Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014.
Par un jugement n° 2001755/2-3 du 12 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet 2022 et 12 janvier 2023, M. E..., représenté par Me Le Quintrec, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001755/2-3 du 12 mai 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que l'administration fiscale a considéré que la somme de 285 500 euros devait être regardée comme un revenu distribué en application des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts, dès lors que cette somme correspond au remboursement d'un prêt ;
- il est en droit de bénéficier des énonciations du paragraphe 250 de la documentation administrative référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-20 du 12 septembre 2012.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 avril 2023 à 12 heures.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'administration fiscale ne pouvait faire application de la majoration de 25 % prévue au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour déterminer les bases imposables des contributions sociales auxquelles M. E... a été assujetti au titre de l'année 2014 en raison de la réserve d'interprétation portant sur l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-643/650 QPC du 7 juillet 2017.
Par un mémoire, enregistré le 9 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a répondu au moyen d'ordre public.
Par un mémoire, enregistré le 9 février 2024, M. E..., représenté par Me Le Quintrec, a répondu au moyen d'ordre public et soutient, en outre, qu'ainsi que l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme, par un arrêt Waldner c/ France (n° 26604/16) du 7 décembre 2023, la majoration de 25 % prévue par les dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, telle qu'elle a été appliquée aux bases de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu en litige, méconnaît les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la décision n° 2017-643/650 QPC du Conseil constitutionnel en date du 7 juillet 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société C..., qui exerçait une activité de marchand de biens et dont M. E... était l'associé majoritaire, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, dans les suites de laquelle le dossier fiscal personnel de M. E... a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de l'année 2014. A l'issue de ce contrôle sur pièces, l'administration fiscale a imposé entre les mains de M. E..., dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts, une somme de 285 500 euros au titre de l'année 2014. M. E... fait appel du jugement du 12 mai 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014.
Sur la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 111 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes / (...) ".
3. Il résulte de l'instruction qu'après avoir relevé que la société C... avait viré en 2014 sur le compte bancaire de M. E... une somme de 285 500 euros, ce virement s'étant traduit en comptabilité par l'enregistrement, le 11 décembre 2014, d'une somme de même montant au débit d'un compte courant d'associé non nominatif ouvert dans les écritures de la société C..., puis par l'inscription, le même jour, de cette somme au crédit du compte de banque de cette société, l'administration fiscale a regardé cette somme comme un revenu distribué entre les mains de M. E... en application des dispositions précitées du c) de l'article 111 du code général des impôts.
4. Le requérant soutient comme en première instance que la somme en litige de 285 500 euros constitue non pas un revenu occulte, mais le remboursement par cette société d'une dette qui trouve son origine dans l'avance de fonds qu'il a consentie à la SCI G... afin que celle-ci acquière en 2001 un ensemble immobilier. Il fait valoir que la SCI G..., dont ses parents et lui-même étaient les associés, a acquis, le 27 février 2001, auprès de la société B... D... un ensemble immobilier situé à F... (Yvelines) pour un montant de 442 102,15 euros, que pour financer cette acquisition, il a consenti à la SCI G..., par virement bancaire du 15 février 2001, une avance de fonds de 221 051 euros qui a été inscrite à son compte courant d'associé, puis que la SCI G... a vendu cet ensemble immobilier, le 27 mai 2010, à la société C... pour un montant de 1 200 000 euros et que pour financer cette acquisition, la société C... a emprunté 1 200 000 euros auprès de la banque BNP Paribas le 20 mai 2010, son père et lui-même s'étant portés cautions solidaires, et son père ayant, en outre, nanti au profit de la banque en garantie du prêt une assurance-vie qu'il avait souscrite le 9 février 2010, la SCI G... ayant ensuite viré, le 2 juin 2010, sur le compte bancaire de son père les fonds nécessaires à la souscription de cette assurance-vie. Il ajoute que le remboursement du prêt bancaire a été réalisé en 2012 par anticipation grâce au rachat partiel du contrat d'assurance-vie, que le montant de ce rachat effectué par son père a été versé sur son compte bancaire le même jour, que son père a émis, le 26 mars 2012, un chèque de 1 256 000 euros au profit de la société C... qui l'a inscrite au crédit d'un compte courant d'associé intitulé " consorts E... " et qu'enfin, à la faveur de la vente d'un bien immobilier lui appartenant pour un montant de 300 000 euros, la société C... lui a versé en 2014 la somme en litige de 285 500 euros sur le compte courant d'associé intitulé " consorts E... " dont il était titulaire, avec ses parents.
5. Toutefois, il résulte de l'instruction, tout d'abord, que contrairement aux allégations de M. E..., la somme en litige ne figurait pas dans un compte courant d'associé intitulé " consorts E... ", dont il serait titulaire dans la société C... avec ses parents, mais dans un compte courant d'associé non nominatif dont, lors de la vérification de comptabilité de la société C... ainsi que d'après les termes d'un contrat de prêt conclu le 8 décembre 2014 entre M. E... et le père de celui-ci, ce dernier, qui est aussi l'un des associés de la société C..., a reconnu être le titulaire en fait. Il résulte également de l'instruction que les extraits du grand livre général de cette société C... concernant les exercices clos en 2012 et 2014 n'établissent pas que les avances en comptes courants ont émané du requérant au cours de ces années et qu'en revanche, le montant du chèque de 1 256 000 euros émis par le père du requérant le 26 mars 2012 au profit de la société C..., qui est supposé comprendre la somme en litige de 285 500 euros, a été inscrit au crédit de ce compte courant d'associé non nominatif. Dans ces conditions M. E... ne peut être regardé, en l'espèce, comme étant un titulaire de ce compte courant d'associé.
6. Ensuite, si le requérant, qui ne conteste pas avoir cédé à son père, le 31 décembre 2009, l'ensemble des parts qu'il détenait dans la SCI G..., fait valoir que la cession de ses droits sociaux n'a pas entraîné automatiquement la transmission au cessionnaire de son compte courant d'associé et qu'ainsi, il conserverait une créance sur la SCI G... après la cession de ses parts, la circonstance que la SCI G... aurait versé au père de M. E... une somme de 1 200 000 euros afin que celui-ci rachète partiellement son contrat d'assurance-vie, dont le produit a lui-même servi à avancer à la société C... la somme nécessaire au remboursement intégral du prêt bancaire contracté par cette société, ne saurait être regardée, contrairement aux affirmations du requérant, comme valant transfert de la créance détenue par M. E... sur la SCI G... dans le chef de la société C.... En effet, le requérant n'établit pas que la société C... se serait engagée à prendre en charge la dette de la SCI G... à son égard faute, notamment, de produire les écritures comptables de la SCI G... faisant apparaître que celle-ci se serait libérée de sa dette vis-à-vis de M. E... lors du rachat de l'ensemble immobilier par la société C.... La circonstance, invoquée par le requérant, que la vérification de comptabilité de la société C... n'a donné lieu à aucun rehaussement dans le chef de celle-ci est sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition en litige. Enfin, si, en vertu d'un contrat de prêt conclu le 8 décembre 2014, les parents de M. E... lui ont consenti un prêt de 285 500 euros, dont il est prévu que le montant sera versé par la société C... sur son compte bancaire, la mention dans cet acte que les parents de M. E... possèdent un compte courant d'associé provenant d'un prêt de 1 256 000 euros consenti par le père de M. E... à la société C... le 20 mars 2012, se saurait établir que la somme en litige de 285 500 euros constituerait le remboursement d'une créance de même montant que le requérant détiendrait lui-même sur la société C....
7. En outre, si le requérant entend soutenir que la somme de 285 500 euros n'est pas imposable dès lors qu'elle présente le caractère d'un prêt familial, il n'est pas fondé à s'en prévaloir dès lors qu'il résulte de l'instruction que M. E... et ses parents étaient tous en relations d'affaires au sein de la société C... depuis la constitution de celle-ci et encore lorsqu'ils ont conclu un contrat de prêt le 8 décembre 2014, M. E... et ses parents étant alors tous associés de la société C....
8. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à bon droit que l'administration fiscale a considéré que le versement de la somme de 285 500 euros à M. E... par la société C... en 2014 avait le caractère d'un avantage occulte, et qu'elle a imposé cette somme entre les mains de M. E..., dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, en application des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts, au titre de l'année 2014.
9. Par ailleurs, M. E... n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation administrative de la loi fiscale énoncée au paragraphe 250 de la documentation administrative référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-20 du 12 septembre 2012, dès lors que celle-ci est relative aux conditions et modalités d'application des dispositions du a) de l'article 111 du code général des impôts, et non à celles des dispositions du c) du même article.
10. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
11. Aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt (...), est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : / a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H (...) / b) Ou qui ne font pas appel aux services d'un expert-comptable, d'une société membre de l'ordre ou d'une association de gestion et de comptabilité, autorisé à ce titre par l'administration fiscale et ayant conclu avec cette dernière une convention en application des articles 1649 quater L et 1649 quater M / 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111 (...) résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice / (...) ".
12. Les dispositions précitées du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, d'une part, ne portent pas aux biens des contribuables une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général qu'elles poursuivent et, d'autre part, placent, pour la détermination des bases de l'impôt sur le revenu, les contribuables ayant perçu des revenus distribués prévus aux c à e de l'article 111 du code général des impôts dans une situation différente, au regard de l'objet de la loi, de celle des contribuables imposés à raison de salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux ou bénéfices agricoles. Ces dispositions, dont l'administration a fait application à la somme de 285 500 euros en litige, ne sont donc pas contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. M. E... ne peut, à cet égard, utilement invoquer l'arrêt Waldner c/ France (n° 26604/16) du 7 décembre 2023, qui s'est prononcé sur la conventionnalité d'une majoration distincte de celle en litige, prévue au 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts et applicable aux titulaires de bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux ou bénéfices agricoles quand ils ne sont pas adhérents à un organisme de gestion agréé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- Mme Zeudmi-Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAU
La présidente,
P. HAMON
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03057