Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office.
Par un jugement n° 2112175 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Bisalu, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le dossier de sa demande de changement de statut en salarié adressé aux services de la préfecture était complet ; il comportait notamment l'ensemble des pièces à fournir pour l'exercice d'une activité professionnelle salariée prévues par l'arrêté du 28 octobre 2016 ; le préfet ne conteste pas avoir réceptionné ces pièces ;
- l'administration n'a pas procédé à un examen complet de sa situation ;
- l'arrêté contesté est entaché d'erreur de droit ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à la durée de sa présence sur le territoire français, à l'intensité de ses liens familiaux en France et à son insertion socio-professionnelle ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Larsonnier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., ressortissante camerounaise née le 30 avril 1997, est entrée en France sous couvert d'un visa de type D le 18 août 2012, soit à l'âge de quinze ans, pour rejoindre sa mère résidant sur le territoire français. A compter de 2015, elle a bénéficié d'un titre de séjour portant la mention " étudiant " régulièrement renouvelé. Le 4 janvier 2021, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour et un changement de statut pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 20 août 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office. Par un jugement du 9 février 2023, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 27 mai 2021, la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) a demandé à l'employeur de Mme B..., la société DSD Organisation, de compléter le dossier de sa demande d'autorisation de travail sollicitée au profit de l'intéressée en produisant les justificatifs de recherche de candidats pour le poste proposé, une copie de l'offre d'emploi déposée auprès d'un organisme du service public de l'emploi et les " CV des personnes qui se sont positionnées sur l'annonce et les raisons qui ont amené " l'employeur à rejeter ces candidatures. Par un courriel envoyé à la DRIEETS le 22 juin 2021, dont l'objet mentionné est " pièces manquantes dossier ", Mme A... C..., employée de la société DSD Organisation, a indiqué les motifs pour lesquels l'employeur a sélectionné la candidature de Mme B... et ceux pour lesquels il n'a pas retenu les candidatures des autres postulantes et a transmis une copie de l'offre d'emploi déposée le 27 août 2020 sur le site d'Indeed ainsi que huit CV de personnes qui avaient répondu à cette offre d'emploi. Le préfet de la Seine-Saint-Denis ne conteste pas avoir reçu ces pièces complémentaires. Il ressort des termes de la décision contestée que si le préfet a mentionné le courrier de la DRIEETS du 27 mai 2021 et a rejeté la demande de titre de séjour portant la mention " salarié " au motif que le dossier de demande d'autorisation de travail présenté par l'intéressée était incomplet, il n'a toutefois pas mentionné les pièces complémentaires transmises à la DRIEETS le 22 juin 2021, c'est-à-dire pendant l'instruction de la demande de titre de séjour de Mme B..., ni en tout état de cause porté une appréciation sur ces pièces. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas procédé à un examen complet de sa demande de titre de séjour. Il s'ensuit que la décision de refus du titre de séjour portant la mention " salarié " est entachée d'illégalité.
3. En outre, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des termes de la décision contestée que le préfet de la Seine-Saint-Denis a examiné le droit au séjour de Mme B... au regard de sa situation personnelle et familiale avant de rejeter sa demande de titre de séjour. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a déjà été dit, que la requérante est entrée régulièrement en France le 18 août 2012, à l'âge de quinze ans, pour rejoindre sa mère résidant sur le territoire français. Titulaire du baccalauréat obtenu après avoir suivi les enseignements par le Cned alors qu'elle était au Cameroun, elle s'est inscrite en 2013 en première année de Bachelor Relations internationales et Sciences politiques à l'Ecole des hautes études internationales et politiques, établissement libre d'enseignement supérieur. Elle a validé chacune des trois années de ce diplôme (2013-2014, 2014-2015 et 2015-2016). Au titre de 2016-2017, elle a réussi les examens du mastère I Diplomaties de l'institut diplomatique de Paris. En 2018, elle s'est inscrite au sein de l'établissement d'enseignement supérieur privé Iris Sup et a obtenu le 1er décembre 2020 le diplôme d'analyste en stratégie internationale. A la date de la décision contestée, Mme B... résidait ainsi habituellement en France depuis neuf ans et disposait depuis sa majorité de titres de séjour en qualité d'étudiante. Depuis son arrivée en France, la requérante a toujours vécu avec sa mère qui, à la date de la décision contestée, était titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " salarié " en cours de validité. En outre, Mme B... a été engagée en qualité de chargée d'accueil par la société DSD Organisation par un contrat de travail à durée indéterminée le 29 septembre 2020. Au vu de l'ensemble de ces éléments, notamment de la durée de séjour en France de l'intéressée, de ses liens familiaux en France et de sa parfaite intégration à la société française, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, a porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels sa décision a été prise. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le préfet de la Seine-Saint-Denis a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il ressort des points 2 et 4 que la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 20 août 2021 refusant à Mme B... un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi, lesquelles sont dépourvues de base légale.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de la situation de Mme B... en prenant en considération les éléments énoncés au point 4, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de sa décision, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2112175 du 9 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 20 août 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de la situation de Mme B..., en prenant en considération les éléments énoncés au point 4 de l'arrêt, dans un délai de deux mois à compter de
la notification de l'arrêt et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny en application de l'article R. 751-10 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 5 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2024.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00951 2