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26/04/2024 | FRANCE | N°23PA00596

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 26 avril 2024, 23PA00596


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Capa Presse a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 avril 2021 par laquelle le Centre national du cinéma et de l'image animée a refusé de lui délivrer une autorisation préalable relative à l'investissement d'une aide financière à la production pour le documentaire " Renaud intime ", ainsi que la décision par laquelle il a rejeté son recours gracieux.



Par un jugement n° 2121568 du 30 novembre 2022, le tribu

nal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Capa Presse a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 avril 2021 par laquelle le Centre national du cinéma et de l'image animée a refusé de lui délivrer une autorisation préalable relative à l'investissement d'une aide financière à la production pour le documentaire " Renaud intime ", ainsi que la décision par laquelle il a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 2121568 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 février, 28 avril et 16 octobre 2023, la société Capa Presse, représentée par Me Cabanes et Me de Saint-Pern, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du Centre national du cinéma et de l'image animée du

28 avril 2021, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et la décision expresse de rejet de ce recours du 13 décembre 2021 ;

3°) de mettre à la charge du Centre national du cinéma et de l'image animée une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- la décision du 28 avril 2021 est signée par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- les articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et sont entachés d'incompétence négative ;

- du fait de l'illégalité de ces articles, la décision du 28 avril 2021 est dépourvue de base légale ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le CNC s'est prononcé sans avoir préalablement défini la notion de documentaire de création ;

- elle est entachée d'erreurs de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le documentaire a une valeur patrimoniale et manifeste une intention de réalisation et un point de vue personnel et original de l'auteur.

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 août et 15 décembre 2023, le Centre national du cinéma et de l'image animée, représenté par Me Margelidon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Capa Presse une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable car tardive ;

- le moyen tiré de l'incompétence négative dont serait entaché le règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée est inopérant ;

- les moyens soulevés par la société Capa Presse ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Saint-Pern, représentant la société Capa Presse et de

Me Margelidon, représentant le CNC.

Considérant ce qui suit :

1. La société Capa Presse a demandé, le 16 novembre 2020, au Centre national du cinéma et de l'image animée, l'autorisation préalable pour l'investissement d'une aide financière à la production pour un documentaire sur le chanteur Renaud intitulé " Renaud intime ". Par une décision du 28 avril 2021, le directeur général du Centre national du cinéma et de l'image animée lui a refusé cette autorisation. Le recours gracieux formé par la société Capa Presse contre cette décision a été implicitement rejeté, puis rejeté de manière expresse le

13 décembre 2021. La société Capa Presse relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal a, en tout état de cause, suffisamment motivé, au point 14 du jugement attaqué, sa réponse au moyen tiré de l'illégalité par voie d'exception des articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières en raison de l'incompétence négative dont ils seraient entachés. A cet égard, alors qu'il n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de l'intéressée, il a notamment répondu à l'argument de la société Capa Presse selon lequel la portée de la décision du Conseil d'Etat n° 392019 du 28 novembre 2016 était d'annuler l'absence de définition, par ce règlement, du documentaire de création.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, la décision contestée du 28 avril 2021 a été signée par

Mme A... B..., directrice de l'audiovisuel au sein du Centre national du cinéma et de l'image animée, qui a reçu, par une décision du 1er février 2021 publiée au journal officiel de la République française, délégation du directeur général du Centre national du cinéma et de l'image animée à l'effet de signer tous actes et toutes décisions de dépenses entrant dans le cadre de ses attributions, dès lors que leur montant est inférieur ou égal à 200 000 euros, ce qui est le cas de l'aide en litige dont le montant s'élève à 50 000 euros. Il ressort par ailleurs de l'organigramme publié sur le site internet du Centre national du cinéma et de l'image animée que la direction de l'audiovisuel est chargée de mettre en œuvre le fonds de soutien audiovisuel, qui attribue des aides notamment pour les documentaires. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision contestée du 28 avril 2021 manque en fait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Aux termes de l'article D. 311-2 du code du cinéma et de l'image animée : " Les aides financières automatiques du Centre national du cinéma et de l'image animée sont attribuées de droit aux personnes qui remplissent les conditions pour les recevoir (...) ".

5. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la décision contestée du 28 avril 2021 mentionne les considérations de droit sur lesquelles elle se fonde, à savoir les articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée. Elle mentionne également les considérations de fait qui ont présidé à son intervention, à savoir, en particulier, que le programme est axé sur la révélation des moindres secrets du chanteur Renaud, sans s'inscrire dans la démarche d'un documentaire de création qui a pour vocation d'apporter une analyse sensible du réel témoignant d'un point de vue de l'auteur, qu'il fait état de manière descriptive des évènements marquants de la vie de Renaud ou les rattache superficiellement à la relation avec son frère et que le parti pris de réalisation ne permet pas de nuancer cette approche " révélatrice " à défaut de précisions sur la nature et le choix des matériaux utilisés. Elle est ainsi suffisamment motivée.

6. En troisième lieu aux termes de l'article D. 311-1 du code du cinéma et de l'image animée : " Les conditions générales d'attribution des aides financières sont fixées par délibérations du conseil d'administration du Centre national du cinéma et de l'image animée dans un document consolidé et dénommé " règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée " (...) ". Aux termes de l'article 311-6 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " Les œuvres audiovisuelles éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d'ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique. / Elles doivent faire l'objet, par les entreprises de production, d'une exploitation durable en cohérence avec leur vocation patrimoniale ". Aux termes de l'article 311-56 du même règlement : " Les entreprises de production ont la faculté d'investir les sommes inscrites sur leur compte automatique pour la production et la préparation des œuvres audiovisuelles qui appartiennent à l'un des genres suivants : / 1° Fiction, à l'exclusion des sketches ; / 2° Animation ; / 3° Documentaire de création ; / 4° Adaptation audiovisuelle de spectacle vivant ".

7. D'une part, la référence, par les articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, aux notions d' " œuvres à vocation patrimoniale " et de " documentaire de création ", éclairées par les dispositions de l'article 311-6 du même règlement qui précisent que les œuvres éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d'ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique et qui doivent faire l'objet d'une exploitation durable, ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. D'autre part, il résulte de ce qui vient d'être dit que le Centre national du cinéma et de l'image animée, dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, a exercé la compétence qui lui était dévolue par les dispositions précitées de l'article D. 311-1 du code du cinéma et de l'image animée. Par suite, les moyens invoqués, par la voie d'exception, à l'encontre des articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée doivent, en tout état de cause, être écartés. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut de base légale de la décision contestée du

28 avril 2021 doit également être écarté.

8. En quatrième lieu, la société Capa Presse se bornant à soutenir que le Centre national du cinéma et de l'image animée a méconnu l'étendue de sa propre compétence en refusant de définir les critères pris en compte pour qualifier un documentaire de création au soutien du moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée la décision contestée du 28 avril 2021, ce moyen peut être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent.

9. En cinquième lieu, le Centre national du cinéma et de l'image animée n'a pas commis d'erreur de fait en retenant que le synopsis du documentaire se limitait à dérouler de manière chronologique les différentes étapes de la vie du chanteur Renaud en regroupant par catégories certaines de ces périodes.

10. En dernier lieu, en vertu des dispositions de l'article 311-60 du règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée alors applicable et de la liste des documents justificatifs figurant en annexe, le Centre national du cinéma et de l'image animée devait, pour prendre sa décision, se fonder sur la lecture du résumé du documentaire, de son synopsis et des notes d'intention de la réalisatrice et du co-producteur, et non sur le visionnage du documentaire. Il ressort de ces éléments que le documentaire, réalisé à l'occasion de l'organisation d'une exposition sur le chanteur Renaud, tend principalement à lui rendre hommage dans un registre émotionnel dépourvu de toute distanciation et à en révéler l'intimité, sans que ces révélations soient au service d'une analyse quelconque. Si d'autres angles sont ponctuellement évoqués tels la gémellité, le lien entre le chanteur Renaud et Paris ou le 14ème arrondissement, la relation du chanteur Renaud à l'enfance ou ses combats politiques ou contre l'alcoolisme, ils varient selon les documents et présentent ainsi un caractère superficiel. La société Capa Presse soutient d'ailleurs à la fois que le documentaire vise " à mettre en valeur la dualité entre la sensibilité et la fragilité d'un artiste " et que c'est " la dualité gémellaire qui intéresse tout d'abord l'auteur, en mettant en lumière le frère qui reste dans l'ombre ". Enfin, la circonstance que le chanteur Renaud puisse être regardé comme appartenant au patrimoine français ne permet pas, à elle seule, de faire regarder tout documentaire le concernant comme une " œuvre patrimoniale ", le caractère patrimonial de l'œuvre s'appréciant non au regard du sujet du documentaire, mais de son traitement. Dans ces conditions, en retenant que le documentaire en litige ne pouvait être qualifié de documentaire de création à vocation patrimoniale au motif que son approche était principalement descriptive et consistait en la révélation de secrets de Renaud, sans s'inscrire dans la démarche d'un documentaire de création qui a pour vocation d'apporter une analyse sensible du réel témoignant d'un point de vue de l'auteur, le Centre national du cinéma et de l'image animée n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que la société Capa Presse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Centre national du cinéma et de l'image animée, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Capa Presse demande sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Capa Presse une somme de 1 500 euros à verser au Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Capa Presse est rejetée.

Article 2 : La société Capa Presse versera une somme de 1 500 euros au Centre national du cinéma et de l'image animée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Capa Presse et au Centre national du cinéma et de l'image animée.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA00596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00596
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP BAKER & MACKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-26;23pa00596 ?
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