Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Dubessy Villa Tassigny a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013.
Par un jugement n° 1806821 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mars 2022 et 14 novembre 2022, la SCI Dubessy Villa Tassigny, représentée par Me Savignat, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1806821 du tribunal administratif de Melun du 6 janvier 2022 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée relatifs aux honoraires facturés par la société MJS Immobilier au titre des années 2012 et 2013 pour un montant de 75 238 euros et la décharge complémentaire de taxe sur la valeur ajoutée déductible à concurrence du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 41 336 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les juges de première instance ont méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve en faisant supporter exclusivement sur la société la démonstration de la réalité des prestations facturées au titre des marchés de contractant général et de maîtrise d'œuvre d'exécution conclus avec la société holding MJS Immobilier ;
- la proposition de rectification du 13 octobre 2014 est entachée d'une erreur substantielle, faute de motivation suffisante ;
- c'est à tort que les juges de première instance ont écarté le caractère intégralement déductible de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures de la société holding MJS Immobilier et correspondant aux honoraires du marché de contractant général conclu en vue de la réalisation d'un programme immobilier, en retenant qu'elle ne justifiait pas de la réalité des prestations ;
- la preuve du caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée au titre du marché de contractant général est rapportée. La différence entre le montant des factures de la société MJS Immobilier et le montant des travaux facturés en amont par ses sous-traitants n'était pas dépourvue de contrepartie et les prestations confiées à cette société au travers des marchés de maîtrise d'œuvre d'exécution et de contractant général ne pouvaient pas se confondre ;
- les rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée n'étant pas fondées, le service ne pouvait pas constater l'existence d'un profit sur le Trésor d'un montant égal à celui des droits sur la taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande tendant à la décharge complémentaire de taxe sur la valeur ajoutée déductible à concurrence du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 41 336 euros est irrecevable, en l'absence de demande préalable ;
- les moyens soulevés par la SCI Dubessy Villa Tassigny ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Savignat, représentant la SCI Dubessy Villa Tassigny.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) Dubessy Villa Tassigny, qui a pour objet l'acquisition de tous immeubles et la construction de biens sous le régime de la vente en état futur d'achèvement ou après achèvement, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 12 juillet 2011 au 31 décembre 2012, étendue au 28 février 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Par une proposition de rectification du 24 juillet 2014, l'administration fiscale lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des rehaussements en matière de bénéfices industriels et commerciaux. En réponse aux observations présentées par la société, le service a fait droit partiellement à sa demande de réduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée laissés à sa charge à hauteur, en droits en pénalités, de 77 936 euros, après annulation d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée pour la somme de 41 336 euros, ont été mis en recouvrement le 31 juillet 2015. Par la présente requête, la SCI Dubessy Villa Tassigny relève appel du jugement du 6 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge des redressements auxquels elle a été assujettie.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, si la SCI Dubessy Villa Tassigny soutient que les premiers juges ont méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, un tel moyen, qui ne critique pas la régularité du jugement, est inopérant.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.
4. La proposition de rectification du 24 juillet 2014 concernant notamment un chef de redressement relatif à la " TVA déductible ", comporte, outre la désignation de l'impôt concerné, les périodes en cause et la base d'imposition correspondante. Elle mentionne les dispositions du 4 de l'article 283 et du 2 de l'article 272 du code général des impôts dont il est fait application. Elle énonce, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée déduite des factures émises par la société MJS Immobilier, la teneur du marché de contractant général daté du 15 novembre 2011 conclu avec cette société et des avenants signés les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013, détaille les factures établies par la société MJS Immobilier et les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour justifier les redressements en précisant que la réalité des prestations facturées n'était pas établie dans la mesure où des prestations identiques avaient donné lieu à la facturation d'honoraires en vertu de deux marchés différents. Dans ces conditions, les éléments figurant dans la proposition de rectification étaient suffisamment précis et explicites, indépendamment de leur bien-fondé, pour permettre à la société requérante de formuler utilement ses observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait. A ce titre si la société soutient que l'administration avait retenu à tort que le versement d'honoraires à la société MJS Immobilier avait été prévu uniquement par l'avenant n° 1 au marché de contractant général daté du 31 décembre 2012, le service a toutefois reconnu que cette affirmation était erronée, tout en relevant que les missions justifiant la facturation d'honoraires n'avaient été détaillées qu'à l'appui de l'avenant signé le 17 mai 2013. Contrairement à ce que retient la SCI Dubessy Villa Tassigny, cette mention erronée n'a eu aucune incidence sur le motif retenu par le service pour remettre en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en litige tenant à la réalité de prestations identiques facturées par la société MJS Immobilier en vertu de deux marchés distincts. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au regard des exigences posées à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et de l'erreur substantielle qui en résulterait, doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne le rehaussement relatif à la taxe sur la valeur ajoutée :
5. Aux termes de l'article 272 du code général des impôts : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture. (...) ". Aux termes de l'article 283 du même code : " (...) 4. Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ".
6. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de service. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, eu égard à la procédure de redressement contradictoire mise en œuvre et si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance et que le contribuable le savait ou ne pouvait l'ignorer. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
7. Il résulte de l'instruction que la SCI Dubessy Villa Tassigny a acquis un terrain en vue de la construction d'un programme immobilier situé à Alfortville et a conclu avec la société MJS Immobilier, société mère et associée majoritaire, un marché de maîtrise d'œuvre d'exécution (M 466) le 22 septembre 2011 et un marché de contractant général (M 481) le 15 novembre 2011 en vue de la réalisation de ce programme. La SCI Dubessy Villa Tassigny s'est acquittée des factures établies par la société MJS Immobilier en 2012 et 2013 pour un montant total de 1 080 000 euros et a déduit la taxe sur la valeur ajoutée correspondante, à hauteur de 129 360 euros en 2012 et 82 320 euros en 2013. Les travaux ayant été confiés à des sous-traitants, l'administration fiscale a comparé les factures émises par la société MJS Immobilier à celles établies par les sociétés sous-traitantes et constaté une différence globale de 573 560 euros avec le montant des travaux initialement facturés. Au cours du contrôle, la SCI Dubessy Villa Tassigny a expliqué cet écart par les honoraires rémunérant la direction et le suivi des travaux à hauteur de 10 % du montant des travaux en vertu du marché de contractant général. L'administration a toutefois remis en cause la taxe sur la valeur ajoutée déduite par la société en lui opposant l'absence de prestations effectivement réalisées en contrepartie de ce marché dans la mesure où la société MJS Immobilier avait déjà facturé ces mêmes prestations et honoraires dans le cadre du marché de maîtrise d'œuvre d'exécution conclu pour le même programme immobilier et qui comportait des missions similaires. Si la SCI Dubessy Villa Tassigny soutient que la différence entre les prestations facturées par la société MJS Immobilier au titre du marché de contractant général et celles facturées en amont par les sous-traitants n'était pas dépourvue de contrepartie dès lors que les premières ne pouvaient se confondre avec celles confiées à cette société en vertu du marché de maîtrise d'œuvre d'exécution, elle ne justifie pas de la réalité des honoraires en litige, en se bornant à lister les missions définies dans le cadre de chacun des marchés, à préciser les noms des intervenants dédiés à chacune d'elles, à verser diverses preuves de missions effectuées par des salariés de la société MJS Immobilier et en produisant un organigramme opérationnel du programme immobilier. Il ressort en effet de la proposition de rectification et n'est pas contesté que l'avenant au marché de contractant général du 17 mai 2013 et le marché de maîtrise d'œuvre d'exécution du 22 septembre 2021 comportent des missions similaires rédigées en des termes strictement identiques notamment en ce qui concerne les missions confiées au titre de la direction et du contrôle général des travaux. Ces missions ont donné lieu à une facturation par la société MJS Immobilier à hauteur de 110 700 euros sur la période vérifiée au titre du marché de maîtrise d'œuvre d'exécution, sans que la société ne justifie la différence avec les prestations réalisées dans le cadre du marché de contractant général et les honoraires versés au titre de ce marché. Il est par ailleurs constant que la société ne produit aucune facturation distinguant le montant des travaux et des honoraires, susceptible de déterminer précisément le paiement des honoraires pour chacun des marchés et les prestations s'y rapportant. Dans ces conditions, la SCI Dubessy Villa Tassigny n'apporte pas les justifications utiles permettant de contredire les éléments relevés par l'administration, qui établissent l'absence de prestations effectivement réalisées en contrepartie des factures litigieuses émises dans le cadre de ce marché et au titre desquelles l'administration fiscale a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, c'est à bon droit et sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie, annulant en outre le remboursement de crédit de taxe demandé.
En ce qui concerne le profit sur le Trésor :
8. En l'absence de contestation relative à l'impôt sur les sociétés, le moyen tiré de l'absence de profit taxable est inopérant et doit être écarté comme tel.
9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SCI Dubessy Villa Tassigny n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administration ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI Dubessy Villa Tassigny est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière (SCI) Dubessy Villa Tassigny et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et de Paris (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).
Délibéré après l'audience du 23 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 8 mars 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01156