés du 19 octobre 2022 du préfet de police, lui a enjoint de procéder au réexamen de sa situation, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet de police interjette appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé de l'annulation prononcée par le jugement attaqué :

2. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne, implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Pour annuler la décision contestée, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a retenu, qu'il ressort du procès-verbal d'audition de M. B... que le préfet de police n'a pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé et a méconnu son droit d'être entendu dès lors que, d'une part, il n'a pas été interrogé précisément sur sa situation personnelle et n'a pas été informé sur la possibilité qu'une mesure d'éloignement puisse être prise à son encontre, et d'autre part, le préfet n'a pas retenu dans sa décision la circonstance que M. B... a fait valoir, au cours de cette audition, qu'il a entrepris des démarches tendant à régulariser sa situation administrative. Toutefois, il ressort du même procès-verbal d'audition établi par les services de police le 19 octobre 2022 que M. B... a pu faire valoir ses observations sur les conditions de séjour en France et a été mis en mesure de présenter toutes ses observations, notamment celles relatives à sa vie privée et familiale avant l'édiction par le préfet des arrêtés litigieux. Par ailleurs, si l'intéressé a fait valoir qu'il a entrepris des démarches tendant à régulariser sa situation administrative, il ne produit aucun élément de nature à établir qu'il aurait effectivement procédé à de telles démarches. Ainsi, la circonstance que la décision litigieuse ne mentionne pas que M. B... n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ne révèle pas une absence d'examen sérieux de la situation de l'intéressé. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur la méconnaissance du droit d'être entendu de M. B... et sur le défaut d'examen particulier de sa situation pour annuler les décisions du 19 octobre 2022 dans toutes ses dispositions.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens invoqués par M. B... en première instance :

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus de délai de départ volontaire :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ".

6. M. B... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a déposé un dossier de régularisation de sa situation administrative et que le préfet ne justifie d'aucune recherche quant à l'état de sa situation administrative. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, M. B... ne verse aucune pièce au dossier de nature à établir la réalité de ses démarches aux fins de régularisation de sa situation administrative. Par ailleurs, il ne ressort pas de l'arrêté en litige que le préfet n'aurait pas procédé à de telles vérifications. Par suite, le moyen tiré du défaut de base légale doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la décision contestée vise les textes dont elle fait application, et en particulier le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Elle précise la circonstance que M. B... a été signalé par les services de police pour des faits de conduite sans permis et de détention et d'obtention indue d'un faux document administratif, le caractère irrégulier de son entrée et son séjour en France ainsi que l'absence de résidence effective en France. Cette décision indique également qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale, et que rien ne s'oppose à ce qu'il fasse l'objet d'une mesure d'éloignement. La décision en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, et dès lors qu'il ne revient pas au préfet de faire état de l'ensemble des circonstances de fait de la situation de l'intéressé, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

8. En troisième lieu, M. B... soutient qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public dès lors que son signalement par les services de police pour des faits de conduite sans permis et de détention et obtention indue de faux document administratif n'a pas donné lieu à des poursuites pénales, et que ces faits ne sont pas constitutifs d'une telle menace, en particulier au regard de sa vie privée et familiale. Toutefois, il est constant que M. B... ne conteste pas la matérialité des faits commis, qui par leur nature et leur gravité sont constitutifs d'une menace pour l'ordre public. En outre, si M. B... se prévaut de sa relation avec une ressortissante française, il n'établit pas l'intensité de cette relation en se bornant à ne produire qu'une attestation sur l'honneur rédigée par cette dernière. Par ailleurs, ni la durée de son séjour, à supposer établie de quatre ans, ni son activité professionnelle ne permet de le regarder comme justifiant d'une insertion particulière dans la société. Enfin, M. B... ne justifie pas être dépourvu d'attache dans son pays d'origine dans lequel réside son fils pour lequel il verse une pension alimentaire, et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de 35 ans. Ainsi, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

9. En premier lieu, il ne ressort pas de l'arrêté litigieux que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... dès lors que, d'une part, il ne lui appartient pas d'exposer l'ensemble des éléments de fait qui constituent la situation personnelle de l'intéressé, et d'autre part, il mentionne l'ensemble des considérations de droit et de faire qui fondent sa décision. Le préfet mentionne notamment sa situation administrative, les infractions commises ayant conduit à son signalement, ses conditions de séjour en France ainsi que l'absence de garantie de représentation suffisantes. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

10. En second lieu, l'intéressé n'allègue aucun élément, et ne produit aucune pièce de nature à établir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en relevant que M. B... ne présente aucune garantie de représentation suffisante et qu'il ne justifie d'aucune résidence effective et permanente en France, et ce nonobstant la circonstance qu'il se prévaut d'une résidence habituelle sur le territoire français de quatre ans. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

12. Si M. B... soutient que le préfet a entaché sa décision d'un défaut de motivation au regard des dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la durée de son séjour, la méconnaissance d'une éventuelle obligation de quitter le territoire français et ses liens privées et familiaux n'ont pas été pris en compte, l'arrêté mentionne que l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public et qu'il ne peut se prévaloir de liens suffisamment anciens, forts et caractérisés avec la France. Par ailleurs, il n'appartenait pas au préfet de faire mention d'une précédente mesure d'éloignement dès lors que l'obligation de quitter le territoire français en date du 19 octobre 2022, objet du présent litige, constitue la première mesure d'éloignement prise à son encontre. Le moyen doit donc être écarté.

13. En second lieu, M. B... soutient que sa situation personnelle et professionnelle permet de regarder la décision en litige comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 8 du présent arrêt, M. B... ne justifie pas de l'intensité de ses liens personnelle en France, ni d'une insertion professionnelle particulière. Il suit de là que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Le moyen doit donc être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé ses deux arrêtés du 19 octobre 2022, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B..., et a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit que la demande présentée par M. M. B... devant le tribunal administratif de Paris et l'ensemble de ses conclusions d'appel, en ce comprises celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, dès lors qu'il est la partie perdante à l'instance, doivent rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2221927 du tribunal administratif de Paris du 9 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA00072


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00072
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : NAIT MAZI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;23pa00072 ?
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