Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... I... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné à l'issue de ce délai.
Par un jugement n° 2303263 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 novembre 2023, M. K..., représenté par Me Goeau-Brissonnière, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 2303263 du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 30 décembre 2022 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en sa qualité de parent d'enfants mineurs, citoyens de l'Union européenne, il bénéficie d'un droit de séjourner en France ;
- la décision du 30 décembre 2022 portant refus de séjour est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'est pas établi que la personne ayant procédé à la consultation du ficher de traitement des antécédents judiciaires était habilitée pour le faire et que les services de police et le procureur de la République compétents auraient été saisis aux fins de complément d'information et de demandes d'information sur les suites judiciaires, conformément aux dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public puisqu'il n'a jamais commis la moindre infraction, qu'aucune mention n'est portée aux bulletins n°2 et 3 de son casier judiciaire et que le préfet s'est fondé sur les seules mentions figurant au fichier de traitement des antécédents judiciaires ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 30 décembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du même arrêté en tant qu'il porte refus de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu l'ordonnance n° 23PA04848 du 14 décembre 2023 de la juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris prononçant la suspension de l'arrêté du 30 décembre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- et les observations de Me Goeau-Brissonniere pour M. K....
Considérant ce qui suit :
1. M. K..., ressortissant camerounais né le 20 octobre 2002, est entré sur le territoire français le 15 mars 2017 selon ses déclarations. Il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de membre de famille de ressortissant de l'Union européenne. Par un arrêté du 30 décembre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office. Par un jugement du 21 novembre 2023, dont M. K... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique visée ci-dessus : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ". Il n'y a pas lieu, en l'absence d'urgence, de prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle du requérant.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. L'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (...) 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° (...) ". Et aux termes de l'article L. 233-2 de ce même code : " Les ressortissants de pays tiers, membres de famille d'un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées aux 1° et 2° de l'article L. 233-1, ont le droit de séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois. ".
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Lorsque l'administration oppose à un ressortissant étranger un motif lié à la menace à l'ordre public pour refuser de faire droit à sa demande de titre de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision. La menace pour l'ordre public s'apprécie au regard de l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant le comportement personnel de l'étranger en cause. Il n'est donc ni nécessaire, ni suffisant que le demandeur ait fait l'objet de condamnations pénales. L'existence de celles-ci constitue cependant un élément d'appréciation au même titre que d'autres éléments tels que la nature, l'ancienneté ou la gravité des faits reprochés à la personne ou encore son comportement habituel.
5. Pour refuser de faire droit à la demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne déposée par M. K..., le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est notamment fondé sur le fait que la présence en France de l'intéressé représentait une menace pour l'ordre public au sens des dispositions précitées de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il fait état dans sa décision de ce que l'intéressé serait connu des services de police pour usage illicite de stupéfiants, vol simple, vol avec violence n'ayant pas entrainé d'incapacité totale de travail, rébellion et outrage à une personne chargée d'une mission de service et port sans motif d'une arme blanche ou incapacitante de catégorie D. Toutefois, alors que M. K... conteste être l'auteur des faits qui lui sont reprochés, le préfet, qui n'a pas produit d'écritures en défense, ne fournit aucune information tant sur les circonstances dans lesquelles ces infractions auraient été commises, que sur les suites pénales qui y auraient été apportées. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en considérant que la menace pour l'ordre public constituée par la présence en France de M. K... était établie, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. K... a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance à compter du 10 décembre 2018, alors qu'il était âgé de seize ans, jusqu'à sa majorité, qu'il a obtenu un baccalauréat professionnel en 2022 et qu'il était inscrit au titre de l'année 2022-2023 en classe de brevet de technicien supérieur (BTS) " Management commercial opérationnel " en alternance. Il ressort également de ces pièces que M. K... est père de deux enfants de nationalité espagnole, nés les 10 novembre 2020 et 2 mars 2022, qu'il élève depuis leur naissance avec sa compagne, de même nationalité et titulaire d'une carte de séjour valable jusqu'au 6 janvier 2027, avec laquelle il n'est pas contesté qu'il entretient une vie commune. Par ailleurs, le couple est inséré professionnellement, M. K... travaillant en apprentissage au sein d'une épicerie et sa compagne en tant que conseillère économique pour la Croix Rouge française dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans ces conditions, alors que la réalité de la menace à l'ordre public que constituerait la présence en France de l'intéressé n'est pas établie ainsi qu'il a été exposé au point 5, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en refusant de faire droit à sa demande de titre de séjour, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. K... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 décembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. En égard aux motifs d'annulation retenus, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. K... un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. K... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303263 du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 30 décembre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. K... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à M. K... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. H... I....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEU
La présidente,
J. BONIFACJ,La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA04847