Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet de police de Paris a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.
Par un jugement n° 2305398/8 du 19 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2023, Mme A..., représentée par Me Traore, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 juillet 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté mentionné ci-dessus du 14 février 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour "salarié" ou "vie privée et familiale " sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut, un récépissé valant autorisation de travail, et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier pour insuffisance de motivation ;
- les décisions litigieuses n'ont pas été précédées d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elles violent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant son pays de renvoi d'office viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par une décision du 3 janvier 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pagès a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante ivoirienne née le 2 mai 2003 et entrée en France en 2018 selon ses déclarations, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 novembre 2021, le préfet du Territoire de Belfort a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, en fixant son pays de renvoi d'office et en lui interdisant le retour pour une durée de six mois. Par un arrêt n° 21NC03080 du 21 juillet 2022, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nancy, saisie du jugement du 18 novembre 2021 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Besançon rejetant le recours de Mme A... contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français et celles en découlant, a annulé ces décisions et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de l'intéressée. Par un arrêté du 14 février 2023, le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée à l'issue de ce délai. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté. Par un jugement du 19 juillet 2023, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est arrivée à l'âge de quinze ans en France, où elle a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance le 5 novembre 2018. Elle a suivi avec succès une formation au lycée des métiers Jules Ferry, dont le proviseur a, au demeurant, établi une lettre de recommandation à son bénéfice, et a obtenu un premier certificat d'aptitude professionnelle (CAP) " agent polyvalent de restauration " le 3 juillet 2020, puis un second CAP " cuisine " le 2 juillet 2021 dans le cadre d'un contrat d'apprentissage. Elle exerce depuis le 22 août 2022 une activité d'agent de restauration rapide dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et a par ailleurs acquis un niveau B1 en langue française. Quand bien même son insertion professionnelle demeurait relativement récente à la date de l'arrêté attaqué et ne concernait qu'un emploi peu qualifié, dans les circonstances particulières de l'espèce et eu égard aux conditions de séjour en France de l'intéressée, l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir que le préfet de police a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à demander pour ce motif l'annulation des décisions en litige.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
5. Le présent arrêt, eu égard à son motif d'annulation, implique nécessairement que le préfet de police délivre à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu dès lors, en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de police de délivrer un tel titre de séjour à la requérante dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire en l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Traore renonce à percevoir la part contributive de l'État, de mettre la charge de ce dernier le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2305398/8 du 19 juillet 2023 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 14 février 2023 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Traore la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de police et à Me Traore.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judicaire de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2024.
Le rapporteur,
D. PAGES
La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03772