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04/03/2024 | FRANCE | N°22PA04001

France | France, Cour administrative d'appel, 8ème chambre, 04 mars 2024, 22PA04001


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Pringy à lui verser une indemnité de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des travaux de création d'une route située en limite de sa propriété.

Par un jugement n° 1901587 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. B....



Procédure devant la cour :



Par une req

uête enregistrée le 29 août 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 5 avril 2023, M. B..., représentée par Me J...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Pringy à lui verser une indemnité de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des travaux de création d'une route située en limite de sa propriété.

Par un jugement n° 1901587 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 août 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 5 avril 2023, M. B..., représentée par Me Jove Dejaiffe, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901587 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner la commune de Pringy à lui verser indemnité de 60 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Pringy le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande devant le tribunal était recevable ;

- à la suite de la reprise dans le domaine public du lotissement du Domaine du Haras où se situe sa propriété, les travaux de création d'une route située en limite de sa propriété, qui ont été autorisés par la commune, lui occasionnent de graves désagréments et préjudices ;

- la route empiète sur les espaces communs du lotissement du Domaine du Haras qui ont été incorporés au domaine public communal par une délibération n° 2011-98 du15 décembre 2011 ; ces espaces communs ont subi un déclassement du domaine public ou un changement d'affectation pour être transformés en voie d'accès au lotissement des Mouillères ; en réalisant une telle opération, la commune a engagé sa responsabilité ;

- la création du lotissement des Mouillères et l'implantation de cette voie à grande circulation à proximité immédiate de sa propriété lui causent des troubles de jouissance dans ses conditions d'habitation ainsi qu'une diminution de la valeur vénale de son bien ;

- le requérant subit un préjudice de vue, de troubles de jouissance de son bien ainsi que des nuisances sonores causées par les bruits de la circulation ;

- ces préjudices, qui sont évalués à hauteur de 60 000 euros, sont anormaux et spéciaux ;

- la commune de Pringy est responsable de ces dommages ;

- il existe un lien de causalité entre les préjudices et la réalisation du lotissement des Mouillères et de sa voie de desserte.

Par des mémoires en défense enregistrés les 14 mars et 13 avril 2023, la commune de Pringy, représentée par la Selas Cloix Mendès-Gil, agissant par Me Destarac, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête méconnait les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et est, par suite, irrecevable ;

- la demande présentée devant le tribunal était irrecevable dès lors que le requérant n'établit pas avoir saisi préalablement la commune d'une réclamation indemnitaire ;

- à titre subsidiaire, si le requérant entend soutenir que la délivrance du permis d'aménager le lotissement des Mouillères à la société Arbey le 5 avril 2012 serait le fait générateur des préjudices dont il prétend être la victime, ces créances étaient prescrites à la date de sa réclamation préalable comme à la date d'introduction de sa requête ; les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Langagne, pour M. B..., et de Me Gonnet pour la commune de Pringy.

Une note en délibéré a été présentée par M. B... le 5 février 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a acquis, le 26 mai 1998, au sein du lotissement du " Domaine du Haras ", situé sur le territoire de la commune de Pringy (Seine-et-Marne), un terrain à bâtir sur lequel il a fait construire une maison d'habitation individuelle. La commune de Pringy a autorisé la société Arbey à construire, au nord de ce lotissement, un lotissement dénommé " Les Mouillères ". Afin d'assurer l'accès à ce nouveau lotissement, la commune de Pringy a délivré, le 5 avril 2012, un permis d'aménager autorisant la réalisation, par la société Arbey, d'une voie de desserte qui contourne, notamment, la propriété de M. B.... Estimant que l'aménagement du lotissement des " Mouillères " ainsi que celui de sa voie de desserte, dénommée " rue Charles-Philippe de Rigaud ", lui causent divers désagréments, l'intéressé a présenté au maire de la commune de Pringy, par un courrier du 16 octobre 2018, une demande indemnitaire en réparation des préjudices qu'il estime subir. Cette demande a été rejetée par un courrier du maire de la commune de Pringy en date du 17 décembre 2018. M. B... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Pringy à lui verser une indemnité de 60 000 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Toutefois, la victime, qui se trouve dans la position de tiers, doit apporter la preuve de la réalité des dommages qu'elle allègue avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et ces dommages, de même qu'elle doit justifier que les dommages, lorsqu'ils sont permanents, présentent un caractère grave et spécial. En outre, il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

3. Il est constant que la " rue Charles-Philippe de Rigaud ", qui permet de desservir l'ensemble des habitations du lotissement des " Mouillères " avec la route de Montgermont et qui est empruntée par une ligne de bus, est affectée à la circulation du public. Il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Pringy n'en assurerait pas en fait l'entretien, la gestion et la surveillance. Par suite, à supposer même que la " rue Charles-Philippe de Rigaud " ne serait pas la propriété de la commune, cette voie doit être regardée comme constituant un ouvrage public. En revanche, la responsabilité de la commune de Pringy ne saurait être utilement recherchée, sur le fondement invoqué des dommages de travaux publics, s'agissant de l'aménagement du lotissement des " Mouillères " proprement dit, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les terrains servant à l'aménagement du lotissement feraient partie du domaine communal, ni que les constructions édifiées sur ces terrains auraient la qualité d'ouvrage public ou trouveraient leur origine dans l'exécution de travaux publics, et alors même que la commune a autorisé la société Arbey à aménager le lotissement. Par ailleurs et en tout état de cause, M. B... n'établit pas ni même n'allègue que l'autorisation de lotir délivrée le 5 avril 2012 par le maire de la commune de Pringy serait entachée d'une illégalité susceptible d'engager la responsabilité de la commune sur le terrain de la faute. Ainsi, seule la responsabilité liée à la présence de la voie contournant l'habitation de M. B... est susceptible d'engager la responsabilité de la personne publique.

4. S'agissant précisément de cette voie contournant sa propriété, M. B... soutient que l'aménagement de la " rue Charles-Philippe de Rigaud " à proximité immédiate de sa propriété, ouvrage public à l'égard duquel il a la qualité de tiers, lui cause divers désagréments consistant, notamment, en des nuisances sonores, de vue et d'insécurité.

5. En premier lieu, si M. B... fait valoir que la construction de la voie litigieuse a réduit à néant son projet d'étendre son habitation, l'intéressé n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ce projet qui, au surplus, ne présente qu'un caractère éventuel.

6. En deuxième lieu, M. B... soutient que l'existence de la voie litigieuse aux abords de sa propriété a une incidence sur la valeur vénale de sa maison. Pour en justifier, M. B... produit, dans la présente instance, un avis du 13 mai 2018 par lequel le cabinet immobilier Capifrance évalue la valeur de son bien immobilier à une somme comprise entre 249 000 euros et 275 000 euros, un rapport d'estimation valable durant six mois, mais établi à une date inconnue, par lequel le cabinet immobilier Nestenn estime son bien à la somme de 275 000 euros ainsi que, par ailleurs, deux annonces, publiées sur internet à une date inconnue, proposant la vente de deux maisons situées sur le territoire de la commune de Pringy pour un prix oscillant entre 286 000 euros et 288 000 euros. Toutefois, ces éléments ne permettent pas d'apprécier l'incidence de l'existence de la voie litigieuse sur la valeur du bien immobilier de M. B..., ni par voie de conséquence, le caractère anormal et spécial du préjudice invoqué, dès lors que, d'une part, ils ne comportent aucune indication sur la consistance de son bien empêchant, de ce fait, toute possibilité de le comparer avec la vente d'autres biens comparables dans le même secteur géographique et que, d'autre part, le requérant n'apporte aucun élément faisant état de la valeur estimée de son bien avant la construction de la voie litigieuse. Par suite, M. B... n'établit pas que l'existence de la voie litigieuse engendrerait une perte de valeur vénale de sa propriété par rapport à la situation antérieure suffisamment significative pour représenter un préjudice grave et spécial.

7. En troisième lieu, M. B... invoque des nuisances liées au défaut d'entretien, par la commune de Pringy, de la haie arbustive longeant sa propriété, à son caractère dangereux, son enfant ayant été blessé au visage en raison de la présence de plantes épineuses dans la haie, à la circonstance que le taillage de la haie, par la commune de Pringy, le 18 mars 2019 a engendré une vue directe sur la voie litigieuse et, enfin, à la présence de déchets végétaux en bordure de l'arrière de sa propriété. Toutefois, il n'est pas démontré, en dépit des nombreuses photographies produites par le requérant, que les préjudices qu'il allègue, à les supposer tous établis, auraient pour origine la présence et le fonctionnement de l'ouvrage public.

8. En quatrième lieu, M. B... se plaint de nuisances sonores induites par le passage de véhicules terrestres à moteur, et notamment de scooters, sur la voie litigieuse et à proximité de sa propriété, ce préjudice étant accru par la circonstance que la limitation de vitesse n'est pas respectée et que le trafic est devenu plus important en raison, notamment, du nombre d'habitations composant le lotissement des " Mouillères ". Toutefois, ni les photographies produites par le requérant, ni le comptage du passage de véhicules réalisé par l'intéressé entre le 24 juin 2019 et le 27 juin 2019, ni encore la pétition signée par des riverains entre le 26 juin 2019 et le 21 octobre 2019 se plaignant de ce que " depuis la création de la voirie Charles Philippe de Rigaud, le trafic automobile s'est accru et s'effectue de manière importante et continue [à une] vitesse excessive ", ni enfin les constatations réalisées par un huissier de justice le

9 janvier 2018, ne permettent d'apprécier si les nuisances sonores occasionnées à M. B... aux abords de sa propriété, présentent, du fait de leur nature et de leur répétition, un caractère grave et spécial excédant les inconvénients normaux qui peuvent être imposés, dans l'intérêt général, aux propriétaires se trouvant, comme au cas présent, à proximité de voies affectées à l'usage du public, alors que, par ailleurs, il résulte de l'instruction que la vitesse sur la voie litigieuse est limitée à 30 km/h et que cette voie est équipée de ralentisseurs.

9. En cinquième lieu, si M. B... fait valoir qu'il subit un préjudice d'insécurité en raison de la dangerosité du virage contournant sa propriété, la réalité de ce préjudice n'est pas démontrée, alors en outre qu'il résulte de l'instruction que sa propriété ne dispose d'aucun accès à la voie litigieuse.

10. En sixième lieu, M. B... soutient être victime d'un préjudice de vue dès lors que son jardin, situé à l'arrière de sa propriété, a une vue directe sur la voie litigieuse. Toutefois, il n'est pas établi que la présence de l'ouvrage public, qui n'est pas situé en surplomb de la propriété du requérant, aurait pour effet de réduire les vues ou l'ensoleillement, ni d'entraîner des troubles de voisinage dans une mesure telle que les conditions d'habitation s'en trouveraient sensiblement modifiées, et les inconvénients présentés par cet ouvrage public sont seulement d'ordre esthétique, alors au demeurant qu'une partie de la propriété de l'intéressé est protégée des vues sur la voie par une haie arbustive.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Pringy en défense, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Pringy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement à la commune de Pringy de la somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à la commune de Pringy la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Pringy.

Délibéré après l'audience du 5 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 4 mars 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04001


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04001
Date de la décision : 04/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP CLOIX & MENDES-GIL

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-04;22pa04001 ?
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