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05/02/2024 | FRANCE | N°22PA00799

France | France, Cour administrative d'appel, 8ème chambre, 05 février 2024, 22PA00799


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Pacific Mobile Télécom (PMT) et la société VITI ont demandé, chacune, au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021 portant approbation pour l'année 2021 des tarifs de référence d'interconnexion des opérateurs de télécommunications autorisés en Polynésie française prévu à l'article LP. 212-1 du code des postes et télécommunications en Polynésie française, en tant qu'il fixe, au II de son article 2,

les tarifs de référence d'interconnexion des prestations d'accès offertes sur l'archipel de la Sociét...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pacific Mobile Télécom (PMT) et la société VITI ont demandé, chacune, au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021 portant approbation pour l'année 2021 des tarifs de référence d'interconnexion des opérateurs de télécommunications autorisés en Polynésie française prévu à l'article LP. 212-1 du code des postes et télécommunications en Polynésie française, en tant qu'il fixe, au II de son article 2, les tarifs de référence d'interconnexion des prestations d'accès offertes sur l'archipel de la Société (dit tarifs des " liaisons louées "), et d'enjoindre à la Polynésie française d'adopter de nouveaux tarifs d'interconnexion conformes aux articles D. 212-22 et suivants du code des postes et télécommunications et, à défaut, conformes à l'article A. 212-22-6 du même code.

Par un jugement nos 2100101, 2100108 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé le II de l'article 2 de l'arrêté n°243 CM du 2 mars 2021, a enjoint à la Polynésie française d'adopter de nouveaux tarifs de référence d'interconnexion pour les " liaisons louées " au titre de l'année 2021, dans un délai de quatre mois, à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de la Polynésie française le versement à la société PMT et à la société VITI, chacune, d'une somme de 150 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête, enregistrée le 18 février 2022 sous le n° 22PA00799, et un mémoire enregistré le 25 juin 2022, la Polynésie française, représentée par la Selarl Groupeavocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2100101, 2100108 du 14 décembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de rejeter les demandes des sociétés PMT et VITI présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge des sociétés PMT et VITI, solidairement, la somme de 300 000 francs CFP, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a retenu, pour annuler le II de l'article 2 de l'arrêté n°243 CM du 2 mars 2021, que l'administration n'avait pas vérifié que les tarifs litigieux étaient orientés vers les coûts et qu'ils ne conduisaient pas à imposer aux opérateurs des charges excessives.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2022, la société VITI, représentée par la Selarl Mikou, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par la Polynésie française n'est pas fondé ;

- en tout état de cause, la Polynésie française a manqué de transparence en s'abstenant de communiquer les coûts de l'opérateur public pour 2021 et de transmettre le débit de référence des liaisons louées ; le conseil des ministres s'est contenté de renouveler les tarifs de référence d'interconnexion de la société ONATI sans égard au respect des principes posés par l'article D. 212-25 du CPT en l'absence de tenue d'une comptabilité analytique d'ONATI entre ses activités concurrentielles et les activités de délégation de gestion du service public des télécommunications ; la société ONATI en qualité d'opérateur de télécommunications et d'exploitation du service public des télécommunications, si elle facture aux autres opérateurs ne se facture rien à soi-même, ainsi cette organisation mise en œuvre par l'OPT avec la validation de la Polynésie française est de nature à méconnaitre le principe de non-discrimination ; le conseil des ministres a fixé les tarifs 2021 sans imposer à la société ONATI de faire auditer sa comptabilité analytique par un cabinet d'audit et sans publier les résultats de ce travail en méconnaissance des dispositions de l'article D. 212-25 du code des postes et télécommunications ; la Polynésie a commis un détournement de pouvoir dans le seul but de protéger l'opérateur public ONATI ; l'arrêté attaqué constitue une véritable entrave à l'exercice de la concurrence sectorielle, à la libre concurrence et à la liberté du commerce et à la concurrence effective et loyale.

Par des mémoires en défense enregistrés les 24 août et 17 septembre 2022, la société PMT, représentée par la Selarl Jurispol, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par la Polynésie française n'est pas fondé.

II.- Par une requête enregistrée le 14 mars 2022 sous le n° 22PA01197, et un mémoire enregistré le 5 août 2022, la société ONATI, représentée par la société d'avocats Magenta, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2100101, 2100108 du 14 décembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de rejeter les demandes des sociétés PMT et VITI présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge des sociétés PMT et VITI, solidairement, le versement le versement de la somme de 300 000 francs CFP, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, s'agissant de la mise en œuvre de modalités dérogatoires des tarifs d'interconnexion ;

- dans le cadre de cette procédure dérogatoire, le code n'exige pas que le tarif d'interconnexion adopté soit orienté vers les coûts mais seulement qu'il soit fixé " sur la base d'une tarification orientée vers les coûts " ;

- en reconduisant de façon provisoire (i.e. pour un an seulement) le tarif antérieur préalablement approuvé par ses soins sur la base des coûts qu'il avait pu contrôler, le Pays a bien adopté un tarif basé sur une tarification orientée vers les coûts et n'a pas imposé de charges excessives aux opérateurs ni porté atteinte à l'objectif d'assurer une concurrence effective et loyale dans le secteur.

Par des observations enregistrées le 25 juin 2022, la Polynésie française, représentée par la Selarl Groupavocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2100101, 2100108 du 14 décembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de rejeter les demandes des sociétés PMT et VITI présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge des sociétés PMT et VITI, solidairement, le versement le versement de la somme de 300 000 francs CFP, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a retenu, pour annuler le II de l'article 2 de l'arrêté n°243 CM du 2 mars 2021, que l'administration n'avait pas vérifié que les tarifs litigieux étaient orientés vers les coûts et qu'ils ne conduisaient pas à imposer aux opérateurs des charges excessives, et indique qu'elle s'associe entièrement aux conclusions et moyens présentées et soulevés par la société ONATI dans sa requête.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 août 2022, la société VITI, représentée par la Selarl Mikou, conclut au rejet de la requête de la société ONATI et des conclusions présentées par la Polynésie française, et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge, respectivement, de la société ONATI et de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la société ONATI et par la Polynésie française ne sont pas fondés ;

- en tout état de cause, la Polynésie française a manqué de transparence en s'abstenant de communiquer les coûts de l'opérateur public pour 2021 et de transmettre le débit de référence des liaisons louées ; le conseil des ministres s'est contenté de renouveler les tarifs de référence d'interconnexion de la société ONATI sans égard au respect des principes posés par l'article D. 212-25 du CPT en l'absence de tenue d'une comptabilité analytique d'ONATI entre ses activités concurrentielles et les activités de délégation de gestion du service public des télécommunications ; la société ONATI en qualité d'opérateur de télécommunications et d'exploitation du service public des télécommunications, si elle facture aux autres opérateurs ne se facture rien à soi-même, ainsi cette organisation mise en œuvre par l'OPT avec la validation de la Polynésie française est de nature à méconnaitre le principe de non-discrimination ; le conseil des ministres a fixé les tarifs 2021 sans imposer à la société ONATI de faire auditer sa comptabilité analytique par un cabinet d'audit et sans publier les résultats de ce travail en méconnaissance des dispositions de l'article D. 212-25 du code des postes et télécommunications ; la Polynésie a commis un détournement de pouvoir dans le seul but de protéger l'opérateur public ONATI ; l'arrêté attaqué constitue une véritable entrave à l'exercice de la concurrence sectorielle, à la libre concurrence et à la liberté du commerce et à la concurrence effective et loyale.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2022, la société PMT, représentée par la Selarl Jurispol, en la personne de Me Quinquis, conclut au rejet de la requête de la société ONATI et des conclusions présentées par la Polynésie française, et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge, respectivement, de la société ONATI et de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société ONATI et par la Polynésie française ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi de pays n° 2021-4 du 7 janvier 2021 ;

- l'arrêté n° 464 CM du 5 avril 2012 modifié ;

- le code des postes et des télécommunications de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Aurélie Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Justier, pour la société ONATI.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021 portant approbation pour l'année 2021 des tarifs de référence d'interconnexion des opérateurs de télécommunications autorisés en Polynésie française prévus à l'article LP. 212-1 du code des postes et télécommunications de Polynésie française, le président de la Polynésie français a fixé les tarifs des prestations d'interconnexion offertes par la société ONATI en sa qualité d'opérateur public des réseaux de télécommunications, à savoir, au I de l'article 2, le tarif de référence d'interconnexion du service voix, au II de ce même article, le tarif de référence d'interconnexion des prestations d'accès offertes sur l'archipel de la Société et, au III, le tarif de référence d'interconnexion au titre de la prestation d'accès offerte entre la Polynésie française et le reste du monde. Par deux requêtes, enregistrées respectivement sous les n° 22PA00799 et 22PA01197, la Polynésie française et la société ONATI relèvent appel du jugement du 14 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a, à la demande de la société PMT et de la société VITI, annulé le II de l'article 2 de l'arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021.

Sur la jonction :

2. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Le code des postes et télécommunications de la Polynésie française a été modifié par la loi de pays du 7 janvier 2021 portant modification du code des postes et télécommunications en Polynésie française relatif à la détermination du tarif de référence d'interconnexion des opérateurs de télécommunications et à la suppression du dispositif d'agrément des installateurs admis en télécommunication, applicable à la date de l'arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021. Toutefois, en l'absence à cette date d'intervention des arrêtés en conseil des ministres prévus aux articles LP 1., LP 3., LP 4. et LP 7. de la loi, les dispositions créées ou modifiées par ces articles n'étaient pas encore entrées en vigueur.

4. Aux termes de l'article D. 212-2 du code des postes et des télécommunications de la Polynésie française : " Les autorités compétentes de la Polynésie française veillent : (...) 2° A l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les opérateurs de service de télécommunication mobile (...) au bénéfice des utilisateurs ". Aux termes de l'article D. 212-22 du même code, applicable au présent litige dès lors que les dispositions de l'article L. 212-22 du code qui l'a remplacé, issu de l'article LP. 3. de la loi de pays du 7 janvier 2021, n'étaient pas encore entrée en vigueur pour les motifs rappelés au point 3 ci-dessus : " Il est établi, après avis du comité consultatif des télécommunications, par arrêté pris en conseil des ministres, un tarif d'interconnexion valable deux ans, des réseaux ouverts au public. Les titulaires d'une autorisation délivrée en application de l'Art. D-212-1 ont droit à l'établissement d'une interconnexion aux réseaux ouverts au public. / A cet effet, des négociations commerciales réunissent les parties prenantes à l'interconnexion pour parvenir, dans un délai maximum de trois mois, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, à la signature d'une convention d'interconnexion. / Celle -ci précise les modalités techniques, juridiques et financières de leur relation. /En cas d'accord des parties, cette convention est communiquée sans délai à l'administration compétente pour être approuvée par arrêté en conseil des ministres, en tant que cette convention répond bien aux dispositions des articles D. 212-23, D. 212-24 et D. 212-25. Si tel n'est pas le cas, le conseil des ministres notifie aux signataires les motifs de son désaccord en vue de la mise en conformité de la convention, au regard de la réglementation. / En cas de désaccord entre les parties sur la conclusion de cette convention, l'administration compétente requiert de ces dernières leurs positions en vue de dégager sous un délai de deux mois les termes d'un accord amiable ; à défaut de réunion de celui-ci, le conseil des ministres fixe, sous un délai de deux mois, à compter du désaccord les termes de l'interconnexion ". Aux termes de l'article LP. 212-25 issu de l'article LP 6. de la loi de pays du 7 janvier 2021, pour l'application duquel aucun arrêté en conseil des ministres n'était requis : " Les conditions tarifaires des conventions d'interconnexion respectent les principes d'objectivité, de transparence et de non-discrimination. /Elles ne doivent pas conduire à imposer indûment aux opérateurs utilisant l'interconnexion des charges excessives. /Elles doivent pouvoir être justifiées sur demande de l'administration compétente. /Les opérateurs fournissent l'interconnexion dans des conditions non discriminatoires y compris vis-à-vis de leurs propres services, filiales ou partenaires ". Aux termes de l'article A. 212-22-1 du même code, dans sa version issue de l'arrêté n° 464 CM du 5 avril 2012 modifié relatif aux modalités d'application de l'article D. 212-22 du code des postes et télécommunications, applicable au présent litige : " Un tarif de référence d'interconnexion des réseaux ouverts au public, prévu à l 'article D.212-22 du code des postes et télécommunications, est établi pour chaque opérateur de télécommunication. (...) / Dans le cas de prestations d'accès offertes par l'opérateur public au sens des dispositions de l'article D. 211 6°, le référentiel tarifaire comprend a minima : - le coût de la fourniture d'une liaison louée, entre des points de connexion déterminés du réseau de l 'opérateur public ; -les coûts supplémentaires induits pour 1'établissement de 1'interconnexion au réseau de l 'opérateur public. / À ce titre, l'opérateur public fournit un référentiel tarifaire comprenant une offre technique et tarifaire de liaisons louées nécessaires à l'établissement de la prestation d'accès à son réseau de tout opérateur de télécommunication autorisé au sens de l'article D.212 du code des postes et télécommunications en Polynésie française afin de permettre à l'ensemble des utilisateurs de communiquer librement entre eux. /L'offre technique de liaisons louées définie à l'alinéa précédent permettant 1'interconnexion au réseau de l'opérateur public comprend : - les liaisons infra-iles et inter-iles sur l'ensemble de la Polynésie française ; -la liaison entre la Polynésie française et le reste du monde. / L 'offre tarifaire de liaisons louées respecte les dispositions relatives au calcul du tarif de référence d'interconnexion fixées aux articles A.212-22-2 et A.212-22-3 du code des postes et télécommunications en Polynésie française ". Aux termes de l'article A. 212-22-2 du même code, dans sa version applicable au présent litige : " le calcul du tarif de référence d'interconnexion est établi à l'initiative de l'opérateur ou sur demande des autorités compétentes de la Polynésie française, aux frais de 1' opérateur. Ces frais sont intégrés au calcul du tarif de référence d'interconnexion. /L'opérateur communique à l'administration en charge des télécommunications le modèle technico-économique envisagé pour la détermination du tarif de référence d'interconnexion, ainsi que les paramètres de sa définition. Le modèle technico-économique envisagé répond au modèle basé sur la méthodologie CMILT Bottom Up (coût incrémental à long terme). / Le modèle technico-économique présenté est approuvé par arrêté en Conseil des ministres après avis du comité consultatif des télécommunications. Après approbation, la validité du modèle technico-économique est maintenue tant que sa définition reste inchangée ". Aux termes de l'article A. 212-22-3 du même code, dans sa version applicable au présent litige : " Le tarif de référence d'interconnexion est évalué par l'opérateur fournissant l'interconnexion à son réseau (opérateur d'accueil), selon les modèles technico-économiques retenu dans les conditions de l'article A. 212.-22-2. / L'opérateur communique à l'administration en charge des télécommunications, le résultat de cette évaluation ainsi que les informations et documents techniques et financières ayant servi à cette évaluation. / En application du premier alinéa de l'article D. 212-22 le tarif de référence d'interconnexion, valable deux ans, est approuvé par arrêté en conseil des ministres après avis du comité consultatif des télécommunications quant à sa conformité au modèle technico-économique retenu et au respect des principes définis à l'article D. 212-25 du présent code ". Aux termes de l'article A. 212-22-6 du même code, dans sa version applicable au présent litige : " Sur la base des principes définis à l'article D.212-25 du code, dans la mesure où un tarif de référence d'interconnexion n'a pas été présenté pour approbation en application des articles A.212-22-2 à A.212-22-5, le conseil des ministres fixe, pour l'année civile en cours, le tarif de référence d'interconnexion applicable à l'opérateur sur la base d'une tarification orientée vers les coûts ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le tarif de référence d'interconnexion des lignes louées visé à l'article D. 212-22 du code des postes et des télécommunications n'a pas été présenté sur le modèle technico-économique envisagé pour l'année civile en cours et que ce tarif doit être approuvé par arrêté en conseil des ministres, il appartient à l'administration de vérifier que ce tarif de référence d'interconnexion, prenant en compte a minima le coût de la fourniture d'une liaison louée entre des points de connexion déterminés du réseau de l'opérateur public et les coûts supplémentaires induits pour 1'établissement de 1'interconnexion au réseau de l'opérateur public, respecte les principes de concurrence effective et loyale entre les opérateurs de service de télécommunication mobile, qu'il soit orienté vers les coûts, qu'il ne conduise pas à imposer indûment des charges excessives aux opérateurs utilisant l'interconnexion et que les conditions tarifaires respectent également les principes d'objectivité, de transparence et de non-discrimination.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par plusieurs arrêtés du 8 avril 2019, nos 526-CM, 527-CM et 528-CM, le président de la Polynésie française a arrêté en conseil des ministres les tarifs d'interconnexion des prestations offertes par la société ONATI, filiale à 100 % de l'Office des postes et télécommunications et avec laquelle le directeur général de cet office a conclu en 2019 une délégation de gestion du service public des télécommunications, pour les années 2019 et 2020. Alors que ces tarifs devaient faire l'objet de travaux de révision par chaque opérateur pour l'année 2021, le ministre en charge des télécommunications a proposé, dans le cadre de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, la reconduction pour l'année 2021 de l'ensemble de ces tarifs. Le ministre a alors organisé une consultation des opérateurs de télécommunications quant au calendrier de mise en place du nouveau cadre réglementaire relatif à la détermination des tarifs de référence d'interconnexion. Le comité consultatif des télécommunications s'est réuni le 18 février 2020. Par courrier du 28 avril 2020, le directeur général de la société PMT donnait son accord pour reconduire les seuls tarifs d'interconnexion " voix ", mobile et fixe, à l'exclusion des tarifs d'interconnexion pour les " liaisons louées ". Par courrier du 29 avril 2020, la société VITI donnait elle aussi son accord pour maintenir les tarifs voix, mais s'opposait à la reconduction des tarifs concernant les prestations d'accès offertes par la société ONATI sur l'archipel de la Société, d'une part, et entre la Polynésie française et le reste du monde d'autre part. Par courrier du 19 mai 2020, la ministre compétente a indiqué que les opérateurs de télécommunications ont " émis un avis favorable quant au maintien des TRI actuels respectifs pour l'année 2020 ". Par courrier du 28 novembre 2020, la société Pacific Mobile Télécom, par le biais de son conseil, a contesté avoir émis un avis favorable au sujet de la reconduction, notamment, des tarifs des liaisons louées pour l'année 2021. Lors du comité consultatif des télécommunications du 12 février 2021, les sociétés requérantes ont émis un avis défavorable sur le projet d'arrêté en conseil des ministres portant approbation pour l'année 2021 des tarifs de référence d'interconnexion des opérateurs de télécommunications. Par un arrêté n° 243 CM du 2 mars 2021, le président de la Polynésie française a arrêté en conseil des ministres, notamment, les tarifs de référence d'interconnexion des prestations d'accès offertes sur l'archipel de la Société qui sont ceux qui ont été contestés par les sociétés PMT et VITI.

7. Il ressort de cet arrêté et des pièces du dossier que la Polynésie française a décidé, en raison de la crise sanitaire tenant à l'épidémie de la covid-19 et en l'absence de présentation pour approbation, en application des articles A. 212-22-2 à A. 212-22-5 du code des postes et télécommunications de la Polynésie française, des tarifs de référence d'interconnexion par les opérateurs, de reporter pour l'année 2021 les montants des tarifs d'interconnexion pour les services " voix " fixes et mobiles et des lignes louées arrêtés pour les années 2019 et 2020. Toutefois, à supposer même que la situation sanitaire ait réellement mis le ministre en charge des télécommunications dans l'impossibilité de solliciter et d'obtenir des opérateurs concernés, dont la société ONATI en sa qualité d'opérateur public, les informations nécessaires au calcul des tarifs d'interconnexion pour les années 2021 et 2022 et de procéder à la fixation des tarifs litigieux dans les conditions normalement prévues aux articles A. 212-22-2 à A. 212-22-5 du code des postes et télécommunications de la Polynésie française, et qu'il se soit en conséquence retrouvé dans l'obligation de recourir aux dispositions de l'article A. 212-22-6 du code des postes et télécommunications de la Polynésie française ainsi qu'il le soutient, il lui appartenait de respecter les règles et principes fixées par ces dispositions, sans que la pandémie de Covid-19 puisse être regardée comme un cas de force majeure lui permettant de déroger à l'application de cette réglementation. En l'espèce, alors que, notamment, les sociétés PMT et VITI apportent en défense des éléments circonstanciés relatifs à l'évolution tendancielle à la hausse des débits des communications mobiles et, corrélativement, compte tenu de la part respective des coûts fixes et des coûts variables, à la baisse des coûts en résultant pour l'opérateur de service public pour la fourniture d'une liaison louée, notamment entre 2018 et 2021, la Polynésie française se contente de soutenir qu'elle a réutilisé les travaux réalisés pour la détermination des tarifs 2019-2020, concernant le modèle technico-économique approuvé de chaque opérateur et les résultats de l'audit de leur comptabilité, que les tarifs ainsi fixés pour 2020 ont un impact quasi nul sur l'activité des sociétés PMT et VITI au regard de leurs chiffres d'affaires, qu'ils ont été fixés sous la forme de tarifs plafonds et qu'ils ne portent pas atteinte à la structure concurrentielle du marché dès lors que, d'une part, ils sont transitoires et temporaires et, d'autre part, qu'ils n'imposent pas aux société PMC et VITI de procéder à des augmentations tarifaires de leurs offres. Ce faisant, elle ne justifie pas avoir vérifié, avant l'adoption de l'arrêté litigieux, que les tarifs de référence d'interconnexion des lignes louées pour l'année 2021 étaient orientés vers les coûts réellement supportés par la société ONATI en sa qualité d'opérateur public en 2021 et qu'ils ne conduisaient pas à imposer indûment aux opérateurs utilisant l'interconnexion des charges excessives, alors qu'il lui appartenait de le faire, et ce alors même qu'elle ne pouvait par définition pas disposer de l'intégralité des éléments requis dans le cadre de la procédure normale. De plus, en s'abstenant de procéder ainsi, l'administration n'a pas veillé à l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les opérateurs de service de télécommunication mobile au bénéfice des utilisateurs.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions aux fins d'annulation du jugement présentées par la Polynésie française dans la requête n° 22PA01197, que la Polynésie française et la société ONATI ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé le II de l'article 2 contesté de l'arrêté n°243 CM du 2 mars 2021.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française le versement à la société PMT et à la société VITI, chacune, de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

10. Il y a également lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ONATI le versement à la société PMT et à la société VITI, chacune, de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société PMT et de la société VITI, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, les sommes demandées par la Polynésie française et par la société ONATI au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête n° 22PA00799 de la Polynésie française et les conclusions qui y sont présentées par la société ONATI sont rejetées.

Article 2 : La requête n° 22PA01197 de la société ONATI et les conclusions qui y sont présentées par la Polynésie française sont rejetées.

Article 3 : La Polynésie française versera à la société PMT et à la société VITI, chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La société ONATI versera à la société PMT et à la société VITI, chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française, à la société ONATI, à la société Pacific Mobile Telecom et à la société VITI.

Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- Mme Aude Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2024.

La rapporteure,

C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 22PA00799, 22PA01197


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00799
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL GROUPAVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-05;22pa00799 ?
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