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19/03/2024 | FRANCE | N°22PA01661

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 19 mars 2024, 22PA01661


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 95 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de fautes commises dans la gestion de sa carrière.



Par un jugement n° 1911126/5-2 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 12 avril 20

22, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 9 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Lerat, demande à la Cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 95 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de fautes commises dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1911126/5-2 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2022, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 9 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Lerat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 10 février 2022 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 95 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de fautes commises dans la gestion de sa carrière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- il a été rendu irrégulièrement au regard de l'article R. 611-1 de ce code, son mémoire en réplique présenté le 17 novembre 2021 n'ayant pas été soumis au contradictoire ;

- l'arrêté du 26 décembre 2017 le maintenant en disponibilité pour convenances personnelles a été pris illégalement alors qu'il avait été contraint de présenter une demande en ce sens ; ainsi, cet arrêté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le conseil de direction de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) n'a été saisi de sa situation qu'avec retard au mois de mai 2018, en vue de la réunion du 5 juillet 2018, alors qu'il avait demandé sa réintégration dès le 18 juillet 2017 ;

- l'arrêté du 1er octobre 2018, pris à la suite de cette réunion, prononçant sa réintégration pour ordre à compter du 8 décembre 2018 et son placement en position de disponibilité d'office dans l'intérêt du service pour une période d'un an, est entaché de vices de procédure en raison de l'irrégularité de la convocation des membres de ce conseil et en raison de sa composition irrégulière ;

- de plus, l'avis de ce conseil ne comportait pas de motivation lisible ;

- il ne lui a pas été indiqué en temps utile qu'il devrait, lors de la réunion du 5 juillet 2018, se faire assister par un agent autre que celui qu'il avait pressenti et qui était empêché, ce qui ne lui a pas permis de trouver un autre agent susceptible de l'assister ;

- la " note blanche " et l'avis du psychologue qui ont été soumis au conseil de direction le 5 juillet 2018, ne lui avaient pas été communiqués lorsqu'il avait consulté son dossier ;

- l'arrêté du 1er octobre 2018 est également entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- cet arrêté prononce une sanction disciplinaire déguisée ; ainsi, il est entaché d'un vice de procédure, d'erreur de droit et de détournement de procédure ;

- le ministère ne l'a pas accompagné dans sa reconversion ;

- le ministère a méconnu les articles 13 et 14 du décret du 3 avril 2015, la multiplication des décisions défavorables prises à son encontre, caractérisant une situation de harcèlement moral visant dans un premier temps à l'exclure de toute affectation extérieure, puis à l'exclure définitivement de la DGSE ;

- ces fautes engagent la responsabilité de l'Etat ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, évalués à 50 000 euros ;

- il a subi un préjudice financier correspondant à la perte de ses revenus à partir du mois d'octobre 2017, évalués à 45 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 novembre 2023 et le 19 janvier 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 15 décembre 2023, M. A... conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 ;

- l'arrêté du 2 octobre 2015 relatif aux règles de saisine et de fonctionnement du conseil de direction de la direction générale de la sécurité extérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lerat, pour M. A....

Une note en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 6 mars 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été nommé secrétaire de documentation de classe normale stagiaire au ministère de la défense par un arrêté du 11 août 2006, puis délégué stagiaire par un arrêté du 20 septembre 2006. Il a été titularisé par un arrêté du 8 octobre 2008 et affecté au sein de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), puis a été intégré dans le corps des attachés du ministère de la défense en 2010. Il a été placé en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée de six mois à compter du 8 juin 2015, qui a été prolongée jusqu'au 8 décembre 2017. Par un arrêté du 26 décembre 2017, il a été maintenu en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée d'un an à compter du 8 décembre 2017. A la suite de l'avis émis en ce sens par le conseil de direction de la DGSE le 5 juillet 2018, son habilitation spéciale de sécurité lui a été retirée. Par un arrêté du 1er octobre 2018, il a été réintégré pour ordre à compter du 8 décembre 2018 et placé en position de disponibilité d'office dans l'intérêt du service pour une période d'un an à compter du 8 décembre 2018. Par un courrier du 6 mars 2019, M. A... a formé un recours indemnitaire préalable en vue de l'indemnisation, pour un montant de 95 000 euros, des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison de fautes commises dans la gestion de sa carrière. Le ministre des armées a rejeté ce recours préalable par une décision expresse du 25 mars 2019. M. A... a alors demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 95 000 euros. Il fait appel du jugement du 10 février 2022 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. " Le tribunal administratif a expressément répondu, au point 12 de son jugement, au moyen tiré de l'absence de communication de la " note blanche " et de l'avis qui aurait été émis par un psychologue dans le cadre de la procédure de maintien ou de retrait de l'habilitation spéciale de sécurité de M. A..., et, au point 15 de ce jugement, au moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation affectant les griefs qui ont fondé le retrait de cette habilitation. Le bienfondé des réponses qu'il a apportées à ces moyens, est sans incidence sur la régularité de ce jugement. Ainsi, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés au soutien de ces moyens, a suffisamment motivé sa décision.

3. En second lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. " Si M. A... fait valoir que son mémoire en réplique présenté le 17 novembre 2021 n'a pas été soumis au contradictoire, l'absence de communication de ce mémoire au ministre des armées n'a en tout état de cause pu porter atteinte aux droits de M. A... lui-même.

Sur le bienfondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, le témoignage de M. A... lui-même et le courrier qu'il a adressé à la DGSE le 6 février 2018 pour renouveler sa demande de réintégration, ne sont pas suffisamment probants pour établir qu'il aurait, ainsi qu'il le soutient, présenté sa demande, datée du 4 décembre 2017, tendant à la prolongation de sa mise en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée d'un an, sous la contrainte. M. A... n'est donc pas fondé à demander à être indemnisé de la perte de ses revenus entre le 8 décembre 2017 et le 8 décembre 2018.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 du décret du 3 avril 2015, visé ci-dessus : " Nul ne peut être recruté à la direction générale de la sécurité extérieure ou maintenu dans ses fonctions s'il ne se voit conférer par le ministre de la défense une habilitation spéciale de sécurité. / Les décisions conférant ou retirant cette habilitation sont prises au vu des conclusions d'une enquête destinée à évaluer les vulnérabilités personnelles, et leur compatibilité avec l'exercice de fonctions au sein de la direction générale de la sécurité extérieure. Cette enquête est protégée par le secret de la défense nationale. / Les décisions refusant ou retirant l'habilitation mentionnée au premier alinéa ne sont pas motivées. " Aux termes de l'article 58 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se voit retirer son habilitation spéciale de sécurité pour un motif autre qu'un manquement aux obligations édictées par les articles 7, 8 et 9 du présent décret est placé en disponibilité d'office dans l'intérêt du service. / La décision de placement en disponibilité d'office dans l'intérêt du service est prise par le ministre de la défense, sans que sa signature puisse être déléguée, sur proposition du directeur général de la sécurité extérieure formulée après avis du conseil de direction (...) ".

6. M. A... n'est pas fondé à soutenir que le conseil de direction de la DGSE aurait été saisi de sa situation avec retard le 14 mai 2018, dix mois après sa demande de réintégration présentée le 18 juillet 2017, alors qu'il est constant qu'il a, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, été maintenu à sa demande en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée d'un an à compter du 8 décembre 2017, et alors que le directeur de la DGSE n'a émis des réserves sur son habilitation spéciale de sécurité que dans un courrier daté du 9 avril 2018.

7. En troisième lieu, si M. A... fait valoir que la " note blanche ", produite par le ministre des armées à l'appui de son mémoire en défense présenté le 20 août 2021 devant le tribunal administratif, ne lui a pas été communiquée le 27 juillet 2018, lorsqu'il a consulté son dossier, il résulte de cette note qu'elle fait référence à la réunion du 5 juillet 2018 et à l'arrêté du 1er octobre 2018, et qu'elle a nécessairement été établie après l'adoption de cet arrêté. M. A... n'est donc en tout état de cause pas fondé à faire état d'un vice de procédure affectant l'arrêté du 1er octobre 2018 pour ce motif.

8. En quatrième lieu, M. A... ne saurait utilement soutenir que le résultat de l'évaluation menée par le bureau des psychologues de la DGSE, ne lui a pas non plus été communiqué lorsqu'il a consulté son dossier, alors que l'avis qui a pu être établi à l'issue de cette évaluation se rattache à l'enquête prévue à l'article 6 du décret du 3 avril 2015, cité ci-dessus, et est donc protégé par le secret de la défense nationale.

9. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal de la réunion du conseil de direction de la DGSE du 5 juillet 2018 et de la " note blanche " établie après l'adoption de l'arrêté du 1er octobre 2018, produits en défense, que M. A... a, dès 2007, fait preuve d'un comportement inapproprié vis-à-vis du personnel féminin, qu'il n'a déclaré qu'avec plusieurs mois de retard, le 23 mars 2012, les liens qu'il entretenait avec une ressortissante tunisienne en situation irrégulière qu'il a hébergée dans un appartement du ministère des armées, qu'il a en 2013 été rapatrié de son poste à l'étranger en raison d'une mésentente avec un autre agent, qu'il s'est en 2015 trouvé en contact avec une entreprise du secteur privé cherchant à le recruter en qualité de spécialiste de l'armement, avec une personnalité dont les liens avec l'étranger pouvaient présenter un risque sécuritaire élevé, et avec ses anciens collègues en poste à l'étranger alors que cela lui avait été interdit pendant sa mise en disponibilité, et qu'il s'est en 2017 montré irascible et insultant à l'endroit d'une collègue habitant la même résidence que lui. Si M. A... conteste l'exactitude matérielle de ces faits, les pièces qu'il produit ne permettent pas d'en remettre en cause la réalité. Il résulte en outre du procès-verbal et de la " note blanche " mentionnés ci-avant que la direction du renseignement de la DGSE a émis des doutes sur sa capacité à réintégrer M. A..., et que le bureau des psychologues a invité le service à être " vigilant ", la réintégration de M. A... paraissant " délicate d'un point de vue psychologique ". Dans ces conditions, en se fondant, ainsi que cela ressort du procès-verbal mentionné ci-avant et du mémoire en défense du ministre des armées, sur " la persistance d'un comportement incontrôlé et inadapté facteur d'atteinte au fonctionnement normal du service et de vulnérabilités sécuritaires ", le ministre n'a pas entaché sa décision d'une erreur de fait ou d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En sixième lieu, compte tenu de la vulnérabilité qui vient d'être relevée, et à les supposer même établis, les vices de procédure affectant selon M. A... l'arrêté du 1er octobre 2018 en raison de l'irrégularité de la convocation des membres du conseil de direction de la DGSE en vue de la réunion du 5 juillet 2018, et en raison de la composition irrégulière du conseil lors de cette réunion, l'absence alléguée de motivation lisible du procès-verbal de cette réunion, et l'impossibilité selon M. A... de se faire assister par un autre agent au cours de cette réunion, ne peuvent être regardés comme présentant un lien direct de causalité avec les préjudices dont M. A... demande à être indemnisé.

11. En septième lieu, les moyens selon lesquels la DGSE aurait infligé une sanction disciplinaire déguisée à M. A..., ne l'aurait pas accompagné dans sa reconversion, et l'aurait placé dans une situation de harcèlement moral, doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

12. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, les conclusions de M. A... tendant à l'indemnisation de la perte de ses revenus après le 8 décembre 2018, et du préjudice moral qu'il aurait subi en raison de fautes commises dans la gestion de sa carrière, doivent être rejetées.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2024.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22PA01661


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01661
Date de la décision : 19/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : LERAT

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-19;22pa01661 ?
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