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15/03/2024 | FRANCE | N°22PA02242

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 15 mars 2024, 22PA02242


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société VP et White a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser :

- à titre principal, une somme de 185 520 euros TTC ou, subsidiairement, de 52 650 euros TTC au titre du solde du marché d'acquisition, de maintenance et d'hébergement d'une solution logicielle pour un outil web de budgétisation, assortie des intérêts moratoires au taux contractuel, capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de la date d'enregistrem

ent de sa demande ;

- la somme correspondant aux intérêts moratoires au taux contractu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société VP et White a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser :

- à titre principal, une somme de 185 520 euros TTC ou, subsidiairement, de 52 650 euros TTC au titre du solde du marché d'acquisition, de maintenance et d'hébergement d'une solution logicielle pour un outil web de budgétisation, assortie des intérêts moratoires au taux contractuel, capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de la date d'enregistrement de sa demande ;

- la somme correspondant aux intérêts moratoires au taux contractuel compris entre le 10 février 2018 et le 7 juin 2018 sur la somme de 41 850 euros correspondant au retard de paiement des factures FC2153 et 2154 ;

- la somme de 40 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Par un jugement n° 2008286 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande relative aux intérêts moratoires et à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 mai et 20 juin 2022 et 14 novembre 2023, la société VP et White, représentée par Me Neveux, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 185 520 euros TTC ou, à titre subsidiaire, une somme de 52 650 euros TTC au titre du solde du marché d'acquisition, de maintenance et d'hébergement d'une solution logicielle pour un outil web de budgétisation, sommes assorties des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 1er juillet 2018 sur la somme de 41 850 euros et du 14 mai 2019 pour le surplus, capitalisés à chaque échéance annuelle à compter du 12 juin 2020 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 40 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a omis de statuer sur ses conclusions principales et de répondre au moyen tiré de la nécessaire requalification de la résiliation pour faute en résiliation pour motif d'intérêt général ;

- la décision de résiliation pour faute doit être requalifiée en décision de résiliation pour motif d'intérêt général en l'absence de faute ;

- en l'absence de faute, elle est fondée à demander la réparation intégrale de son préjudice à hauteur de 185 520 euros TTC ;

- subsidiairement, elle est fondée à être payée à hauteur des prestations réalisées avant la résiliation du marché, correspondant à la somme de 52 650 euros TTC ;

- elle a droit aux intérêts sur cette somme conformément à l'article 6.5.3 du CCAP et au paiement d'une somme forfaitaire de 40 euros au titre du recouvrement.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 septembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est régulier ;

- la société VP et White a manqué à ses obligations contractuelles ;

- elle ne justifie pas avoir réalisé des prestations supplémentaires à hauteur de 10 800 euros ;

- la résiliation étant prononcée pour faute, la société VP et White n'a pas le droit d'être indemnisée ;

- en outre, seule la période d'exécution initiale du contrat ouvre droit à indemnisation du manque à gagner ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Neveux, représentant la société VP et White.

Considérant ce qui suit :

1. La direction des services judiciaires du ministère de la justice a lancé le 21 mars 2017 une procédure de passation d'un marché public ayant pour objet l'acquisition, la maintenance et l'hébergement d'une solution logicielle pour un outil web de budgétisation, comportant une partie forfaitaire et une partie à prix unitaires et à bons de commandes. Le marché, conclu pour une durée maximum de 21,5 mois, était reconductible trois fois pour une durée d'un an par tacite reconduction. Il a été notifié au groupement conjoint constitué de la société VP et White, mandataire du groupement, et de la société GFI informatique. Par une décision du 21 mars 2019, le pouvoir adjudicateur a résilié le marché pour faute, au motif que le titulaire du marché ne s'était pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels. La société VP et White relève appel de l'article 2 du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au versement de la somme qu'elle estime lui être due à la suite de cette résiliation.

Sur la régularité du jugement :

2. La circonstance que la société VP et White ne sollicitait pas la reprise des relations contractuelles n'impliquait pas qu'elle avait renoncé à contester, au soutien de ses conclusions indemnitaires, l'absence de bien-fondé de la décision de résiliation en tant qu'elle était fondée sur une faute de sa part. Dans ces conditions, le tribunal, en estimant que la société avait renoncé à contester cette faute, alors que cela ne ressortait ni des écritures de la demande initiale de la société, ni de celles de son mémoire en réplique, a entaché son jugement d'omission à statuer sur le moyen tiré de l'absence de faute justifiant la résiliation, qui n'était pas inopérant. Par suite, l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris, seul attaqué, doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête en contestant la régularité.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société VP et White devant le tribunal et devant la Cour.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat :

En ce qui concerne la légalité de la résiliation pour faute :

4. L'article 42 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de techniques de l'information et de la communication et approuvé par l'arrêté du 16 septembre 2009 (CCAG), rendu applicable au marché en litige stipule : " 42. 1. Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : (...) / c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) / 42. 2. Sauf dans les cas prévus aux i, m et n du 42. 1 ci-dessus, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution, doit avoir été préalablement notifiée au titulaire et être restée infructueuse. Dans le cadre de la mise en demeure, le pouvoir adjudicateur informe le titulaire de la sanction envisagée et l'invite à présenter ses observations (...) ".

5. En premier lieu, aux termes de l'article 26. 1. du CCAG : " Les opérations de vérification qualitatives ont pour objet de permettre au pouvoir adjudicateur de contrôler notamment que le titulaire : / - a mis en œuvre les moyens définis dans le marché, conformément aux prescriptions qui y sont fixées ; / - a réalisé les prestations définies dans le marché comme étant à sa charge, conformément aux dispositions contractuelles (...) ". Aux termes de l'article 26.2. du même document : " Les opérations de vérifications qualitatives comprennent deux étapes : la vérification d'aptitude et la vérification de service régulier. / 26. 2. 1. Vérification d'aptitude (VA). / La vérification d'aptitude intervient après la mise en ordre de marche. Elle a pour objet de constater que les prestations, livrées ou exécutées, présentent les caractéristiques techniques qui les rendent aptes à remplir les fonctions précisées dans les documents particuliers du marché (...) / Le pouvoir adjudicateur arrête sa décision selon les modalités précisées à l'article 27. 2 ci-après. Si la décision de vérification d'aptitude est positive, la vérification de service régulier débute (...) ". Aux termes de l'article 27. 2. 1 du même document : " A l'issue de la vérification d'aptitude : / Le délai imparti au pouvoir adjudicateur pour procéder à la vérification d'aptitude et notifier sa décision est d'un mois à partir de la date de notification de l'écrit par lequel le titulaire avise le pouvoir adjudicateur que les prestations sont prêtes à être vérifiées ou, à défaut, de la date de notification par le titulaire du procès-verbal de mise en ordre de marche au pouvoir adjudicateur. / Si le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de prendre une décision positive de vérification d'aptitude, il prend une décision d'ajournement ou de rejet, selon les modalités fixées à l'article 28 (...) ". Enfin, aux termes de l'article 28. 4. de ce document : " Rejet : / 28. 4. 1. Lorsque le pouvoir adjudicateur estime que les prestations sont non conformes aux stipulations du marché et ne peuvent être reçues en l'état, il en prononce le rejet partiel ou total (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que la date de validation des opérations de vérification d'aptitude et la livraison de la solution en vérification de service régulier, initialement fixée au 15 janvier 2018, a été reportée à plusieurs reprises et, en dernier lieu au 30 avril 2018. Le report de cette date est pour partie imputable au pouvoir adjudicateur, eu égard à des demandes de corrections tardives ou des demandes d'évolution. Il résulte en revanche de l'instruction que compte tenu des nombreux problèmes constatés à l'issue de ce délai, au cours des opérations de vérification d'aptitude, aucune autre date n'a pu être fixée. Il résulte notamment de l'instruction que les tests de performance réalisés les 22, 23 et 31 mai 2018 au ministère de la justice ont mis en évidence que les délais de réponse par type de requête de la solution proposée par le titulaire du marché excédaient sensiblement ceux exigés par l'article 7.15 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché. Si la société VP et White soutient que ces problèmes de performance résultent de demandes de visuels spécifiques non prévus au marché, le garde des sceaux, ministre de la justice fait valoir sans être contredit par les éléments de l'instruction que les visuels spécifiques qui ont été demandés étaient conformes au CCTP. Il ne résulte par ailleurs pas des tests de performance que le volume des données à traiter aurait excédé celui prévu par l'article 8.1 du CCTP. Il résulte également de l'instruction, notamment des échanges de courriels entre le pouvoir adjudicateur et la société VP et White des 18 et 22 mai 2018, que la fonctionnalité d'export/import sur Excel proposée par le titulaire à la suite d'une évolution du marché comportait de nombreuses anomalies. Ces échanges font état de l'impossibilité de générer l'ensemble des données alors que le document annexé à l'article 7.1.3 des spécifications techniques, relatif à une restitution agrégeant l'ensemble des tableaux de programmation, était de nature à permettre d'estimer la volumétrie des données à traiter. Ils font de plus état de l'absence de données antérieures à 2015 alors que toutes les données contenues dans la base devaient être accessibles et que l'article 8.2. du CCTP prévoit la reprise des données depuis 2011. Dans ces conditions, la société VP et White, à qui sont imputables ces anomalies résultant de manquements aux stipulations contractuelles, n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur ne pouvait résilier le marché en litige pour faute contractuelle sur le fondement de l'article 42 du CCAG.

7. En second lieu, dès lors que la décision de résiliation est fondée, la circonstance qu'elle serait irrégulière en la forme du fait de ce qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure fait seulement obstacle à ce que la société VP et White en supporte les conséquences onéreuses. Elle est, dès lors, sans incidence sur les demandes d'indemnisation formées par la société.

En ce qui concerne le paiement des prestations réalisées :

8. L'article 44 du CCAG prévoit : " 44. 1. La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation, qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire (...) / 44. 3. Le décompte de liquidation à la suite d'une décision de résiliation prise en application de l'article 42 comprend : (...) / 44. 3. 2. Au crédit du titulaire : / - la valeur contractuelle des prestations reçues y compris, s'il y a lieu, les intérêts moratoires ; / - la valeur des prestations fournies éventuellement à la demande du pouvoir adjudicateur telles que le stockage des fournitures (...) ". Aux termes de l'article 2 du même cahier : " Au sens du présent document : (...) / - le rejet est la décision prise par le pouvoir adjudicateur qui estime que les prestations ne peuvent être reçues, même après ajournement ou avec réfaction (...) ". Aux termes de l'article 28.1 du même cahier : " 28. 1. Réception : / Le pouvoir adjudicateur prononce la réception des prestations, si elles répondent aux stipulations du marché (...) ".

9. Il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a, le 20 juin 2018, prononcé le rejet total des prestations au motif qu'elles ne répondaient pas aux stipulations du marché pour les raisons exposées au point 6. Dès lors, la société VP et White n'est pas fondée à demander le paiement des prestations qu'elle dit avoir réalisées pour des montants de 33 480 euros TTC au titre de la facture FC2279, 8 370 euros TTC au titre de la facture FC2280 et 10 800 euros TTC au titre de l'évolution du projet.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de condamnation de l'Etat présentées par la société VP et White doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que la société VP et White demande sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2008286 du 15 mars 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande de la société VP et White devant le tribunal tendant au paiement d'une somme de 185 520 euros TTC ou subsidiairement d'une somme de 52 650 euros TTC et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société VP et White et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02242


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02242
Date de la décision : 15/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : ENCYCLIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-15;22pa02242 ?
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