Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser une somme de 325 819,60 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par les services fiscaux dans le cadre de la procédure amiable tendant à éliminer la double imposition dont il a fait l'objet en France et au Luxembourg.
Par un jugement n° 2014554 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée 9 septembre 2022, M. A..., représenté par Mes Michaud et Chabane, demande à la Cour :
1°) d'annuler jugement n° 2014554 du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 325 819,60 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par les services fiscaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- résident fiscal luxembourgeois de 2007 à 2011, il était le principal actionnaire et gérant de la société de droit luxembourgeois AECP, et a fait l'objet de plusieurs redressements de la part de l'administration fiscale française qui l'a considéré comme résident français, alors qu'il a été imposé pour les mêmes revenus au Luxembourg, de sorte qu'est caractérisée une situation de double et même de triple imposition ;
- l'Etat a donc commis une faute en le soumettant à une double imposition, laquelle est attestée par l'avis de la mission d'expertise franco-luxembourgeoise de lutte contre la double imposition ;
- le fait qu'il n'a pas consenti à renoncer à l'exercice de recours contentieux ne pouvait justifier la non-élimination de la double imposition, car cette obligation de renonciation à recours n'est pas prévue dans la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958; cette obligation à renonciation à tout recours est fautive et engage la responsabilité de l'Etat ;
- son préjudice est constitué de l'imposition luxembourgeoise pour un montant de 115 819,60 euros, des frais de justice exposés au Luxembourg pour un montant de 10 000 euros, du préjudice moral causé par cette situation de double imposition pour un montant de 50 000 euros, du préjudice résultant de sa radiation du centre commun de la sécurité sociale luxembourgeoise, d'un montant de 150 000 euros ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés et notamment que :
- la double imposition en litige n'est pas constitutive d'une faute de l'administration fiscale française et a été validée par la juridiction administrative française ;
- rien ne s'oppose à ce que la procédure d'élimination de la double imposition soit conditionnée par une renonciation à recours ;
- les préjudices allégués sont incertains ; celui résultant de la désaffiliation du centre commun de la sécurité sociale luxembourgeoise est sans lien avec le courrier par lequel il lui a été demandé de renoncer à tout recours à fin que soit mise en œuvre la procédure d'élimination de la double imposition.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention signée le 1er avril 1958 entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- et les conclusions de M. Perroy rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a fait l'objet entre 2007 et 2011 de procédures de contrôle fiscal à l'issue duquel il a été assujetti à des rehaussements d'impôt sur le revenu et de contribution sociales à raison de revenus distribués par la société AECP France, filiale française de la société de droit luxembourgeois Agence européenne de communication publique (AECP), dont il était l'associé et le gérant majoritaire. S'estimant soumis, pour les mêmes revenus, à une double voire à une triple imposition, en France et au Luxembourg, il a sollicité par courrier des 23 décembre 2014 et 27 avril 2015 l'ouverture de la procédure amiable d'élimination des doubles impositions prévue à l'article 24 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958. Par un courrier du 17 novembre 2017, la mission d'expertise juridique et économique internationale (MIJEI) de la direction générale des finances publiques a informé M. A... que les autorités compétentes françaises et luxembourgeoises étaient parvenues à un accord amiable assurant l'élimination de la double imposition mais subordonnant la mise en œuvre de cet accord amiable au désistement de M. A... de toute procédure contentieuse en cours ou ultérieure visant à contester les rehaussements notifiés par les services fiscaux français. Refusant de renoncer à toute procédure contentieuse, M. A... a, par courrier du 23 octobre 2019, demandé à l'Etat l'indemnisation du préjudice résultant de la faute commise par les services fiscaux français dans la procédure d'élimination de la double imposition. En l'absence de réponse de l'administration, M. A... a saisi le tribunal administratif de Paris tendant à faire condamner pour faute l'Etat à une somme globale de 325 819,60 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par les services fiscaux. Il relève appel du jugement n° 2014554 du 12 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité
Sur l'existence d'une faute caractérisée par la situation de double voire de triple imposition dans laquelle s'est trouvé le requérant :
3. Aux termes de l'article 2 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise signée le 1er avril 1958 : " 4. Le domicile fiscal des personnes physiques est au lieu de la résidence normale entendue dans le sens de foyer permanent d'habitation, ou, à défaut, au lieu du séjour principal ". Aux termes de l'article 18 de la même convention : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'Etat du domicile fiscal du bénéficiaire ". L'article 19 de cette convention stipule : " 1. Les revenus qui, d'après les dispositions de la présente Convention, ne sont imposables que dans l'un des deux Etats ne peuvent pas être imposés dans l'autre Etat, même par voie de retenue à la source. Néanmoins, chacun des deux Etats conserve le droit de calculer au taux correspondant à l'ensemble du revenu du contribuable les impôts directs afférents aux éléments du revenu dont l'imposition lui est réservée ". Aux termes de l'article 24 : " 1. Tout contribuable qui prouve que les mesures prises par les autorités fiscales des deux Etats contractants ont entraîné pour lui une double imposition en ce qui concerne les impôts visés par la présente Convention peut adresser une demande soit aux autorités compétentes de l'Etat sur le territoire duquel il a son domicile fiscal, soit à celles de l'autre Etat. Si le bien-fondé de cette demande est reconnu, les autorités compétentes des deux Etats s'entendent pour éviter de façon équitable la double imposition. 2. Les autorités compétentes des deux Etats contractants peuvent également s'entendre pour supprimer la double imposition dans les cas non réglés par la présente Convention, ainsi que dans les cas où l'interprétation ou l'application de la présente Convention donnerait lieu à des difficultés ou à des doutes (...) ".
4. M. A... soutient que les revenus sur lesquels il a été taxé en France au titre des années 2007 à 2011 auraient été également taxés au Luxembourg et que cette situation de double voire de triple imposition serait constitutive d'une faute. Toutefois, la seule circonstance qu'il se soit trouvé dans une situation de double imposition ne suffit pas à caractériser une faute des services fiscaux français. Au demeurant, par un arrêt du 25 avril 2017, n° 16VE00356, la cour administrative d'appel de Versailles a en grande partie rejeté la réclamation contentieuse formée par M. A... portant sur les années 2007 et 2008, et cet arrêt est devenu définitif en conséquence d'une décision du Conseil d'Etat du 30 mars 2018 n° 411850 refusant d'admettre son pourvoi en cassation. En ce qui concerne les années 2009, 2010 et 2011, le recours contentieux formé par M. A... a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 30 décembre 2019, n° 1707444. Il ressort de l'ensemble de ces décisions de justice que M. A... était, au regard du droit national, redevable de l'impôt sur le revenu français dans la mesure où, pour les années en cause, la France avait été son lieu de séjour principal. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction qu'aucune méconnaissance des stipulations de la convention conclue le 1er avril 1958 n'étant caractérisée, le préjudice dont M. A... demande l'indemnisation ne résulte que de l'imposition qui lui a été réclamée par les autorités du Luxembourg laquelle, s'agissant d'un acte émanant d'une autorité étrangère, ne saurait engager la responsabilité de l'Etat français.
Sur l'existence d'une faute constituée par le courrier de la MIJEI du
17 novembre 2017 :
5. Il ressort du courrier du 17 novembre 2017 de la mission d'expertise juridique et économique internationale, adressé en réponse à la saisine de M. A..., que les autorités compétentes françaises et luxembourgeoises sont parvenues à un accord amiable assurant l'élimination de la double imposition, selon lequel les rehaussements de l'administration fiscale française ont été maintenus en intégralité, les autorités luxembourgeoises s'engageant de leur côté à procéder à un " ajustement corrélatif, à hauteur des mêmes montants et au titre des mêmes exercices ". Ce courrier subordonne la mise en œuvre de cet accord amiable au " désistement de M. A... de toute procédure contentieuse en cours ou ultérieure visant à contester les rehaussements notifiés par les services fiscaux français ".
6. Contrairement à ce que soutient M. A..., en subordonnant la mise en œuvre de l'accord amiable obtenu entre les parties française et luxembourgeoise au désistement et à la renonciation de la part de M. A... à tout recours contentieux en cours ou ultérieur relatif aux rehaussements notifiés par les autorités françaises, la mission d'expertise juridique et économique internationale n'a commis aucune faute de nature engager la responsabilité de l'Etat. Au surplus, il résulte de l'instruction que le préjudice dont M. A... demande réparation, constitué des impositions auxquelles il a été soumis par les autorités luxembourgeoises et des frais engagés pour en obtenir la décharge, du préjudice moral causé par ces impositions et du préjudice lié à sa radiation du centre commun de la sécurité sociale luxembourgeoise, ne présente aucun lien de causalité avec la faute que M. A... impute à la mission d'expertise juridique et économique internationale, dès lors, en particulier, qu'il ressort des pièces produites par M. A... que le jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, confirmé par un arrêt du 10 juillet 2018 de la Cour administrative d'appel du Grand-Duché de Luxembourg, a rejeté son recours pour irrecevabilité en raison de la tardiveté de sa réclamation, notifiée le 26 juin 2014.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre ;
- M. Marjanovic, président assesseur ;
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2024.
Le rapporteur,
J. DUBOISLa présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA04132 2