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13/02/2024 | FRANCE | N°22PA04681

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 13 février 2024, 22PA04681


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B..., agissant en qualité de représentante légale de son fils A... E... D... alors mineur, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser une somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il aurait subi, résultant des défaillances des différents établissements scolaires dans la prise en charge de son handicap et du harcèlement dont il aurait été victime.



Par un jugement n° 1911611 du 16 juillet 20

21, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en qualité de représentante légale de son fils A... E... D... alors mineur, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser une somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il aurait subi, résultant des défaillances des différents établissements scolaires dans la prise en charge de son handicap et du harcèlement dont il aurait été victime.

Par un jugement n° 1911611 du 16 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 octobre et 2 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Gafsia, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 16 juillet 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral subi par son fils, résultant des défaillances des différents établissements scolaires dans la prise en charge de son handicap et du harcèlement dont il aurait été victime ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les manquements dans la prise en charge du handicap de son fils A... par les différents établissements scolaires qu'il a fréquentés depuis 2017, et les faits de harcèlement dont il a été la victime, constituent une carence fautive de l'Etat lui ayant directement causé un préjudice moral, qu'elle évalue à une somme de 60 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2023, le recteur de l'académie de Créteil conclut au rejet de la requête.

Il soutient :

- à titre principal, que la requête est irrecevable dans la mesure où elle est insuffisamment motivée et, en tout état de cause, le recours n'ayant pas été précédé d'une demande indemnitaire préalable ;

- à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gafsia pour Mme B....

Considérant ce qui suit,

1. Le fils de Mme B..., A... E... D..., né le 8 juillet 2005, présente un trouble sévère et persistant de l'acquisition du langage oral, de type dysphasie, justifiant une scolarisation adaptée. A la suite d'une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Val-de-Marne, il a été scolarisé dans l'établissement régional d'enseignement adapté (EREA) de Montgeron (91) pour l'année scolaire 2017-2018. Il a quitté cet établissement le 13 décembre 2017 pour rejoindre, à compter du mois de janvier 2018, la section d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) du collège Pierre Brossolette de Villeneuve-Saint-Georges (94). A... a ensuite été scolarisé, en unité locale inclusion scolaire (ULIS), au sein du collège Daniel Fery de Limeil-Brévannes (94), en classe de 5ème, pour l'année 2018-2019, mais a rejoint, dès le 14 janvier 2019, le collège Albert Camus de Thiais (94), dont il a été, le 25 février 2020, définitivement exclu. Par une demande du 27 décembre 2019, reçue le 9 janvier 2020, Mme B... a sollicité du recteur de l'académie de Créteil l'indemnisation du préjudice moral subi par son fils du fait l'absence de prise en compte de son handicap par les établissements scolaires fréquentés et du harcèlement dont il dit avoir été victime. Le rectorat n'a pas apporté de réponse expresse. Mme B... demande à la Cour l'annulation du jugement du 16 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun, saisi dans les mêmes termes que son recours préalable, a rejeté sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'absence de prise en charge adaptée par les établissements scolaires fréquentés :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté. " et aux termes de l'article L. 112-1 du même code : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. " Il résulte de ces dispositions que le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet de les priver de ce droit. Il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit ait, pour les enfants handicapés, un caractère effectif. La carence de l'Etat est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

3. D'autre part, aux termes de l'article D. 351-5 du code de l'éducation : " Un projet personnalisé de scolarisation définit et coordonne les modalités de déroulement de la scolarité et les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales répondant aux besoins particuliers des élèves présentant un handicap ". Aux termes de l'article D. 351-6 du même code : " L'équipe pluridisciplinaire, mentionnée à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles, élabore le projet personnalisé de scolarisation, à la demande de l'élève handicapé majeur, ou, s'il est mineur, de ses parents ou de son représentant légal, et après avoir pris connaissance du projet de formation de l'élève et des conditions de déroulement de sa scolarité (...) ".

4. Enfin, aux termes de l'article D. 351-10 du même code : " L'équipe de suivi de la scolarisation, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 112-2-1, comprenant nécessairement l'élève, ou ses parents, ou son représentant légal ainsi que l'enseignant référent de l'élève, défini à l'article D. 351-12, facilite la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation et assure son suivi pour chaque élève handicapé. Elle procède, au moins une fois par an, à l'évaluation de ce projet et de sa mise en œuvre sous la forme d'un document défini par arrêté conjoint des ministres chargés de l'éducation nationale, de l'agriculture et des personnes handicapées. Cette évaluation permet de mesurer l'adéquation des moyens mis en œuvre aux besoins de l'élève. ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 février 2015 relatif au document de recueil d'informations mentionné à l'article D. 351-10 du code de l'éducation, intitulé " guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation " (Geva-Sco) : " Lorsqu'un élève en situation de handicap bénéficie d'un projet personnalisé de scolarisation, l'équipe de suivi de la scolarisation définie à l'article L. 112-2-1 du code de l'éducation procède au moins une fois par an à l'évaluation de ce projet et de sa mise en œuvre. Les informations recueillies au cours de cette réunion sont transcrites dans le document intitulé " guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation " (Geva-Sco réexamen) annexé au présent arrêté ".

5. En premier lieu, Mme B... soutient qu'il y a eu de nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge A... par l'EREA de Montgeron, lors de son bref passage dans cet établissement. Toutefois, figurent uniquement au dossier des courriers électroniques adressés par l'intéressée à la direction et à certains professeurs, ainsi qu'une lettre à l'attention du président du conseil général du Val-de-Marne, dans lesquels elle liste ce qui, selon elle, caractériseraient ces dysfonctionnements. Cependant, à supposer même que de tels dysfonctionnements révèlent un défaut de prise en charge, ces pièces, lesquelles reposent exclusivement sur les propos de l'appelante, ne sont accompagnées d'aucun document objectif de nature à les conforter.

6. En deuxième lieu, Mme B... fait valoir que la scolarisation A... en ULIS, au sein du collège Daniel Fery de Limeil-Brévannes puis du collège Albert Camus de Thiais, a également dysfonctionné. Il résulte toutefois de l'instruction qu'au sein de ces deux collèges plusieurs réunions avec l'équipe de suivi de scolarisation de l'enfant ont eu lieu, en présence de Mme B..., à l'issue desquelles des rapports " Geva-sco " ont été systématiquement établis et des aménagements ont été proposés. Ainsi, A... a pu bénéficier d'emplois du temps aménagés, de l'appui d'auxiliaires et d'une diversification des modalités et des supports d'apprentissage. L'appelante fait, par ailleurs, grief à la direction du collège Daniel Fery de n'avoir pas rédigé un projet personnalisé de scolarisation (PPS). Toutefois, à supposer même que l'absence d'un PPS puisse caractériser une carence fautive dans la prise en charge d'un handicap, il résulte des dispositions citées au point que ce document doit être rédigé non par l'établissement d'accueil mais par une équipe pluridisciplinaire, et uniquement sur demande du représentant légal de l'enfant mineur, demande que Mme B... ne justifie, ni n'allègue avoir fait.

En ce qui concerne les faits de harcèlement :

7. Mme B... soutient également que son fils a été victime de faits de harcèlement, se caractérisant par des violences commises à son encontre par d'autres élèves, de la discrimination, et des mauvais traitements de la part des enseignants, et que ces faits n'ont été ni prévenus ni traités par les équipes enseignante et de direction. Toutefois en se bornant à produire, d'une part, des documents établis par l'intéressée elle-même, tels que des courriers électroniques, une plainte et des mains-courantes, d'autre part, des certificats médicaux très peu circonstanciés, reposant uniquement sur le récit qu'elle a pu faire de la situation de son fils, elle n'établit pas la réalité des faits qu'elle invoque.

8. Il résulte de l'instruction, ainsi que le préconisait la CDAPH en septembre 2019, qu'un accueil en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) avec une orientation débutant par une prise en charge en services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) aurait été plus adapté à la situation A.... Dans ces conditions, et alors, ainsi qu'il a été exposé aux points 5 à 7, que le rectorat n'a fait preuve d'aucune carence dans la prise en compte d'une part, du handicap A..., d'autre part, des faits de harcèlement dont il dit avoir été victime, et n'est ainsi pas à l'origine du préjudice moral qu'il invoque, la demande de Mme B... ne peut qu'être rejetée.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par l'Etat, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée, en ce compris ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Créteil.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2024.

La rapporteure,

L. d'ARGENLIEU La présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04681


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04681
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : GAFSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22pa04681 ?
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