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11/04/2024 | FRANCE | N°22PA03869

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 11 avril 2024, 22PA03869


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ou, subsidiairement, de mettre en œuvre à l'encontre du ministère de la justice la procédure de solid

arité de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions du 4 bis ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ou, subsidiairement, de mettre en œuvre à l'encontre du ministère de la justice la procédure de solidarité de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts et, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'il estimait avoir subis.

Par un jugement n° 1810317 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 18 août 2022 et le 5 octobre 2023, M. D..., représenté par Me Decrock, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 juin 2022 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ;

3°) subsidiairement, de mettre en œuvre à l'encontre du ministère de la justice la procédure de solidarité de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts ;

4°) de condamner le ministère de la justice à réparer les préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa rémunération ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas statué sur l'argumentation tirée de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, sur le non-respect par le ministre de la justice de ses obligations fiscales et sociales ainsi que ses obligations en matière de marchés publics, sur l'impossibilité pour un traducteur de s'immatriculer, de collecter et déclarer la TVA, sur le rapport interministériel de 2014, sur la non-soumission à la TVA d'une activité s'exerçant dans un domaine non concurrentiel, sur l'interdiction de rémunérer un collaborateur occasionnel sous le barème légal prévu par le code pénal, sur la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de ses collaborateurs occasionnels et en cas de faute commise par ceux-ci, non plus que sur l'argumentation de son mémoire enregistré le 31 mars 2021 ;

- la décision du 2 octobre 2018 par laquelle le directeur départemental des finances publiques du Val-de-Marne a rejeté sa réclamation préalable a été signée par une autorité incompétente ;

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que la commission départementale des impôts s'est à tort déclarée incompétente sur la question de fait relative à l'existence d'un lien de subordination ;

- l'administration fiscale ne pouvait se fonder sur le rescrit n° 2008/21 et sur la réponse du ministre de l'économie et des finances du 13 août 2013 à la question n° 16168 de M. E... B... pour établir les impositions contestées, les redressements sont insuffisamment motivés ;

- les revenus de son activité d'interprète collaborateur occasionnel du service public de la justice relèvent de la catégorie des traitements et salaires eu égard au lien de subordination avec le ministère de la justice, qui se déduit notamment des contraintes et des sanctions auxquelles il était soumis, et à la garantie d'une rémunération minimale pour chaque vacation ;

- n'étant pas expert, il n'était inscrit sur aucune liste en qualité d'expert interprète ;

- conformément au paragraphe 30 de l'instruction administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 du 20 novembre 2013, l'existence d'un lien de subordination exclut l'assujettissement à la TVA ;

- en vertu de l'article 10 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 et de l'article 256 A du code général des impôts, les personnes liées par un rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur ne sont pas assujetties à la TVA ;

- les rémunérations litigieuses ont la nature de salaires pour l'application du 2° de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale, issu du décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000, qui prévoit que l'Etat est tenu de verser les cotisations sociales afférentes aux revenus perçus par les interprètes agissant en qualité de collaborateurs occasionnels du service public sur réquisitions des autorités judiciaires et de l'article D. 311-2 du même code qui prévoit que les collaborateurs occasionnels du service public ne peuvent être immatriculés auprès de l'Urssaf en tant qu'indépendant ;

- les rémunérations qui lui ont été versées par l'Etat relevant des traitements et salaires, il doit bénéficier de l'exonération d'impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires en vertu de l'article 81 quater du code général des impôts ;

- le refus de regarder son activité d'interprète comme une activité salariée et son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée méconnaissent l'instruction administrative référencée BOI-RSA-CHAMP-10-10-10 du 12 septembre 2012 ;

- il est fondé à invoquer une prise de position formelle de l'administration retranscrite dans la documentation de base de l'administration fiscale référencée 5 F 1113 du 10 décembre 1999 sur les collaborateurs occasionnels du service public ;

- le service méconnaît les instructions administratives référencées BOI-RSA-CHAMP-10-30-10 des 12 septembre 2012 et 11 juillet 2017 ;

- les déclarations des gardes des Sceaux successifs ainsi que les mentions portées sur la déclaration de ses revenus pré-remplies par l'Etat employeur constituent une prise de position formelle opposable ;

- à supposer qu'il puisse être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il ne saurait en être redevable alors même qu'il n'a pas pu la collecter et que les tarifs des frais de justice sont fixés hors taxe, sous le contrôle des services comptables du ministère de la justice ;

- lui appliquer un traitement fiscal distinct de celui appliqué aux délégués du procureur de la République est contraire au principe d'égalité entre contribuables, protégé par les articles 13, 1er et 6 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;

- le ministre de la justice n'a pas respecté ses obligations fiscales en s'étant abstenu de l'informer des sommes à déclarer et en ne les ayant pas déclarées ;

- le ministre de la justice n'a pas respecté ses obligations sociales en ayant permis un travail salarié dissimulé ;

- le ministre de la justice n'a pas respecté ses obligations de mise en concurrence pour le choix de ses interprètes, s'ils ont la qualité d'indépendants ;

- le juge de l'impôt doit mettre en œuvre la solidarité de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée prévue par le 4 bis de l'article 283 du code général des impôts ;

- les majorations pour mauvaise foi ne sont pas fondées dès lors que son employeur a formellement pris position en faveur de la qualification de traitements et salaires, ne lui a pas communiqué les sommes à déclarer et s'est abstenu de les déclarer.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 27 décembre 2022 et 13 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- le décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui exerçait alors une activité d'interprète auprès du ministère de la justice, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ainsi que d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2010 et 2011. Après avoir constaté que l'intéressé s'était abstenu de déclarer les rémunérations perçues au titre de ses missions d'interprétariat payées par l'Etat, l'administration fiscale a considéré que les revenus tirés de cette activité relevaient de la catégorie des bénéfices non commerciaux et entraient dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), puis a mis à sa charge, selon la procédure de rectification contradictoire, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2010 et 2011 ainsi que, selon la procédure de taxation d'office, des rappels de TVA pour la période ayant couru du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011. M. D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, si le requérant soutient que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la méconnaissance par le ministre de la justice de ses obligations fiscales et sociales et de ses obligations en matière de marchés publics, sur l'impossibilité pour un traducteur de s'immatriculer, collecter et déclarer la TVA, sur les conclusions du rapport interministériel de 2014 qu'il invoquait, sur la non-soumission à la TVA d'une activité s'exerçant dans un domaine non concurrentiel, sur l'interdiction de rémunérer un collaborateur occasionnel en-deçà du barème légal prévu par le code pénal et enfin sur la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de ses collaborateurs occasionnels et en cas de faute commise par ceux-ci, M. D... soulevait ainsi non des moyens mais seulement des arguments au soutien d'un même moyen, tiré de ce que les revenus de son activité d'interprète constituaient des traitements et salaires et non des bénéfices non commerciaux. Par suite, le tribunal administratif de Melun n'a pas insuffisamment motivé son jugement en s'abstenant d'y répondre spécifiquement.

3. En deuxième lieu, il ressort des écritures de première instance, d'une part, que M. D... ne soulevait pas de moyen distinct tiré de la méconnaissance de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, que son mémoire en réplique enregistré le 31 mars 2021 ne contenait pas de nouveau moyen auquel les premiers juges se seraient abstenus de répondre.

4. En troisième lieu, il ressort des termes du jugement, et notamment de ses points 20 et 21, que, contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal n'a pas omis de statuer sur ses conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de l'Etat.

Sur les conclusions à fin de décharge des impositions litigieuses :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Selon l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées.

6. Si la proposition de rectification, du 6 décembre 2013, mentionne le rescrit n° 2008-21 TCA du 7 octobre 2008 et la réponse du ministre de l'économie et des finances du 13 août 2013 à la question n° 16168 de M. E... B..., l'administration y indique, outre les motifs et le montant des rehaussements envisagés, ainsi que la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés et les années d'imposition concernées, qu'elle se fonde sur les articles 92 et 256 A du code général des impôts. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la proposition de rectification serait insuffisamment motivée, faute de comporter le fondement légal des rehaussements.

7. En deuxième lieu, les vices susceptibles d'affecter la décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation préalable du contribuable sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé des impositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 2 octobre 2018 par laquelle l'administration a rejeté la réclamation préalable de M. D... aurait été signée par une autorité incompétente ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, si M. D... soutient que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires aurait refusé, à tort, d'émettre un avis sur la question de la nature des revenus en litige, la circonstance, à la supposer établie, que la commission se serait déclarée à tort incompétente est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Au surplus, en l'espèce, la question qui lui était soumise, portant sur la qualification à donner à des revenus, constituait bien une question de droit sur laquelle il ne lui appartenait pas d'émettre un avis, conformément aux dispositions de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

Sur le terrain de la loi fiscale :

9. D'une part, aux termes de l'article 79 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu. / (...) ". Aux termes de l'article 92 de ce code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales (...) et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus / (...) ".

10. D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 9 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Est considéré comme " assujetti " quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. / (...) ". L'article 10 de cette directive précise : " La condition que l'activité économique soit exercée d'une façon indépendante visée à l'article 9, paragraphe 1, exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l'employeur ". Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 256 A de ce code, assurant la transposition du paragraphe 1 de l'article 9 et de l'article 10 de la directive 2006/112/CE : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / Ne sont pas considérés comme agissant de manière indépendante : / - les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur ; / (...) / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. (...) ".

11. Enfin, aux termes de l'article 266 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " 1. La base d'imposition est constituée : / a) Pour (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par (...) le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part (...) du preneur (...) ". Aux termes de l'article 267 de ce code, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. - Sont à comprendre dans la base d'imposition : / 1° Les impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même / (...) ".

12. En premier lieu, tout d'abord, il résulte de l'instruction que si M. D... exerçait son activité d'interprète dans le cadre d'un service organisé par l'administration, dans les locaux de celle-ci et aux horaires qu'elle fixait, ces contraintes étaient inhérentes à la nature même de son activité d'interprétariat. En outre, si l'article D. 594-11 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que les interprètes sont requis ou désignés, le choix s'opère en tout état de cause, par priorité, à partir d'une liste sur laquelle les interprètes-traducteurs se sont volontairement inscrits et ne fait pas obstacle à l'existence d'un motif légitime de refus. Si M. D... produit une attestation d'un brigadier de la préfecture de police, en date du 6 décembre 2018, selon laquelle il était régulièrement " requis " pour assurer des missions d'interprétariat, alors même qu'il n'était inscrit sur aucune des listes mentionnées par le code de procédure pénale, cette attestation fait apparaître qu'il décidait lui-même de ses congés, dont il informait le service. Ensuite, bien que, du fait de sa nature même, il ait accompli son travail sous l'autorité immédiate des officiers de police judiciaire ou des magistrats, il réalisait ses prestations de façon indépendante et ne pouvait faire l'objet de sanctions disciplinaires. En particulier, il ne peut utilement invoquer l'article 109 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, entré en vigueur postérieurement, qui au demeurant se borne à permettre l'établissement d'une liste des interprètes et traducteurs ayant commis des manquements à la probité ou l'honneur ou des contraventions aux lois et règlements relatifs à leur profession ou à leur mission. A cet égard, pas davantage en appel qu'en première instance, M. D... n'établit que les conditions dans lesquelles il a travaillé en qualité d'interprète pour le ministère de la justice seraient telles qu'il se trouvait, au cours des années d'imposition en litige, dans une position de subordination caractéristique du salariat, situation qui ne l'eût en tout état de cause pas dispensé de déclarer les revenus issus de cette activité, ce qu'il s'est abstenu de faire. Enfin, si sa rémunération était fixée forfaitairement par les dispositions du code de procédure pénale, l'administration ne lui garantissait aucun volume d'activité ni aucun revenu minimal. Eu égard aux conditions dans lesquelles il exécutait sa mission, à la nature de ses relations avec l'administration et aux modalités de sa rémunération, il doit être regardé non comme ayant perçu des traitements et salaires mais comme ayant agi de manière indépendante au sens des dispositions précitées de l'article 256 A du code général des impôts.

13. S'il résulte des dispositions du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale et du décret du 17 janvier 2000 portant rattachement de certaines activités au régime général, alors en vigueur, que les interprètes exerçant à titre occasionnel pour le compte de l'Etat une activité rémunérée au titre des frais de justice sont, sauf exception, affiliés au régime général, cette affiliation ne résulte pas, contrairement à ce que prévoit l'article L. 311-2 du même code, de ce que ces personnes sont salariées ou travaillent pour un ou plusieurs employeurs, mais du rattachement opéré par le législateur. L'affiliation de M. D... au régime général de sécurité sociale durant les années considérées est ainsi sans incidence sur la qualification de son activité professionnelle au regard du code général des impôts. Est de même sans incidence sur cette qualification la circonstance que le ministère de la justice a réglé directement les charges sociales afférentes à son activité d'interprète, tout comme celle qu'un accident subi par M. D... pendant l'exercice de ces activités, postérieurement aux années en litige, a été reconnu comme accident du travail. Enfin, le requérant ne peut utilement se prévaloir, dans le présent litige, de ce que le ministère de la justice n'aurait pas respecté l'ensemble de ses obligations fiscales et sociales non plus que de ses obligations en matière de commande publique.

14. Dans ces conditions, M. D..., qui n'avait pas la qualité d'agent public, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, d'une part, l'administration fiscale a considéré que les revenus qu'il a perçus en 2010 et 2011 de son activité d'interprète relevaient de la catégorie des bénéfices non commerciaux, et non de celle des traitements et salaires, et que, d'autre part, elle a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations d'interprétariat qu'il avait réalisées.

15. Il suit de là, en deuxième lieu, que M. D... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 81 quater du code général des impôts qui exonérait de l'impôt sur le revenu les salaires versés aux salariés au titre des heures supplémentaires de travail.

16. En troisième lieu, M. D... reprend en appel le moyen tiré de ce que, à supposer qu'il soit assujetti à la TVA en application de la loi fiscale, il n'est pas redevable des rappels mis à sa charge dès lors qu'il n'a pas pu collecter la taxe et que les tarifs des frais de justice sont fixés hors taxe, sans apporter d'élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur ce moyen par les premiers juges. Par suite, il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Melun au point 10 de son jugement.

17. Enfin, M. D..., qui exerce des fonctions différentes de celles des délégués du procureur de la République dans des conditions différentes, n'est pas fondé à se prévaloir d'une méconnaissance du principe d'égalité entre contribuables qui résulterait de ce que ces délégués ne sont pas assujettis à la TVA.

Sur le terrain de l'interprétation de la loi fiscale

18. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".

19. Il est constant que M. D... n'a procédé à aucune déclaration des revenus qui ont fait l'objet des rehaussements et rappels d'impositions en litige, ni au titre de l'impôt sur le revenu, ni au titre de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, les impositions contestées ne sauraient être regardées, alors même que le foyer de M. D... a été soumis à l'impôt sur le revenu sur la base des autres revenus qu'il avait déclarés, comme constituant un rehaussement d'une imposition primitive de ces revenus. M. D... ne peut davantage être regardé comme ayant appliqué, concernant ces revenus, un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître. Dès lors, il n'est pas fondé à invoquer le bénéfice de l'interprétation de la loi fiscale, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, pour contester les rehaussements et rappels mis à sa charge, l'instruction référencée 5 F 1113 du 10 février 1999 dont il se prévaut ayant au demeurant été rendue caduque en tant qu'elle a trait aux personnes visées par le décret du 17 janvier 2000 mentionné au point 13.

En ce qui concerne la majoration :

20. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, (...) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, ainsi que de son intention d'éluder l'impôt.

21. Il est constant que M. D... n'a procédé à aucune déclaration des revenus qu'il a tirés de son activité d'interprète auprès du ministère de la justice pour les années 2010 et 2011, alors qu'il a encaissé des recettes s'élevant aux sommes respectives de 83 416,17 euros et 94 754,28 euros toutes taxes comprises. Compte tenu des montants en jeu, qui constituent l'essentiel des revenus de l'intéressé, et du caractère répété de cette absence totale de déclaration, l'administration rapporte la preuve de l'intention de M. D... d'éluder l'impôt en ce qui concerne ses bénéfices non commerciaux.

22. En revanche, compte tenu de la complexité du régime d'assujettissement à la TVA des rémunérations des collaborateurs occasionnels du service public, notamment des interprètes traducteurs, M. D... pouvait légitimement ignorer l'obligation qui lui incombait d'acquitter la TVA sur les sommes versées par l'administration en rémunération de ses prestations d'interprétariat. Ainsi, l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de l'intention délibérée qu'aurait eue M. D..., par sa seule abstention de déclaration, entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2011, de se soustraire à cet assujettissement. Le requérant est par suite fondé à demander la décharge de la majoration assortissant les rappels de TVA en litige.

Sur les conclusions aux fins de solidarité de paiement :

23. Ainsi que l'ont à bon droit relevé les premiers juges, il n'appartient pas au juge administratif de faire lui-même usage du pouvoir, que l'administration fiscale tient des dispositions du 4 bis de l'article 283 du code général des impôts, de rechercher, si les conditions en sont réunies, la solidarité de paiement de rappels de TVA auprès des assujettis ayant bénéficié des prestations en litige. Par suite, les conclusions de M. D... tendant à ce que la Cour fasse application, à l'égard de l'Etat, de la solidarité de paiement de la TVA prévue par les dispositions du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts sont irrecevables.

Sur les conclusions indemnitaires :

24. Si M. D... entend mettre en cause la responsabilité de l'Etat pour les préjudices qu'il soutient avoir subis, il se borne, pour contester l'irrecevabilité qui lui a été opposée sur ce point en première instance, à invoquer les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, relatif aux frais exposés et non compris dans les dépens. Ce faisant, il ne conteste pas utilement l'irrecevabilité opposée par le tribunal administratif de Melun à ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages et intérêts.

25. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de la majoration assortissant les rappels de TVA mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.

Sur les frais de l'instance :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : M. D... est déchargé de la majoration de 40 % assortissant les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.

Article 2 : Le jugement du 16 juin 2022 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques - SCAD).

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.

La rapporteure,

P. HAMONLa présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

C. BUOT La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03869


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03869
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : DECROCK

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;22pa03869 ?
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